Articles récents \ Culture Pierre-Yves Ginet: de la finance au journalisme engagé
D’abord analyste financier, Pierre-Yves Ginet visite le Tibet en 1991, à l’âge de 24 ans. Quatre ans après sa réouverture au tourisme, la surveillance est active, les libertés bafouées et les sourires fermés. Le pays accueille à l’époque environ 20 000 touristes par an. Il reviendra de ce voyage en photographe militant, profondément touché par les images du pays. Aujourd’hui, avec la collaboration d’Angéline, Marie et Nathalie de l’association Femmes Ici et Ailleurs, il parcourt le monde avec pour seule certitude : ces femmes dans la lutte méritent qu’on connaissent leur histoire.
En 1991, au Tibet, le touriste en vous s’est mué en journaliste. Quel événement a provoqué ce déclic ? Quelle est la première chose qui a changé votre regard ?
En 1991, j’ai vu l’horreur de l’occupation. Ce fut un choc. J’étais confronté à une réalité : c’était un tout autre mode de vie, une population différente. Dans la capitale, des caméras de surveillance épiaient les badauds.
A chaque échange, c’était une vraie claque qui s’abattait. Mon objectif fut rapidement attiré par d’autres choses que les monuments. A mon retour, j’ai eu la prétention de trouver mes photographies assez belles. Il fallait que j’y retourne afin de construire réellement un projet autour de ces femmes rencontrées.
Tout ce que je fais aujourd’hui, c’est certainement grâce à ce premier voyage. Encore plus, ce sont les personnes formidables que j’ai approchées là-bas qui ont bouleversé ma vie.
Comment, pourquoi vous êtes-vous impliqué sur les questions d’égalité femmes/hommes ?
C’est incroyable toute cette richesse que j’ai acquis au fil de ces échanges. Ce qui l’était encore plus, c’était de voir ces femmes solides, connues et inconnues tenir alors qu’elles avaient vécu ou vivaient dans la misère.
Une question s’est alors imposée et m’a frappé. Pourquoi ne parle t-on pas ces personnes exceptionnelles ?
Au fil des rencontres, j’ai observé de multiples inégalités entre les femmes et les hommes. Et je voulais vraiment montrer ça : on leur avait arraché leurs droits, en somme la force d’un être humain, mais elles les avaient surpassés et compensés avec une force encore plus grande. Elles étaient imbattables, malgré tout.
Cela vous ouvre à une autre dimension, à un regard totalement neuf.
Et je trouve dommage qu’on ne partage pas ce genre d’informations. La réalité, le savoir, l’information devraient commencer par là : ces femmes construisent tous les jours ce monde et connaissent ce qui se passe dans leur pays. Il fallait leur donner la parole, les écouter. Les informations influencent les opinions, c’est un fait avéré. Mais nous devons nous construire un avis personnel.
Il y a un manque de culture humaine dans les infos, de culture féministe.
Ces reportages photos ont tous une forte histoire. Certains ont bouleversé ma vision. Il y a de l’émotion et de la souffrance dans ces photos. Mais par dessus tout, un sentiment prédomine : le bonheur d’être ensemble et de vivre.
Quelle rencontre vous a le plus touché ?
En 17 ans de travail, j’ai rencontré des femmes de tous âges, de tous horizons, et aux destins différents. Des femmes victimes de violences, d’anciennes prisonnières… Toutes ont une incroyable force.
Je me souviendrais toujours d’une petite femme nommée Dafrose et de sa fille (photo de Une). Elle a vécu le génocide des peuples du Rwanda en 1994. Son histoire m’a beaucoup marqué. A la fin, c’est elle qui m’a consolé (rires). Dans sa maison, je n’ai jamais entendu autant de rires.
Auprès de ces femmes, j’ai énormément appris. C’est un engagement qui me tient à cœur. Elles sont tellement généreuses. Elles étaient intriguées par ma curiosité et contentes, en grande majorité, de parler de leur parcours, de leur vie. Et pour la plupart, elles étaient modestes, ne reconnaissaient pas leur combat. C’est ce qui est beau.
Elles ont cette force en elle, mais elles ne savent pas d’où ça leur vient.
Elles m’ont tellement inspiré.
Cette image de « journaliste féministe » vous colle à la peau. Est-ce handicapant dans ce métier de porter ce genre d’étiquette ? Est-ce difficile de vendre vos reportages photos?
C’est la galère ! Montrer une information différente, ce n’est pas simple.
Pour la plupart des magazines, ces reportages ne répondent pas à leur ligne éditoriale. Les quelques magazines qui s’y intéressent, ne prennent qu’une à deux photos. Ce qui fait perdre l’intérêt du reportage. A force de voir ce système, je fus très vite convaincu que la seule alternative pour montrer ces images au public était de passer par les associations avec, à la clé, la création d’un magazine. Et puis, avec Femmes Ici et Ailleurs, nous avons beaucoup travaillé autour d’une exposition, et l’avons montré surtout aux jeunes, de tous âges. L’objectif était de créer un écho dans leur conscience face à ces images, de les sensibiliser à avoir la curiosité de se forger une opinion.
Quel sentiment avez-vous, en tant que journaliste après l’attentat contre Charlie Hebdo ?
En terminant cet entretien, je pense à tous nos ami-e-s de Charlie, aux victimes et à leur famille. A ceux qui restent et qui vont proposer un magazine assis sur les mêmes valeurs, sans le moindre compromis. J’espère que cela va éclairer tous les médias, vraiment tous les médias et qu’ils se poseront la question : quel est notre rôle ? Un monde sans informations c’est une dictature.
Lisez des médias indépendants !
Marie Faupin, étudiante en journalisme