Articles récents \ France \ Société Alban Jacquemart : « les canaux de diffusion des idées féministes se sont nettement élargis ces dernières décennies »

 Comment les idées féministes circulent-elles dans la société ? Comment les individus se les approprient ou au contraire s’en distancient ? Le numéro 109 de la revue Politix a justement pour ambition d’étudier les appropriations ordinaires des idées féministes. Entretien avec Alban Jacquemart, sociologue, qui a coordonné avec Laure Bereni et Viviane Albenga la réalisation de ce numéro de la revue des sciences sociales du politique tout entier consacré à l’étude de la diffusion des idées féministes.

 

Vous écrivez dans l’introduction de ce numéro que l’ambition de vos recherches est de comprendre comment les individus se saisissent et s’approprient des idées portées par les mouvements féministes. Comment mesurer ce « degré de pénétration » des idées féministes ?

Il est effectivement difficile de «mesurer» au sens strict du terme l’intensité de diffusion des idées féministes. On peut en revanche constater, de manière générale, qu’au moins une partie des idées féministes est aujourd’hui défendue par des acteurs et actrices qui sont extérieur-e-s aux mouvements féministes. Les différents articles de la revue mettent ainsi en avant que la socialisation aux idées féministes produit toujours des appropriations, même partielles et sélectives : parce qu’ils et elles ont rencontré le féminisme au cours de leurs trajectoires sociales, des femmes, mais aussi des hommes, vont s’approprier des revendications portées par les mouvements féministes mais vont aussi se distancier d’autres.

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N’est-il pas problématique de parler des idées féministes comme d’un bloc monolithique alors qu’il y a de nombreuses controverses et débats d’idées dans les mouvements féministes ? Autrement dit, quelles sont les idées féministes que vous étudiez et dont vous parlez ?

Effectivement, les mouvements féministes ne peuvent être définis par l’affiliation à une idéologie ou un ensemble d’idées unique. Il y a bien des féminismes et non un féminisme. On peut néanmoins s’accorder sur des idées qui sont partagées par l’ensemble des féminismes. En l’occurrence pour ce dossier, nous avons retenu «la contestation de la hiérarchie matérielle et symbolique des sexes et l’affirmation de l’autonomie des femmes». De ce point de vue, les articles portent sur les logiques d’appropriation des idées féministes aussi bien défendues par le féminisme matérialiste radical, le féminisme défendu par les institutions publiques ou encore le féminisme différentialiste. L’intérêt est donc d’observer qu’indépendamment de la diversité interne aux mouvements féministes, les processus de diffusion et d’appropriation des idées qu’ils portent s’opèrent de manière similaire.

Vous écrivez que les idées féministes se diffusent par « capillarité » à l’échelle des individus. A quel point les idées féministes sont-elles répandues désormais à l’échelle de la société, en 2015 en France ?

C’est une question difficile, en raison notamment de la difficulté à mesurer ce que l’on vient d’évoquer. On observe que depuis les années 1970, les idées féministes se sont diffusées dans une grande diversité d’espaces sociaux : des associations, des partis politiques, des syndicats, des administrations, des universités, des secteurs professionnels ou encore des lieux culturels abritent des personnes et/ou des collectifs qui défendent les idées féministes en leur sein. l’ensemble de ces collectifs forment ce que Laure Bereni a appelé «l’espace de la cause des femmes». Les articles publiés dans ce dossier montrent que la promotion des idées féministes dans ces espaces variés produit des effets sur des individus initialement éloigné-e-s des mouvements féministes. De ce point de vue, on peut dire que les canaux de diffusion des idées féministes se sont nettement élargis ces dernières décennies. Cela ne signifie pour autant pas que tout le monde en France est féministe ! Au contraire, les articles mettent également en avant les obstacles qui existent à l’appropriation pour soi des idées féministes, et les réticences encore fréquentes à s’identifier à l’étiquette féministe.

De nombreux mouvements, groupes et individus sont mobilisé-e-s dans une « guerre culturelle », des débats d’idées en ligne, dans les médias afin de promouvoir et/ou défendre des idées féministes. Au vu des enseignements de ce numéro de Politix, quelles suggestions leur feriez-vous pour être mieux compris-e-s et entendu-e-s par toutes et tous ?

Ce numéro de Politix ne fournit pas de recette pour convaincre les gens de devenir féministes ! Il montre cependant l’importance pour les mouvements féministes d’une stratégie multi-positionnelle : c’est à partir de leur inscription dans différents espaces sociaux que leurs idées se diffusent plus largement. Pour cette raison, l’investissement d’Internet est un enjeu important, et de nombreuses féministes l’ont bien compris !

 

Propos recueillis par Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

Pour consulter le numéro de Politix en question, c’est par ici que ça se passe.

Alban Jacquemart est post-doctorant en sociologie au Centre Maurice Halbwachs. Il est l’auteur de « Les hommes dans les mouvements féministes. Socio-histoire d’un engagement improbable », Presse Universitaire de Rennes, 2015, 326 pages.

Laure Bereni est sociologue, chargée de recherche au Centre Maurice Halbwachs. Elle a récemment publié « La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir » , éditions Economica, 2015, 304 pages.

 

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