Les hommes, des féministes comme les autres La mixité des luttes féministes : une fausse nouveauté

Alban Jacquemart

Alban Jacquemart est sociologue à l’Iris (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux) et au CMH-Pro (Centre Maurice Halbwachs). Il a soutenu la thèse « Les hommes dans les mouvements féministes français (1870-2010). Sociologie d’un engagement improbable » en juin 2011.

—la

Alban Jacquemart

 

De nombreux discours médiatiques, militants et scientifiques font de la mixité femmes-hommes un trait caractéristique de la génération militante apparue sur la scène féministe depuis la fin des années 1990.

A ce titre, la création de l’association Mix-cité en 1997 par sept femmes et deux hommes est interprétée comme un tournant important. Néanmoins, ces discours se fondent sur une vision du féminisme (ou plutôt des féminismes) triplement biaisée et l’analyse historique et sociologique des mobilisations féministes force à nuancer ce postulat.

D’abord, une telle affirmation s’appuie sur une histoire courte des luttes féministes, qui commencerait en 1970 : la mixité contemporaine s’opposerait alors à la non-mixité des « années MLF ». Pourtant 1970 n’est pas « l’année zéro » (1) du féminisme. Cent ans plus tôt, les premières associations féministes se formaient pour revendiquer les droits civils, puis les droits civiques pour les femmes.

Entre un quart et un tiers d’hommes militants jusqu’au début du XXe siècle

Or, ces mobilisations dites de « la première vague » (1870-1940) étaient mixtes : c’est un homme, Léon Richer, qui fonde la première association, l’Association pour les droits des femmes, en 1869, et les hommes représentant entre un quart et un tiers des effectifs militants jusqu’au début du XXe siècle.

S’ils sont moins nombreux dans l’entre-deux-guerres (entre 10% et 15%) et alors que des groupes non mixtes sont fondés, la plupart des associations féministes n’en font pas moins le choix de la mixité. Dans ce sens, replacée dans le temps long des mobilisations féministes, la mixité des années 2000 ne constitue pas de facto une nouveauté, encore moins une « nouvelle phase » du féminisme.

Deuxièmement, cette interprétation de la mixité comme nouveauté s’appuie sur une vision des mobilisations féministes des années 1970 réduite à l’exclusion des hommes des groupes du Mouvement de libération des femmes (MLF). Or, si les militantes ont constitué des lieux non mixtes à partir de 1970 en réaction au sexisme des hommes dans les groupes d’extrême-gauche, les luttes féministes de la décennie n’ont pas toutes exclu les hommes.

Ainsi, les associations qui ont porté la lutte pour la libéralisation de l’avortement – le Mouvement pour la libéralisation de l’avortement (MLAC), le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et Choisir – étaient mixtes. De nombreux médecins y ont participé, ainsi que des militants de gauche et d’extrême-gauche.

Plus généralement, les militantes des années 1970 n’ont pas tant rejeté la présence des hommes que la reproduction des rapports de domination au sein des lieux militants. A titre d’exemple, les hommes n’étaient pas interdits de participer aux défilés du MLF, mais devaient rester en fin de cortège pour laisser la tête de la manifestation aux femmes.

… 15 % d’hommes dans les associations aujourd’hui

Enfin, les discours sur la mixité des associations féministes des années 2000 offrent une vision partielle de la réalité militante. D’abord, ils tendent à homogénéiser la diversité militante en masquant la persistance de groupes féministes non mixtes.

En effet, si des associations mixtes comme Mix-Cité, les Chiennes de garde ou Osez le féminisme ! incarnent en partie le renouveau des quinze dernières années, des lieux ou des initiatives non mixtes continuent d’exister ou de se créer, à l’image des Maisons des femmes, des Marches de nuit non mixtes ou de groupes dans les milieux libertaires. En outre, ils surestiment la part des hommes dans les associations féministes : si elles sont effectivement ouvertes aux hommes, ces derniers n’en sont pas moins minoritaires, représentant autour de 15% des membres.

Il s’agit donc de relativiser le caractère inédit de la mixité féministe des années 2000. Si elle a un caractère plus central que lors des mobilisations des décennies précédentes, elle s’inscrit dans la continuité de la longue histoire des luttes féministes où mixité et non-mixité ont toujours coexisté.

Alban Jacquemart

(1) Libération des femmes. Année 0, Partisans, n°54-55, juillet-octobre 1970. Cette publication militante est considérée comme un des actes fondateurs du MLF.

 

print