Économie « Tous les pays doivent accorder des droits aux travailleur-se-s domestiques »

Campagne "12 ratifications en 2012".

—– Campagne "12 ratifications en 2012".

Visuel de la campagne « 12 ratifications en 2012 ».

La Confédération syndicale internationale (CSI) a lancé la campagne « 12 ratifications en 2012 » pour inciter les pays à ratifier une convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant les droits des travailleurs domestiques, à 82 % des femmes. Claire Courteille, directrice du département égalité de la CSI, a répondu à nos questions.

  • L’Uruguay, premier pays à ratifier la convention
  • L’Uruguay a ratifié la convention n° 189 de l’Organisation
    internationale du travail, fin avril. C’est le premier pays
    à le faire depuis la négociation et l’adoption du texte en juin 2011.

Quels sont les objectifs de la campagne « 12 ratifications en 2012 » ?

La campagne « 12 x 12 » est une initiative de la Confédération syndicale internationale. Elle fait suite à l’adoption de la convention n°189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) en juin dernier sur les travailleurs et travailleuses domestiques. Cet instrument international est d’une grande importance car il leur octroie un certain nombre de droits fondamentaux.

Mais si cette convention n’est pas ratifiée et mise en œuvre au niveau national, le combat que nous avons mené pendant des années restera lettre morte. D’où l’importance d’une campagne pour la ratification de cette convention et pour des amendements aux lois nationales afin qu’elles couvrent cette catégorie de travailleur-se-s.

Ainsi la campagne « 12 x 12 » vise à obtenir douze ratifications de la convention de l’OIT d’ici la fin de 2012. A cet objectif s’ajoute également deux autres : promouvoir l’organisation de ces travailleurs et travailleuses en syndicats afin qu’elles/ils puissent défendre leurs intérêts de manière collective et aider et renforcer les syndicats et associations de travailleur-se-s domestiques.

Aujourd’hui, la campagne est soutenue par des associations et des réseaux, dont Human Rights Watch, Caritas international, Solidar, le Réseau international des travailleuses domestiques (IDWN, en anglais), la Confédération européenne des syndicats, le Forum des migrants – Asie.

Pouvez-nous nous préciser le contenu de cette convention n° 189 de l’OIT ?

La convention n°189 a été négociée et adoptée le 16 juin 2011 par les organisations d’employeurs, de travailleurs et les gouvernements des pays membres de l’OIT. Lorsque les Etats ratifient la convention, ils doivent mettre leurs lois en conformité avec le contenu de la convention.

Le point essentiel de cet instrument de l’OIT est d’étendre le champ d’application de la législation du travail aux travailleur-se-s domestiques afin qu’elles/ils puissent jouir de leurs droits comme n’importe quel autre salarié. Cela inclut, par exemple, le droit au salaire minimum, à un jour de congé par semaine, à la règlementation des heures de travail, à un paiement régulier des rémunérations (au moins une fois par mois) et à l’accès à la sécurité sociale y compris en cas de maternité.

La convention prévoit aussi le droit pour les travailleur-se-s à se former et à adhérer à un syndicat afin d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. D’une manière générale la convention demande que la loi traite les travailleur-se-s domestiques comme tous les autres.

Votre campagne cible un certain nombre de pays du Sud mais également l’Union européenne. Pourquoi ?

Nous souhaitons impliquer un maximum de pays dans notre campagne, et nous avons déjà plus de 80 syndicats et/ou associations provenant d’une cinquantaine de pays qui se mobilisent dans le cadre de la campagne. Et nous pensons en effet que l’Europe doit montrer l’exemple en ratifiant cette convention internationale.

De plus, s’il est vrai que les législations européennes sont en général plus favorables aux travailleur-se-s domestiques que celles d’autres continents, il n’en reste pas moins que la situation des travailleuses domestiques migrantes est un vrai problème en Europe.

Rappelons qu’aucun pays européen n’a ratifié la convention des Nations-unies concernant les droits des travailleur-se-s migrant-e-s. Il est donc essentiel que l’Union européenne prenne des mesures efficaces afin de protéger les droits de ces travailleur-se-s qui sont présent-e-s dans tous les pays de l’Union.

Travaillez-vous également sur la professionnalisation des travailleurs et travailleuses domestiques ?

Oui, plusieurs syndicats nationaux travaillent sur la professionnalisation. La reconnaissance du travail domestique en tant que profession, dans la loi et dans la pratique, est notre priorité. Nous avons d’ailleurs défendu le droit à la formation professionnelle lors des négociations à l’OIT.

Nous devons lutter contre l’idée commune qui consiste à considérer le travail domestique comme « les tâches ménagères à la portée de n’importe quelle femme ». De même, trop souvent les soins à la personne – garde d’enfants, de personnes âgées ou malades –, portés par de nombreux travailleur-se-s domestiques ne sont pas considérés comme un « vrai travail » mais comme une forme de bénévolat.

S’il est vrai que des liens affectifs peuvent se tisser entre les hommes et les femmes qui travaillent au sein d’un foyer, il n’en reste pas moins vrai que ces travailleur-se-s ont également des besoins et des droits qui doivent être protégés. De plus, il est essentiel de reconnaitre la juste valeur économique de ce travail qui reste sous-évalué et sous-payé.

Aujourd’hui, sans le soutien des travailleur-se-s domestiques, de nombreuses personnes, en majorité des femmes, seraient dans l’impossibilité d’avoir une activité économique. Ainsi, chaque société devrait repenser le rôle et reconsidérer la situation économique et sociale de ses travailleur-se-s domestiques. La formation professionnelle est un élément-clé, y compris pour mettre fin aux abus dont ces travailleur-se-s sont trop souvent victimes.

Y a-t-il encore beaucoup d’enfants exploités comme « travailleurs domestiques » ?

Oui, malheureusement. Dans les pays en développement de nombreux mineurs et plus particulièrement des filles travaillent dans les maisons des autres. Le cas typique est celui d’une fille âgée de 12 ou 13 ans, vivant en zone rurale, que ses parents envoient à la ville pour travailler chez une tante éloignée dans l’espoir qu’elle gagne quelques sous.

Beaucoup de ces filles ont des journées de travail de plus de douze heures par jour, sept jours sur sept, sans pouvoir aller à l’école,  compromettant ainsi leur avenir. Malheureusement nous ne disposons pas de chiffres fiables sur le nombre d’enfants travaillant dans ce secteur au niveau mondial.

Quel est le pourcentage de femmes parmi les travailleurs domestiques ? Quelles sont les spécificités de leurs conditions ?

On estime le nombre de travailleurs domestiques au niveau mondial à 100 millions, dont 82% de femmes. Globalement on constate également qu’un grand nombre de travailleur-se-s domestiques sont originaires d’un autre pays ou de zones rurales appauvries. Un nombre considérable est issu de minorités ethniques marginalisées.

Leurs conditions de vie et de travail dépendent des lois du pays dans lequel elles vivent mais également de leur employeur. Le fait de travailler, et parfois d’habiter, dans le domaine privé du foyer de l’employeur – certaines travailleuses n’ayant même pas le droit de sortir de la maison – rend leur syndicalisation difficile. D’une façon générale, le travail domestique est sous-évalué et sous-payé. Les conditions de travail sont dures et les journées longues. Et les risques de harcèlement et de violence sont accrus par l’isolement au sein d’un lieu de résidence privée.

Propos recueillis par Caroline Amiel-Bocceda – EGALITE

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