Articles récents \ Monde Oscar Pistorius : un procès violent dans le pays le plus violent au monde

 

Le verdict du procès Pistorius augure des pires quarts d’heure que vont passer les jeunes femmes noires pauvres sud-africaines. Cette impunité dans un pays qui connaît le plus haut taux de féminicide au monde révèle un pays désuni, qui cherche dans l’expression du masculinisme une issue à sa crise multiforme.

 
Oscar Pistorius est célèbre, blanc, jeune, riche, handicapé. Toutes qualités pour échapper à la condamnation pour crime dans un pays qui connaît le plus haut taux de viols et de féminicides au monde. L’athlète de 27 ans, connu pour posséder des armes à feu, a été déclaré, le 12 septembre dernier, coupable d’homicide involontaire, par la juge Thokozile Matilda Masipa , pour le meurtre en février 2014 de sa compagne, Reeva Steenkamp. Il a ainsi échappé aux deux plus lourdes accusations, celles de meurtre et meurtre avec préméditation. La juge  prononcera le 13 octobre prochain la sentence finale.
Deuxième femme noire à être nommée magistrate après la fin de l’apartheid, cette juge a paradoxalement la réputation d’être impitoyable en matière de violences faites aux femmes. Alors comment expliquer ce jugement ? En quoi les protestations des mouvements féministes dans ce pays ne peuvent-ils avoir prise dans ce pays en crise ?
 
Le plus haut niveau de violences de genre  au monde
 
Selon de multiples sources (Human Rights Watch Report, People Opposing Women Abuse, Sexual Violence Research Initiative, Unicef…), l’Afrique du Sud est connue pour ses hauts taux de violence. Le taux d’homicide y est cinq fois supérieur au taux mondial, atteignant 64,8 pour 100 000 habitants en 2000, ce qui explique que ce pays est le plus violent au monde. Cette situation est directement héritée du régime d’apartheid, caractérisé par un niveau de violences inédit : emprisonnements, tortures, assassinats, viols… commis en tout impunité. Si bien que la résistance qu’a engendrée ce système a induit une tolérance de la violence, reconnue comme seul point de repère social. Aussi, malgré la création et le travail de la Truth and Reconciliation Commission Bill (1) cette violence continue de constituer le seul moyen de résoudre les conflits entre les personnes.
Aujourd’hui, alors même que la transition post-apartheid s’est réalisée dans un relatif calme, ce pays est devenu l’un des plus violents au monde, et les violences de genre sont en progression constante. Tout comme le mouvement masculiniste. Le président Jacob Zuma, polygame, lui-même accusé d’avoir violé une des ses nièces, prône le retour aux valeurs traditionnelles, voire traditionnaliste et encourage le sexisme et le masculinisme. Il entend ainsi rassembler une base, celle composée d’hommes noirs hier persécutés, aujourd’hui poussés à retrouver leur « virilité » en réaction à un féminisme supposé occidental. Conséquence directe,  d’après les organisations sud-africaines de défense des droits des femmes, une Africaine du Sud sur trois vit une relation violente.
Selon l’étude de 2009 du Medical Research Council (MRC), un jeune Sud-Africain sur quatre reconnaît avoir violé au moins une fois dans sa vie. La moitié des hommes sondés au cours de l’étude du MRC avait moins de 25 ans et 70% moins de 30 ans. Selon le rapport, sur les 27,6% d’hommes ayant commis un viol, « 23,2% ont déclaré avoir violé deux à trois femmes ou filles, 8,4% quatre à cinq, 7,1% six à dix, et 7,7% plus de 10 ».
Dans les statistiques nationales, en 2006, 55 000 viols étaient officiellement enregistrés par la police. Le National Institute for Crime Prevention and Reintegration Programme estime pour sa part que seul un viol sur vingt est rapporté, ce qui pourrait ramener le chiffre à un million par an. De plus, le National Working Group on Sexual Offences, un consortium de vingt-cinq organisations, estime que 42,7% des viols concernent des mineures.
Une recherche menée par le Medical Research Council en 2001 auprès de 11 735 femmes interrogées en 1998 montre que 153 d’entre elles témoignent avoir été violées avant l’âge de 15 ans. Pour ces 1,3% d’adolescentes, 85% des viols ont été commis entre l’âge de 10 et 14 ans et 15% entre cinq et neuf. Aujourd’hui, le viol peut concerner des nourrissons féminins de cinq mois.
Selon une recherche menée en 2002 sur le viol des jeunes filles pour le journal The Lancet, 21% des violeurs sont des proches, 21 % des étrangers ou des connaissances récentes et 10% des petits amis. D’après une enquête menée par le groupe de recherche Community Information Empowerment and Transparency pour la majorité des 300 000 enfants et adolescents de 10 à 19 ans, interrogés dans 1 418 écoles et lycées du pays, violer « quelqu’un qu’on connaît » n’est pas considéré comme une violence sexuelle, pas plus que les « attouchements non consentis ».  Et plus d’un quart des jeunes interrogés affirment que « les filles aiment être violées ».
La plupart des viols sont perpétrés par des Noirs sur des Noires, et à une moindre échelle par des Noirs sur des Blanches (un sur dix), celles-ci ayant les moyens financiers d’assurer leur sécurité personnelle.
 
Le féminicide, une forme banale de violence
 
L’Afrique du Sud connaît par ailleurs le plus haut taux de féminicide intime au monde. Malgré l’absence de données nationales dans le domaine, une étude nationale a montré qu’une femme est tuée toutes les six heures par son partenaire sexuel. Cette étude vient compléter des données selon lesquelles entre 40 et 70% des femmes victimes de meurtres sont tuées par leur mari, compagnon, concubin. L’étude conclut que le taux des victimes noires (18,3/100 000) atteint six fois celui des femmes blanches. Les auteurs des crimes sont très majoritairement des hommes et des concubins en union libre (52,10%), devant les petits amis (27,90%) et les maris (18,50%).
L’étude a montré que 66,30% des auteurs des crimes possédaient légalement une arme à feu au moment du meurtre et que 58% d’entre eux étaient employés dans le secteur de la sécurité. Ce constat s’ajoute à celui selon lequel 64,90% des féminicides intimes auraient pu être évités si l’auteur n’avait pas légalement possédé une arme mortelle. Le nombre d’armes à feu par habitants est en augmentation constante.
Les féminicides et leur fréquence représentent un nouveau stade dans l’escalade de la violence en Afrique du Sud. Ajoutés aux viols, ils rendent la vie quotidienne des femmes de ce pays, et en particulier les jeunes femmes noires pauvres, de plus en plus difficile.
Le verdict du procès Pistorius présage le pire pour leur sécurité. L’impunité est aujourd’hui en marche, au plus haut niveau.
 
Joelle Palmieri – Journaliste et chercheuse en sciences politiques
 
(1) La commission pour la vérité et la réconciliation fut chargée de recenser toutes les violations des droits de l’homme commises pendant l’époque de l’apartheid. Elle fut dirigée par Monseigneur Tutu, prix Nobel de la paix en 1984. L’objet de cette commission concernait les crimes et les exactions politiques commis au nom du gouvernement sud-africain mais également ceux commis par les mouvements de libération nationale. Sa spécificité consistait en une possibilité d’une amnistie pleine et entière des crimes en échange de leur confession publique.

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