Société Babayagas : les mamies utopistes en colo pour s’entrainer à la coloc !
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© Magali Lambert
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Elles ont entre 65 et 85 ans.
Elles sont féministes.
Elles veulent vieillir entre femmes, en autogestion, dans le respect de l’écologie et le maintien de leurs pratiques citoyennes.
C’est ce projet qui les réunit.
La Maison des Babayagas, qui ouvrira ses portes en octobre prochain à Montreuil, après plus de onze ans de discussions avec les institutions et de luttes pour le montage financier, est une utopie conçue au départ par Thérèse Clerc.
Sur un terrain cédé par la Ville de Montreuil en plein centre ville, et dans une construction de l’OPHLM dont elles vont être locataires, vingt femmes vont emménager à l’automne, chacune dans son studio, mais en autogérant les parties communes qu’elles entendent bien faire résonner de leur optimisme et de leurs réflexions sur tous les aspects du bien vieillir au sein de l’Unisavie (Université du savoir des vieux), qui a aussi vocation à devenir une plate-forme pour utopistes.
Pour préparer leur vieillesse en vie collective, elles partent régulièrement en colonie de vacances dans l’Yonne, dans un lieu que la ville de Montreuil réserve pour les vacances scolaires aux petits Montreuillois.
Dans ce cadre verdoyant et serein, elles pratiquent pendant une semaine la vie en communauté tout en continuant à peaufiner leur projet innovant : à raison de deux séances de travail par jour, elles planchent sur la rédaction de leur charte interne et de la convention qui les lie aux institutionnels. Elles y prévoient aussi tous les aspects de la vie quotidienne en communauté et les activités qu’elles veulent impulser.
A la fois différentes et réunies par ce projet militant, elles impressionnent toutes par le dynamisme de leur engagement.
Odette a passé vingt années de sa vie à enseigner le français au Royaume-Uni. Elle est rentrée en France à la retraite mais ne se voit pas « finir seule » dans une maison de retraite lambda où elle sera « un numéro », « une vieille chose posée là ». D’ailleurs « [elle] n’aime pas le scrabble ! ». Et puis, elle a une vieille pratique de militante, ses parents étaient communistes, elle a toujours été active au sein du Mouvement des femmes et des groupes de lesbiennes. Elle a une gouaille et un humour communicatif, et c’est une vieille routarde du collectif…
Yvette non plus n’imagine pas sa retraite seule dans son petit studio. Ancienne secrétaire de rédaction, tout ce à quoi elle tient, ce sont ses livres. Sinon, elle veut continuer à défaire et refaire le monde, et participer activement à la mise en forme de cette utopie de « vieilles qui ont leur mot à dire sur tout ». On a du mal à énumérer tous ses engagements passés et présents, des groupes lesbiens aux femmes sans-papiers, en passant par le soutien au Rwanda. Elle ne manque pas une occasion de rappeler l’oppression des femmes et n’hésite pas à interrompre les réunions de travail pour pousser un petit refrain militant le poing levé ! Et son talent d’auto-dérision la rend irremplaçable.
Claudia est italienne. Elle vit en France depuis quarante ans, divorcée deux fois. Féministe depuis l’adolescence, elle s’est d’abord heurtée au machisme de son père qui l’a empêchée de devenir pilote, puis à celui de ses deux maris, bien peu respectueux de sa personne. Enfin libre, elle met son hyperactivité au service du collectif et ne conçoit pas de vieillir autrement qu’en communauté. Et les hommes l’ont trop fait souffrir pour qu’elle ait encore envie de partager ses vieux jours avec l’un d’entre eux…
Et puis il y a Thérèse, la mère porteuse du projet. Celle qui, depuis plus de dix ans, court inlassablement les bureaux et les cabinets pour faire exister ce projet. Celle qui partout, dans les médias comme dans les régions où des maisons de Babayagas sont en gestation, parle encore et encore du bien vieillir entre soi, dans le refus de l’infantilisation et du consumérisme qui menace les personnes âgées. Thérèse est belle et intelligente, et pas mal cabotine. Elle aime Mozart et l’utopie d’Ernst Bloch. Les fringues aussi. Et les hommes et les femmes. Le collectif est le maître-mot de sa vie et, en imaginant la Maison des Babayagas, elle barre la route à ce « rétrécissement » des vieux qui s’éloignent du collectif et de la vraie vie.
Toutes attachantes, ensemble et individuellement, ces vieilles femmes travaillent avec ardeur à donner vie à leur Maison des Babayagas.
Mais comme « le plaisir vient du ventre », la colo se déroule au rythme des gratins, des tartes et du vin de sureau faits maison. Militantes et déterminées dans la chaleur de la convivialité, ces Babayagas ont l’avenir devant elles…
Danielle Michel-Chich – EGALITE
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