Contributions Les marches exploratoires pour la sécurité des femmes dans l’espace public

Un mémoire d’étudiante en Belgique et une vidéo diffusée cet été, qui montre en clair et en direct les petites phrases que subissent les femmes de tous âges, mais surtout les plus jeunes, quand elles circulent dans l’espace public, cela réactive les débats autour de la permissivité de notre société aux agressions sexuelles et sexistes quotidiennes.

Ce machisme ordinaire, c’est non seulement celui des « mecs lourds » (1) mais aussi celui qui se dissimule sous couvert d’humour et qui piège les femmes. Pratiqué à plusieurs, il renforce la complicité entre hommes, déculpabilise les agresseurs et fait porter aux destinataires le désagrément de ne pas savoir si elles doivent se défendre ou non. Si la fille se défend, elle passe pour une mijaurée qui manque d’humour et elle réactive un cycle de persiflage ou d’injures. Si elle ne se défend pas, elle accepte et c’est encore gagné. On est les plus forts !

On voit cependant depuis quelque temps, de nouvelles « Pussy Riots » créatives, notamment Argentines et Chiliennes, (voir vidéo) qui lancent des campagnes originales et punchy contre ce machisme ordinaire. L’inversion des rôles a toujours un effet comique et surprenant.

Certains hommes, interpellés individuellement sur leur comportement se dégonflent, intimidés par une réponse sèche et inattendue, d’autres deviennent plus insultants, la plupart reconnaissent qu’ils ne le font vraiment que poussés par leurs pairs.

Et au Liban aussi, des femmes font une campagne tonique.

 

 

La « vulnérabilité » des femmes, une construction sociale

La « vulnérabilité » des femmes aux violences, loin d’être naturelle, est le fruit d’une construction sociale. Très jeunes, les filles sont soumises aux recommandations de prudence dans la rue, de la part de leur famille. Ainsi elles intériorisent une auto-perception de vulnérabilité. Les femmes ayant appris que l’espace public leur est hostile, tendent à éviter certains horaires et à contourner les lieux réputés dangereux.

Ces peurs sont actualisées par les interactions violentes auxquelles les femmes sont confrontées quotidiennement, mais qui ne sont jamais enregistrées par les statistiques officielles, car les paroles, les insultes, les regards, les attouchements deviennent dissuasifs. Ils ont pour but de faire accepter aux femmes le fait que leur place est à la maison – et non dehors – et de restreindre leur mobilité et leur liberté. Une étude de la sociologue Marylène Lieber (2) illustre ces stratégies d’adaptation.

Ce qui a été appris peut être dés-appris

L’auteure montre aussi que les femmes qui pratiquent un sport, et en particulier un art martial, se réapproprient mieux les espaces publics car elles ont plus confiance en leur capacité à faire face à l’imprévu ou aux éventuelles agressions.

Le ré-apprentissage de la liberté est donc possible. C’est l’objectif des marches exploratoires qui se sont répandues depuis Montréal en Amérique Latine, en Afrique puis en Europe. En France, elles ont eu lieu à Lille, Arcueil, Montreuil, Drancy, Dreux et l’Île Saint Denis.

Au cours de ces marches, les habitantes se déplacent en groupe dans un quartier et identifient collectivement les espaces qui leur posent problème.

La démarche fait partie de la famille des outils participatifs tels que les « arpentages » et les « diagnostics en marchant ».

Paroles de deux marcheuses de Dreux :

 « On s’est rendu compte que les femmes prennent des chemins d’évitement de certains lieux, que tous les cafés sont occupés par des hommes ; si on arrive avec les marches à rendre les femmes plus à l’aise, elles vont reprendre du terrain».

« C’est important que ça parte des femmes, c’est une petite brique, et ce qu’on fait dans l’espace public peut impacter la vie des femmes dans l’espace privé et on pourra peut être faire changer les comportements sexistes des hommes».

A partir des constats, des propositions d’amélioration sont élaborées et présentées aux décideurs politiques.

Les propositions qui sont faites visent à diminuer l’exclusion des femmes. Elles servent aussi à améliorer la qualité de vie et la sécurité de tous et toutes dans les quartiers concernés. C’est l’ensemble des habitants qui en profite.

  • Exemples de propositions émises par des marcheuses.
  • –  Une amélioration de la signalisation et une claire délimitation des espaces.
  • – La transformation de certains espaces inutilisés.
  • – La limitation de l’envahissement des espaces piétons par les véhicules motorisés.
  • – L’utilisation de la signalisation pour signifier aux femmes le droit d’occuper les espaces publics : « Il faudrait « féminiser» le square, avec de la couleur, trouver un nom de femme, mettre la marque des femmes »

 

Dominique Poggi et Marie-Dominique de Suremain – Sociologues, formatrices

(1) Nathacha Henry, Les mecs lourds ou le paternalisme lubrique, Gender company, 2011.

(2) Lieber Marylène : Genre, violences et espaces publics, Fondation Nationale de Sciences Politiques 2008.

 

Pour en savoir plus :

Marches au Québec 

– Une recherche-action participative: Droit de cité pour les femmes, C. bulot, D. Poggi, Editions de l’Atelier, 2004.

Enquête ENVEFF

– Stéphanie Condon, Ined, Marylène Lieber, Laboratoire Printemps, Université de Versailles St Quentin en Yvelines, Florence Maillochon, LASMAS-CNRS : Insécurité dans les espaces publics : Comprendre les peurs féminines. In Revue française de sociologie, 2005-2.

 

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