Chroniques Inégalités de destins
Au-delà des spéculations sur la culpabilité ou l’innocence, au-delà des débats sur la procédure, ce que l’on retiendra de l’affaire DSK est cette extraordinaire conflagration de destins.
Apparemment, Nafissatou Diallo a souvent menti. Elle a menti pour obtenir son visa d’entrée aux Etats-Unis, a fraudé le système d’aides sociales pour arrondir ses fins de mois, et a, semble-t-il, fait des récits peu crédibles au procureur. Rien, dans ce comportement, qui pourrait maintenant de se retourner contre elle, n’est justifiable. Mais tout est explicable.
Nafissatou Diallo est née femme, sur le continent le plus pauvre au monde. Un continent qui voit, de loin, scintiller la richesse occidentale et qui ne cesse de disperser les siens au quatre coins du monde, en quête d’une vie meilleure. La naissance guinéenne de Mme Diallo ne justifie évidemment pas les mensonges, les petites combines. Mais elle leur donne un contexte socio-économique, politique et historique. Car tricher pour accéder, coûte que coûte, au rêve occidental est le réflexe de ceux que le destin fait naître pauvre, et qui tentent d’ouvrir une brèche dans la forteresse des nantis. Quitte à avoir recours aux faux papiers, aux passeurs et aux déclarations truquées.
Dominique Strauss-Kahn, lui, n’a jamais en besoin de recourir à ces procédés. Situé à l’extrémité opposée de l’échelle sociale mondiale, il personnifie cette puissance qui fait rêver les plus faibles. Il est un homme blanc, Européen, riche, cultivé, influent, doté de réseaux politiques et il dirigeait, lors de son arrestation, une institution mondiale qui symbolise elle aussi la puissance financière.
Ce sont ces deux existences opposées qui se sont brutalement télescopées à New York. Car le caractère emblématique de cette affaire réside évidemment dans le contraste presque irréel entre ces deux histoires que tout oppose. Cette dissymétrie étonnante, cette inégalité extrême de destin a d’ailleurs amplifié, tel un catalyseur chimique, la fascination exercée par leur affrontement dans le tumulte médiatico-judiciaire. Elle a aussi électriquement activé les réactions communautaires qui se sont cristallisées autour de Nafissatou Diallo.
Une fois l’affaire close, le destin reprendra son cours ordinaire. Un pan de la vie de chacun s’est définitivement écroulé, mais l’une retrouvera sa petite vie d’immigrée – peut-être poursuivie pour sa triche aux aides sociales – et l’autre continuera de dispenser, depuis son riad de Marrakech, ses analyses sur les affaires du monde.
Mais dans les mémoires, ce crash de deux destinées à New York restera comme le précipité sordide des insupportables inégalités de destins qui fracturent notre planète.
Bénédicte Manier, journaliste