Articles récents \ France \ Société Claire Alet : « les médias continuent de véhiculer un très grand nombre de stéréotypes sexistes ».

Claire Alet est journaliste à Alternatives Economiques. Depuis peu elle écrit sur un blog de son magazine sur lequel elle se définit comme une journaliste féministe.  Au début du mois de mars, elle lançait le collectif de femmes journalistes «Prenons la Une» pour défendre une plus juste place des femmes dans les médias. Interview sur cette initiative bienvenue dans un paysage médiatique fort androcentré.

D’où vous vient cette idée de dénoncer le manque de visibilité des femmes dans les médias?
A l’automne dernier, lorsque j’ai coordonné un hors-série sur l’égalité entre les femmes et les hommes pour Alternatives Economiques,  j’ai constaté qu’il y avait de plus en plus de réseaux de femmes dans de nombreux secteurs d’activité, mais pas dans le secteur des médias! Pourtant, les femmes dans les rédactions, c’est comme les sapins sur la montagne, plus on monte moins il y en a : sept directeurs de rédactions sur dix sont des hommes. Alors que la profession est aujourd’hui quasiment paritaire. Parallèlement il y a ce constat accablant réalisé par le CSA, selon lequel seulement 20% des experts interrogés à la télévision et à la radio sont des femmes, quand elles ne sont que 17% dans la presse écrite. Autant de facteurs qui expliquent que les médias continuent à véhiculer un très grand nombre de stéréotypes de sexe.
Avant ce manifeste, à votre connaissance, y a t-il eu d’autres initiatives de ce type?
Il existait l’Association des femmes journalistes, crée en 1981. Elle avait en son sein des femmes qui dénonçaient le manque de visibilité des femmes dans les médias et aux postes à responsabilité, mais peu à peu cette association est devenue inactive. En concertation avec son (ex)présidente, c’est le collectif ⇒Prenons la Une qui a repris aujourd’hui le flambeau. Cette association a été dissoute. On peut aussi citer la mobilisation des femmes des Echos en juin 2013 : des femmes journalistes ont fait grève pour dénoncer le manque de parité dans la direction. Cette initiative m’a fait prendre conscience que des femmes journalistes étaient prêtes à se mobiliser et qu’il fallait se rassembler pour être plus fortes ensemble et faire bouger les choses.
Qui sont les journalistes du collectif? Se disent-elles féministes?
C’est un collectif de plus de trente femmes journalistes, de tous types de médias (TV, radio, presse écrite et web). Notre lancement a été marqué par la publication d’un Manifeste dans le quotidien Libération, le 3 mars dernier. Il a recueilli plus de 750 signatures, de femmes et d’hommes journalistes, dont Ruth Elkrief, Audrey Pulvar, Melissa Theuriau, Thomas Legrand et Edwy Plenel. Des citoyens ont également signé, en soutien.
De fait c’est un collectif féministe, puisque nous demandons plus d’égalité. Il suffit de lire le manifeste pour s’en convaincre!
Avez-vous été surprise par le nombre de signataires ?
J’ai été très surprise par le grand nombre de journalistes signataires car c’est une profession qui ne signe pas beaucoup de pétitions. Cela montre que nous sommes capables de nous mobiliser sur la question de la place des femmes dans les médias. Mais ce qui m’a le plus étonnée c’est que beaucoup d’hommes ont signé, en expliquant parfois qu’ils voyaient trop de sexisme au sein de leur rédaction. Du côté des femmes, en parallèle de leur signature, un grand nombre d’entre elles ont apporté des témoignages de situation de sexisme, de discriminations, voire de harcèlement au sein de leur rédaction, comme par exemple lors de grossesse ou de retour de congé maternité.
Quels sont les objectifs principaux de prenons la Une?
Dans notre Manifeste, nous faisons une série de propositions.
Nous voulons notamment que les médias audiovisuels posent un objectif chiffré de 50% d’expertes interviewées à la radio et à la TV. Nous demandons au CSA de les y pousser dans le cadre des compétences accrues que devrait lui conférer la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes qui revient en seconde lecture à l’Assemblée nationale le 26 juin prochain.
Une autre de nos revendications est la mise en place de modules de formation dans les écoles de journalisme afin de sensibiliser les étudiant-e-s à l’égalité entre les femmes et les hommes, de lutter contre les stéréotypes et contre toutes les formes de sexisme. Nous avons récemment interpellé, via une lettre ouverte, la Conférence des écoles de journalisme (CEJ) composée de 14 écoles, parce qu’elle avait été vent debout contre un amendement de la loi égalité imposant des cours au sein de leurs structures d’enseignement. Cet amendement a finalement été repoussé. Mais de ce fait, dans notre courrier, nous leur demandons ce qu’ils envisagent de faire de manière autonome sur ces questions. Nous devons rencontrer prochainement son président. Nous attendons des propositions concrètes.
Nous plaidons aussi pour que les aides directes à la presse soient conditionnées à l’application de la législation sur l’égalité professionnelle.
Autre exemple, nous incitons nos consœurs et confrères à réaliser des bases de données d’expertes au sein de leur propre rédaction. La BBC l’a fait, pourquoi les chaînes françaises ne le feraient-elles pas? Dans  combien de rédaction n’entendons- nous pas  «il n’y a pas de femmes compétentes, légitimes sur tel ou tel sujet». Ce qui est bien évidemment faux. Il suffit de changer un peu ses habitudes professionnelles.
Le manifeste est lancé depuis trois mois et maintenant comment comptez-vous mener votre combat?
Le nerf de notre guerre sont les réseaux sociaux. Nous dénonçons au quotidien, sur Twitter (@prenonsla1) et sur Facebook, les stéréotypes et les propos sexistes qui sont véhiculés par les médias. Ce sont par exemple les unes du Point qui pointent « les femmes du Président », ou les plateaux presque exclusivement masculins lors des soirées électorales, ou encore les propos sexistes du commentateur sportif Philippe Candeloro lors des Jeux Olympiques, ou le traitement déséquilibré des violences faites aux femmes qui laisse trop souvent penser que les victimes « l’ont bien cherché ».
Par ailleurs, nous participons à des débats et des conférences pour informer et sensibiliser sur la question de la place des femmes dans les médias. Nous étions par exemple présentes au Festival international de dessin de presse à Montpellier en avril dernier, qui avait pour thème les femmes.
Enfin, nous interpellons les acteurs susceptibles de faire bouger les choses : dirigeants de France TV, CSA, et président de la CEJ par exemple.
Nous nous mobilisons à la fois pour que des décisions concrètes soient prises -comme des objectifs chiffrés d’expertes interviewées- et pour que les journalistes prennent conscience du pouvoir et donc de la responsabilité qu’ils détiennent. Car les médias ont pour rôle de refléter la société. Or aujourd’hui, ils tendent encore trop souvent un miroir déformant. Nous voulons que les médias diffusent aux jeunes, et notamment aux jeunes femmes, des images qui leur permettent de se projeter librement dans leur avenir.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50/50
 
Membres de Prenons la Une : Claire Alet (Alternatives Economiques), Cécile Amar (Le Journal du dimanche), Anne-Laure Barret ( le Journal du dimanche), Carine Bécard (France Inter), Marianne Bliman (Les Échos), Claire Boubé (France 24), Lénaïg Bredoux (Mediapart), Sophie Caillat (Rue89), Carole Chatelain (Sciences et Avenir), Alice Coffin (20 Minutes), Laure Daussy (Arrêt sur Image), Ixchel Delaporte (L’Humanité), Rokhaya Diallo (éditorialiste), Nassira El Moaddem (i-Télé), Clémentine Gallot (indépendante), Hélène Guinhut (Elle), Ségolène Hanotaux (indépendante), Marie Kirschen (indépendante), Valérie Landrieu (Les Échos) , Ariane Lavrilleux (Europe 1), Léa Lejeune (ex Libération), Myriam Levain (Cheek Magazine), Johanna Luyssen (indépendante), Rachel Mulot (Sciences et avenir), Camille Neveux (le Journal du dimanche), Valérie de Senneville (Les Échos), Julia Van Aest (LCI et BFMTV), Laure Watrin (indépendante et Les Pintades).

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