Monde « Aux critiques les plus réactionnaires à mon égard s’ajoutent les plus machistes »

Camila Vallejo © Myriam Paz Hernandez

Camila Vallejo © Myriam Paz Hernandez

Elle est chilienne, elle n’a que 23 ans mais son visage a déjà fait la une de Courrier International, du supplément féministe Las 12 du journal argentin Pagina 12 et aussi de l’hebdomadaire allemand Die Zeit.

Comment expliquer un tel succès médiatique ? C’est simple : Camila Vallejo Dowling, militante du parti communiste chilien, est l’une des têtes du mouvement d’étudiant-e-s et lycéen-ne-s chilien-ne-s qui lutte depuis cinq mois pour obtenir une éducation publique gratuite et de qualité pour tous.

Ce mouvement a réussi à défier le gouvernement de droite libérale de Sebastián Piñera, qui a vu sa cote de popularité baisser à 22%, le plus bas niveau pour un gouvernement depuis la dictature d’Augusto Pinochet. Le mouvement, au contraire, est soutenu par 89% de la population (1).

Sa beauté, sa jeunesse, et le fait d’être femme politique – elle est présidente de la Fédération des étudiant-e-s de l’Université du Chili – dans un pays encore très machiste, lui ont valu des attaques très dures de la droite libérale et conservatrice chilienne.

Des attaques et des menaces non voilées

Quelques membres du gouvernement mais aussi des hommes et des femmes politiques de droite ont vu en Camila la figure « du mal » : la femme qui attirerait, grâce à sa beauté, les hommes vers le péché. Dans le cas présent, le péché serait de faire revenir la politique dans les foyers et de lutter pour changer la société.

Autrement dit, mettre fin au manque d’intérêt vis-à-vis la politique exprimé par les Chilien-ne-s, notamment les jeunes, depuis la fin de la dictature en 1990, puis pendant tout le processus de transition politique  jusqu’aujourd’hui. Manque d’intérêt qui bien évidemment ne sert qu’à ceux qui sont au pouvoir et ne veulent pas changer les règles du jeu.

Cristian Labbé, qui a été membre de la police secrète de Pinochet, aujourd’hui maire de Providencia – une mairie bourgeoise de la capitale –, a accusé la jeune dirigeante d’être « une demoiselle qui conteste et mobilise la moitié d’un pays parce qu’elle a un visage comme ensorcelé. Parce qu’elle est belle ou parce qu’elle est à moitié intelligente, elle a le pays à ses pieds » (El Mostrador, 20 août 2011).

La secrétaire exécutive du Fonds du livre a écrit sur son compte Twitter « une fois la chienne morte, plus de chiens à sa poursuite », phrase inspirée de celle que prononça  Pinochet contre Salvador Allende pendant l’attaque de La Moneda au moment du coup d’Etat en 1973… La fonctionnaire, dont la phrase a été perçue comme une menace contre la jeune dirigeante et a déclenché une vaste polémique, a dû démissionner de son poste (Pagina 12, 19 août 2011).

Pire encore, quelques jours après, un sociologue de droite a menacé de mort la jeune dirigeante. Elle est depuis sous protection policière.

Eviter d’être déstabilisée pour ne pas oublier les problèmes importants

Et pourtant Camila Vallejo semble ne pas trop s’inquiéter de ce qui lui arrive. Lors de sa visite qu’elle et trois autres dirigeants du mouvement font à Paris depuis le 14 octobre, la jeune étudiante en géographie nous explique qu’elle préfère dénoncer la méthode utilisée, qui vise « à personnaliser le mouvement », pour ensuite « attaquer directement le dirigeant en le menaçant, en propageant des informations trompeuses, et des accusations afin de mieux attaquer le mouvement dans son ensemble ».

« Nous avons abordé cette situation avec responsabilité tout en essayant d’éviter des discussions sur le sujet qui nous feraient oublier les questions importantes, structurelles, que sont les changements en matière d’éducation et de démocratie dans notre pays. Nous voulons en effet un autre modèle de société, une manière différente de faire de la politique, d’exercer la démocratie à laquelle nous pourrons tous participer », affirme Camila Vallejo.

Elle ajoute : « Nous savons que les attaques et les menaces se produisent lorsque il existe des abus de pouvoir et lorsque le gouvernement a peur d’affronter l’opposition et de ne pas avoir la capacité d’affronter le débat qu’elle suscite. »

Mais Camila Vallejo ne s’est-elle pas sentie attaquée en tant que femme ? Bien sûr : « Les positions les plus réactionnaires se conjuguent avec les positions les plus machistes ou les plus misogynes. »

Nous devons interrompre le dialogue : l’amphithéâtre de l’université Paris 7, rempli de jeunes étudiant-e-s français mais surtout de Chilien-ne-s, attend avec impatience les jeunes dirigeants Giorgio Jackson, Francisco Figueroa (2) et Gabriel Iturra (3), qui sont aussi les porte-parole du mouvement.

Face à un public conquis d’avance, les quatre jeunes parlent de construire une nouvelle société, une nouvelle gauche chilienne. Historiquement, au Chili, la gauche et la Concertacion (4) n’ont jamais été des alliées pour les mouvements de femmes et les féministes. Même pendant le gouvernement de Michelle Bachelet, de 2006 à 2010. Cette nouvelle gauche serait-elle une alliée pour les Chiliennes ?

Myriam Paz Hernández – EGALITE

(1) Sondage réalisé par le Centro de Estudios de la Realidad Contemporanea (Cerc), août-septembre 2011.

(2) Giorgio Jackson est président de la fédération des étudiants de l’Université catholique du Chili. Francisco Figueroa est vice-président de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili.

(3) Gabriel Iturra est dirigeant de l’Assemblée de coordination des lycéens.

(4) Coalition de partis de centre-gauche qui a gouverné le Chili depuis la fin de la dictature 1990 jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Sebastián Piñera en mars 2010.

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