Articles récents \ DÉBATS \ Contributions \ France \ Politique "Premiers messieurs" ou "princes consorts" ? Comment la presse parle des conjoints des femmes politiques

On a beaucoup parlé des conjointes des hommes  politiques, elles ont parfois même été au centre de l’actualité. Les médias commencent à s’intéresser aux conjoints des femmes politiques. Évitent-ils les stéréotypes ? Aurélie Olivesi, chercheuse  en sciences de l’information et de la communication nous l’explique.

 
Depuis le début des années 2000, la féminisation croissante du personnel politique, consécutive à la loi sur la parité, et le développement de l’approche « people » dans la médiatisation du politique ont amené sur le devant de la scène médiatique de nouveaux acteurs : les conjoints (maris ou compagnons) des femmes politiques. Paris Match a notamment consacré une série « Qui sont les hommes de » (politiques) à l’été 2010, en publiant des portraits de Jean-Louis Brochen (mari de Martine Aubry), Xavier Cantat (compagnon de Cécile Duflot), Xavier Giocanti (compagnon de Christine Lagarde), Hérvé Jouanno, Jérôme Pécresse, Jean-Pierre Philippe (mari de Nathalie Kosciusko-Morizet) et Joseph Zimet (mari de Rama Yade). Certains « hommes de » politiques sont également hommes politiques eux-mêmes. C’est le cas de Patrick Ollier, compagnon de Michèle Aliot-Marie, et de François Hollande, essentiellement médiatisé à une certaine période comme le compagnon de Ségolène Royal. On trouve ces portraits principalement dans la presse magazine, politique ou non (Paris Match, Elle, Gala, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur), mais également dans la presse quotidienne dite « sérieuse » (Le Monde, Libération, Le Figaro).
Après des décennies d’une vie politique quasi-exclusivement masculine – et de portraits d’épouses servant de faire-valoir à leur mari – , ces articles semblent au premier abord, en rapportant les propos des conjoints eux-mêmes et de leur entourage, constituer un rééquilibrage des rôles publics, professionnels et privés entre hommes et femmes. Cependant, on trouve également dans ces articles, sous la plume des journalistes, une réaffirmation des stéréotypes peu favorables aux femmes politiques. Ainsi, ces articles ne peuvent-ils être considérés comme l’exact pendant des portraits d’épouses. On peut y déceler, en filigrane, les éléments d’une remise en cause de la légitimité politique des femmes représentées.
Des hommes complets au sein de couples modernes
La première image qui se dégage à la lecture de ces articles est celle de couples modernes, fondés sur l’égalité des rôles – et non plus leur complémentarité, comme dans le mariage traditionnel. Les conjoints se voient systématiquement parés de qualités qui illustrent en miroir celles de leur femme : ils sont surdiplômes, compétents professionnellement (un avocat lillois dit de Jean-Louis Brochen : « C’est le seul confrère auquel je demanderais […] de me défendre »), cultivés, bon vivants (Hervé Jouanno « aime les bonnes bouteilles de vin, de whisky et les cigares ») et dotés d’une forte personnalité (« Xavier est l’homme fort du clan Cantat »).
Leur vie quotidienne hyper-organisée où eux-mêmes disent assumer des tâches parfois peu valorisantes montre également une réorganisation sociale où les hommes qui ont donné toutes les garanties de la réussite virile peuvent mettre en œuvre une masculinité « élargie ».
La sécularisation de la vie politique
Ces conjoints ne sont pas avares de compliments sur leur épouse, comme Jean-Pierre Philippe, « auteur d’un roman d’amour […] dédicacé à NKM » : « Elle fait de la peinture à l’huile, de la tapisserie, joue du violoncelle ; elle a tous les talents, je n’en ai aucun ».
Mais le soutien qu’ils apportent à leur femme n’est selon eux pas politique, mais simplement professionnel (« Jean-Pierre Philippe refuse de “conseiller” son épouse. Il préfère “l’accompagner” » et Xavier Giocanti dit parler « boulot »).
En effet, la politique, qui était présenté par les épouses de politiques comme une vie professionnelle prenante et violente, est décrite par les conjoints comme certes intense, mais peu sérieuse :« Jérôme Pécresse et la politique ? […] “Je n’ai jamais réussi à être élu délégué de classe ! J’aime être jugé sur des performances rationnelles et mesurables” ».
Les victimes de femmes dominatrices ?
Or, si les conjoints présentent eux-mêmes leur vie comme équilibrée, un terme revient comme une antienne de la part des journalistes : l’effacement (« Alors que sa femme entre dans la lumière, Joseph s’efface ») – également présenté comme un difficile renoncement (« François Hollande avait dû renoncer »). Ainsi, l’équilibre est souvent présenté par des dénégations (« Hervé assure ne ressentir “aucune frustration” » ou l’expression « Ce n’est pas un prince consort », employée systématiquement pour tous). Ainsi, la répartition traditionnelle des rôles est-elle réaffirmée en filigrane.
On perçoit à plusieurs reprises l’idée d’une inversion contre nature des rôles de genre, notamment dans l’amorce d’une féminisation, parfois carnavalesque, des conjoints. Ainsi, un article ironiquement intitulé « Remaniement: qui sera la “première dame” du gouvernement ? » attribue à « Patrick Ollier, alias M. Alliot-Marie », un « taux de glamour » de 23 %, car « s’il a une bonne bouille », “Mr MAM” n’est pas exactement une icône fashion ». Ses options de carrière seraient désormais cantonnées à la sphère privée : « le Périgourdin jovial saura-t-il devenir le Best Friend Forever de Joachim Sauer, époux d’Angela Merkel ? ».
Voilà ces hommes victimes plus ou moins consentantes « d’une femme autoritaire et ambitieuse », comme Joseph Zimet qui se serait « retrouvé enfermé dans son propre appartement par son épouse […]. Car il aurait probablement donné sa voix à Ségolène Royal… ».
Or, si ces articles présentent les femmes politiques comme dominatrices, autoritaires et peu ouvertes au dialogue dans leur vie privée, miroir de leur vie publique, on peut supposer que leur présence politique est indirectement montrée comme similaire.
 
Aurélie Olivesi. Maître de conférence en sciences de l’information et de la communication. Lyon 1
 
Une version complète de cet article est parue dans l’ouvrage Quoi de neuf depuis la parité ?, dirigé par Mathieu Gateau, Florent Schepens & Maud Navarre aux Éditions Universitaires de Dijon en 2013. 
⇒http://eud.u-bourgogne.fr/droit/375-quoi-de-n-9782364410541.html

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