Articles récents \ France \ Politique \ Europe Karima Delli, eurodéputée EELV : «Il y a beaucoup moins de sexisme dans l’hémicycle du Parlement européen qu’à l’Assemblée»

A 36 ans, Karima Delli entame son deuxième mandat à l’Europarlement. Élue surprise en 2009 en Île-de-France alors qu’elle n’était qu’en quatrième position sur la liste de Daniel Cohn-Bendit, elle prend en 2014 la tête de liste EELV pour les européennes dans la circonscription Nord-Ouest et parvient à se faire réélire dans un contexte de déroute à gauche. Nous avons rencontré cette élue pour parler du sexisme dans la vie politique française, de son point de vue européen.

Elle nous reçoit à Paris dans un café proche de la gare du Nord, entre deux rendez-vous, accompagnée de son attachée parlementaire. L’élue écologiste doit prendre le train pour repartir «dans sa circonscription». Karima Delli est certes députée européenne, mais elle n’oublie pourtant pas ses racines. Née à Roubaix, elle  a grandi à Tourcoing. Fille d’un couple d’immigrés algériens, dont le père travaillait en tant qu’ouvrier dans une usine textile, neuvième sur treize enfants, on peut dire que la jeune eurodéputée est une transfuge de classe (1). Si elle a étudié à Sciences Po-Lille (en DEA) et qu’elle a adhéré aux Verts en 2004, elle n’est pas pour autant une jeune apparatchik, puisqu’elle adore faire de la politique hors du cadre traditionnel des partis.

Co-fondatrice avec Julien Bayou du collectif Sauvons les Riches ! et membre de Jeudi Noir, Karima Delli se définit elle-même comme une «activiste joyeuse ; l’éveil des consciences sera ludique». Comme le Tumblr qu’elle a créé l’an passé, « Et sinon, je fais de la politique » qui fait poser des élues portant des pancartes marquées des propos sexistes entendus durant leur vie politique. Son point de vue d’activiste d’élue européenne et anti-sexiste nous intéressait donc triplement.

Quel regard portez-vous sur la tribune des 40 femmes journalistes politiques qui ont dénoncé le sexisme des élus ?

Je les soutiens bien évidemment. Leur démarche collective et l’écho qu’elle a eu montrent que ce que je voulais pointer en créant mon Tumblr, le sexisme ordinaire en politique, reste un débat de fond qu’on n’a pas suffisamment abordé. Cela concerne tous les partis, même si EELV a une longueur d’avance, puisqu’on a instauré des coprésidences paritaires pour nos groupes politiques dans tous les parlements. En France, les modèles institutionnels et le système des partis ont été façonnés par et pour des comportements «masculins». Le sexisme perdure en politique ; la question des sanctions contre les propos machistes et sexistes reste taboue. On est en 2015, il faut secouer le cocotier ! Derrière ce débat sur le sexisme dans le champ politique, il y a bien évidemment le débat beaucoup plus large sur l’égalité femmes/hommes en France, en Europe et dans le monde.

Justement, comment jugez-vous l’avancement du processus de construction de l’égalité en France par rapport au reste de l’Europe ?

On a du retard. La France est un pays conservateur par rapport aux pays du nord de l’Europe, qui vivent la parité dans les faits et pas seulement dans les mots ! Le sexisme est partout, dans les syndicats, les entreprises, les médias. C’est insupportable à vivre en 2015, il faut continuer à le dénoncer. Il suffit pourtant de voir ce qui est arrivé à Véronique Massoneau ou à Cécile Duflot à l’Assemblée Nationale quand elle a osé porter une robe pendant la séance des questions au gouvernement. Les débats sur les noms de fonction sont également révélateurs. Et puis, quand on voit qu’avec autant de candidates que de candidats aux dernières départementales, on aboutit à seulement 8 présidentes de conseil départemental, on se dit que c’est chaud. Les femmes n’ont encore que deux manières d’évoluer dans la sphère politique : se comporter de façon «masculine» ou se revendiquer comme femme en politique.

 

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 Intervention de Karima Delli au PE sur la Lutte contre les violences à l’égard des femmes

 

Vous siégez à la Commission «droits de la femme et égalité des genres» au Parlement européen. Comment peser depuis Bruxelles et Strasbourg ?

L’égalité entre les femmes et les hommes est un enjeu transversal à toutes les politiques publiques ! Par exemple, le problème des retraites, de la précarité, ce sont des problèmes de femmes ! Les progrès sont trop lents. On s’est donnés bonne conscience en créant cette commission, mais elle n’a pas le poids politique nécessaire au sein du Parlement européen. Et le Parlement européen n’a pas assez de poids face aux autres institutions européennes, la Commission et le Conseil (ndlr : réunissant les chef-fe-s d’États membres). Quand on veut faire passer la directive sur le congé maternité, les dirigeant-e-s des États s’y opposent, au motif que c’était une prérogative de leur ressort. J’ai d’ailleurs écrit à Hollande sur ce sujet, et il m’a répondu quatre mois plus tard, de façon très évasive. C’est un manque de courage politique.

Il y a pourtant des travaux intéressants qui sont réalisés dans cette commission. Deux hommes écologistes espagnols y siègent, ainsi que Marc Tarabella, auteur du rapport sur l’état des lieux des droits des femmes et de l’égalité des genres en Europe. Après, il faut bien voir que les droits des femmes peuvent très vite reculer dans beaucoup de pays européens, et la tentative de restreindre l’accès à l’IVG en Espagne ou les inégalités salariales qui perdurent sont tout simplement acceptables. Le projet de directive imposant 40% de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises vient de l’Union européenne, là encore, ce sont les États qui bloquent. Les institutions européennes ne sont pas irréprochables, puisqu’on dénombre seulement 9 femmes sur 28 dans la Commission Juncker présentée comme paritaire. Chaque État aurait du présenter un binôme h/f, et la France a seulement présenté Pierre Moscovici…

Vous avez déjà été confrontée personnellement au sexisme ?

Pour moi, ça a été la double peine ; j’étais jeune et femme. Au début, les huissiers m’ont prise pour une assistante parlementaire. Pourtant, je crois qu’il y a beaucoup moins de sexisme dans l’hémicycle du Parlement européen qu’à l’Assemblée nationale. Ici, c’est le travail et l’ancienneté qui permettent d’être reconnue. Pour ce deuxième mandat, j’ai intégré la Commission transports, très stratégique car c’est un domaine législatif où le Parlement a un vrai poids. Il est certain que c’est un challenge, mais je connais le travail parlementaire puisque j’ai été assistante de Marie-Christine Blandin (2). Lors de mon premier mandat, j’ai senti une forme de reconnaissances par mes pair-e-s, après avoir rendu mon premier rapport,

Par où commencer la lutte contre le sexisme ?

Par l’ironie, il faut s’en moquer : les hommes sexistes détestent ça. Il faut distinguer le sexisme ordinaire du véritablement harcèlement. Les jeunes hommes politiques ne peuvent plus se permettre ce genre de propos has been. Pour moi, c’est de la vieille politique. C’est un nouveau combat que l’on va gagner. Je ne suis pas fataliste et je pense que le 21ème siècle va s’ouvrir sur l’égalité pour toutes et tous de manière naturelle. Il faut en tout cas continuer à se battre pour défendre les acquis des 40 ans de luttes de nos mères et de nos grands-mères.

Et concrètement ?

Il faut des sanctions contre le sexisme en politique. Il faut que les femmes n’aient plus peur d’aller en politique, qu’elles ne s’auto-censurent pas. Il faut que l’égalité entre les femmes et les hommes s’apprenne dès le plus jeune âge. Il faut aussi absolument appliquer le non-cumul des mandats et limiter le cumul des mandats dans le temps : comparé aux autres européens, on est les champions du monde du cumul (ndlr : au moins 75% des élu-e-s français-e-s, record absolu en Europe). Moi, ça ne m’intéresse pas de collectionner les mandats, je n’ai pas de plan de carrière. Tout le monde me disait que je n’allais pas être élue en 2009, ça prouve bien que le monde bouge, que ça plaise ou non !

 

Propos recueillis par Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

 

(1) On appelle en sociologie « transfuge de classe » celui qui est né dans un milieu social et qui vit adulte dans un tout autre milieu social. Voir notamment les travaux de Bernard Lahire.

(2) Marie-Christine Blandin est sénatrice écologiste du Nord depuis 2001.

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