Articles récents \ DÉBATS \ Contributions L’Académie contre la langue française : le dossier «féminisation»

A la suite à l’élection d’Angela Merkel au poste de chancelière en 2005, on a pu trouver dans Le Figaro (porte-parole favori de l’Académie pendant très longtemps) la phrase suivante : « Chaussé d’escarpins à talons aiguilles et vêtu d’un coquet tailleur rose, le chancelier allemand a serré la main de Jacques Chirac. » En lisant cela, on se dit que la féminisation a encore du chemin à parcourir.

L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation » relate la guerre menée par les Quarante de l’Académie contre la féminisation de la langue française concernant les noms de métiers, fonctions et titres. L’idée de ce livre est née de l’affaire Sandrine Mazetier / Julien Aubert, ce dernier persistant à appeler Sandrine Mazetier « Madame le Président » en 2014.
« Le présent ouvrage retrace pour partie l’histoire de cette guerre picrocholine, qui n’est d’ailleurs pas tout à fait terminée, en incitant les lecteurs et lectrices à prendre du recul pour en comprendre les origines lointaines. Il donne à voir l’énergie, la violence, la mauvaise foi et le sexisme qui ont été mis au service de ce combat. Il donne à voir, surtout, l’incompétence d’une institution qui se proclame « gardienne » de la langue française, mais dont aucun membre ne maîtrise le b-a- ba de la linguistique, et qui ne réalise même plus elle-même l’inutile Dictionnaire de l’Académie qui est officiellement sa raison d’être. »

Quelques passages passionnants et traits d’humour.
« Tous ces exemples montrent à quel point, même si elle a reçu des renforts d’électrons libres parfois plus virulents et excessifs qu’elle, l’Académie française a travaillé à faire du masculin le genre grammatical devant lequel l’autre devait soit montrer sa soumission, soit disparaître purement et simplement. Elle a donc activement secondé, sur le terrain linguistique, l’entreprise menée sur le terrain philosophique et scientifique pour faire de « l’homme » (au singulier) le représentant de l’espèce humaine. »
« L’Académie, cependant, n’a jamais constitué, pour ses membres comme pour les hommes qui aspiraient à y entrer, qu’un levier permettant de s’élever au-dessus du commun des auteurs : un outil de distinction sociale et intellectuelle. Avec la complicité du pouvoir, évidemment, qui aurait fermé la boutique depuis longtemps si elle n’avait servi de miroir aux alouettes aux lettrés en mal de légitimation (et de moyen commode pour remercier des fidèles ou caser des parents). Quant aux véritables linguistes, longtemps considérés comme des empêcheurs de légiférer en rond, ils ont été soigneusement écartés de la Compagnie. »
« L’idée qu’ils pourraient jouer un autre rôle que celui du Père Fouettard ou du vieillard dépassé par les événements ne leur traverse apparemment jamais l’esprit. »
« Au vrai, le ridicule est une notion très subjective, qui dépend du degré d’acceptation ou de condamnation de la société – ou des autorités qui s’expriment en son nom. Les mots jugés risibles par l’Académie sont bel et bien employés dans d’autres pays francophones, ou l’ont été en France à d’autres époques. Et il est aisé de voir pourquoi elle voudrait qu’on en rie : ils désignent des positions de pouvoir dans lesquelles les femmes doivent continuer à se sentir illégitimes, ce que la Compagnie se garde bien d’expliciter. En se contentant de les frapper de ridicule et en s’en moquant lourdement, elle fait sentir aux femmes qu’elles risquent des moqueries si elles les utilisent ; et elle fait savoir aux hommes qu’ils peuvent se moquer de celles qui en usent. »
Ce livre montre l’incompétence et le conservatisme de l’Académie. Ces membres (moyenne d’âge : 77 ans) nés de Richelieu, comme ils le répètent à l’envi, ont toujours été incapables de produire un dictionnaire correct. Leurs exemples étaient élitistes, mais surtout ils avaient toujours un train de retard sur la langue usuelle. Avec seulement huit éditions en plus de 300 ans, cela peut se comprendre…
La première femme élue fut Marguerite Yourcenar en 1980 (que l’on ne vit guère sous la coupole après son élection) et seulement sept la suivirent. Son élection fut prétexte à de véhémentes discussions. Gaxotte déclara d’ailleurs : « Si on élisait une femme, on finirait par élire aussi un nègre. » Il n’avait pas tort : ce fut Léopold Sedar Senghor en 1983.
En 1984, la création d’une commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes par Yvette Roudy fut le déclencheur de leur colère. Une des missions de cette commission : « éviter que la langue française ne soit porteuse de discriminations fondées sur le sexe. » A les écouter, c’est la Révolution, c’est l’Apocalypse et la langue française ne s’en relèvera pas.
Leurs déclarations sont la preuve d’une ignorance, d’une arrogance, d’une mauvaise foi et d’un élitisme incroyables. Pire, elles relèvent souvent d’un sexisme révoltant. J’ai été sidérée par la violence de leurs propos. On a parfois du mal à croire que cela a été dit ou écrit au XXe siècle (voire XXIe siècle puisqu’un texte de Druon date de 2005).
Evidemment, l’offense, pour eux, concerne la féminisation des noms de fonctions supérieures. Les autres importent peu : pas de problème pour dire une boulangère, une hôtesse de l’air, une secrétaire… du moment que celle-ci sert un patron, et non pas l’Etat !
« Ce sont les autres qui les dérangent : celles qui bousculent l’ordre traditionnel en parvenant aux postes prestigieux qui étaient autrefois le monopole des hommes. Pour elles, une véritable anomalie est préconisée : à poste prestigieux, port obligatoire du nom masculin ! »
Des arguments éculés 
Ils rabâchent encore et encore les mêmes arguments éculés : « l’ambassadrice est la femme de l’ambassadeur » ou « le masculin est non marqué à l’inverse du féminin » et s’enfoncent de plus en plus au fil de années tandis que l’usage fait entrer la féminisation dans le langage quotidien.
Cet ouvrage s’attelle à démonter les arguments fallacieux utilisés par les habits verts. Pour ce faire, de nombreuse notes de bas de page soulignent leurs erreurs, apportent des précisions, etc.
Il y a beaucoup d’humour dans ces commentaires sur les textes d’Académicien-nes. Yannick Chevalier disait, lors d’une rencontre à la librairie Violette and Co, que cela avait été « assez amusant à faire. » De mon côté, je vous confirme que c’est très amusant à lire.
Toutefois, l’humour n’empêche pas le sérieux : autrices et auteurs savent de quoi elles/ils parlent. Elles/ils sont sociolinguistes, maître et maîtresses de conférence, écrivain-es, historiennes… : ce sont donc des personnes parfaitement compétentes pour discuter de la langue, de sa construction ou de son histoire, à l’inverse de l’Académie française qui ne compte pas de linguistes ou de grammairiens dans ses rangs.
Ce livre est organisé en chapitres qui filent la métaphore religieuse. Nous commençons bien évidemment par une présentation du Saint-Siège avant de découvrir les offenses et leurs douze points de doctrines. Suivent les bulles (les déclarations officielles) et les exégèses (différents articles écrits par des Académiciens). Ensuite, quatre suppliques (cris de désespoir adressés à Jacques Chirac, président de la République, René Monory, président du Sénat, Lionel Jospin, Premier ministre, et Ségolène Royal, ministre déléguée à l’enseignement scolaire – cette dernière supplique étant parfaitement méprisante) et un chapelet des perles clôturent le livre.
Nous avons hérité d’une langue masculinisée, souvent allant contre toute logique, et ce livre (comme le précédent ouvrage d’Eliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin !, que je vous conseille fortement également) est important. On prend conscience de certains usages bien ancrés dans nos têtes qui perpétuent cette masculinisation abusive de la langue française et on peut petit à petit se corriger pour adopter une langue non sexiste.
Quelques remarques d’académiciens :
« Quelle rage ont donc les femmes de vouloir se fourrer partout où sont les hommes ? Les vespasiennes disparaissant une à une, il ne nous restera bientôt plus le moindre domaine réservé. Il faut que les hommes aient quelques refuges. Il n’est pas bon pour leur santé et leur équilibre de passer tout leur temps avec les femmes. » Jean Dutourd
« Chacun sait que la femme a plus de pouvoir sur l’homme lorsqu’elle s’efface et qu’elle paraît disparaître. Partout, les femmes gouvernent mieux lorsqu’elles ne règnent pas. Leur secret, leur force est d’inspirer comme un souffle puissant, de tirer les fils des marionnettes mâles. » Jean Guitton, Le Figaro, 10 septembre 1984
« Cette histoire est un gadget. Ce sont les effets de la polygamie de Jospin qui est entouré de sultanes et qui, pour faire plaisir à son harem, relance une vieille idée. » Jean Dutourd, Le Figaro, 30 juin 1998
 
L’ourse bibliophile 
L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation », publié sous la direction d’Eliane Viennot, co-écrit par Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger et Anne-Marie Houdebine. Editions iXe, coll. xx-y- z, 2016.
 
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