Articles récents \ France \ Société Haut Conseil à l'Egalité f/h: l'éducation à la sexualité pour construire l'égalité femmes/hommes
Le Haut Conseil à l’Egalité femmes/hommes vient de rendre un rapport sur l’éducation à la sexualité, « levier indispensable » pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes. Questions à Margaux Collet responsable des études et de la communication au HCE f/h, co-auteure du rapport avec Françoise Laurant.
Quels sont les stéréotypes qui perdurent le plus sur la sexualité des jeunes ?
Le constat que nous faisons, c’est que l’éducation à la sexualité quand elle a été mise en œuvre dans les années 70/80 a eu un vrai effet en matière de prévention des risques : tout d’abord sur la prévention au SIDA et des MST, puis sur l’information sur l’accès aux moyens de contraception et à l’avortement. Ce travail a porté ses fruits, aujourd’hui les jeunes connaissent mieux leurs droits et se protègent plus puisque 90 % des premiers rapports sexuels sont protégés. Mais il ne faut pas relâcher les efforts puisque l’on sait qu’1 étudiant sur 3 n’utilise jamais de préservatif et qu’il reste beaucoup d’idées reçues et de méconnaissances sur la contraception, la grossesse, etc. Et il y a encore beaucoup de jeunes filles et garçons qui pensent que l’on ne peut pas tomber enceinte au premier rapport sexuel.
En revanche, là où l’on a pas ou peu avancé c’est sur la prégnance des stéréotypes de sexe chez les jeunes, filles et garçons. Ces stéréotypes dans l’enfance et l’adolescence sont très liés aux questions de sexualité : on constate par exemple que les insultes les plus courantes et les plus banalisées à l’encontre des filles ce sont « salopes », « putes » et pour les garçons « tapettes » « pédés ».
On a d’un côté la liberté sexuelle des filles, le fait qu’elles pourraient éventuellement avoir plusieurs partenaires. De l’autre, on a une norme de la virilité pour les garçons et le rejet de tout ce qui est féminin et d’une homosexualité réelle ou supposée.
Quels sont les enjeux de l’éducation à la sexualité filles/garçons ?
Si nous nous sommes intéressé-e-s à la question de l’éducation à la sexualité c’est que nous pensons qu’il s’agit d’une question centrale et d’un levier indispensable pour atteindre l’égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes. On voit bien que les stéréotypes et les inégalités sont très corrélés aux questions de sexualité, de la sexualité au sens large. Pour nous la sexualité ce n’est pas uniquement un rapport physique mais c’est tout ce qu’il y a autour : les rapports affectifs, la question du consentement, de la jalousie, etc. Il est par ailleurs avéré que l’éducation à la sexualité est un très bon moyen de prévenir les violences sexistes et sexuelles.
L’éducation à la sexualité, c’est dire à un enfant « ton corps t’appartient, on ne peut pas te toucher sans ton consentement » ou expliquer à une jeune fille que la sexualité doit être libre et consentie, que si elle n’a pas de désir ni de plaisir, y compris avec son partenaire, elle ne doit pas s’y sentir contrainte. Nous sommes là clairement dans un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes.
Qu’est-ce que l’éducation à la sexualité pour le Haut Conseil à l’Egalité ?
L’éducation à sexualité est prévue par une loi qui date d’il y a plus de 15 ans, la loi du 4 juillet 2001 relatif à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Cette loi étendait l’accès à l’avortement. Elle prévoyait également 3 séances annuelles d’éducation à la sexualité pour tous les enfants, du CP à la terminale.C’est donc une obligation légale de l’Éducation Nationale.
Si l’Education nationale doit jouer un rôle central, elle n’est en revanche pas la seule responsable en matière d’éducation à la sexualité : il revient à tous les adultes qui travaillent auprès des enfants et des adolescent-e-s de s’emparer de cette question mais également aux médias de jouer un rôle dans le message qui leur est délivré.
Le HCEf/h considère que l’éducation à la sexualité consiste à « doter les enfants et les adolescents des compétences et des connaissances qui leur permettent d’atteindre une vie sexuelle épanouie et sans violences. » Pour cela l’éducation à la sexualité doit être basée sur des informations scientifiques fiables – on sait que sur internet il y a des informations fausses scientifiquement mais également moralisatrices ou sexistes – sans jugement de valeur et adaptées au degré de maturité des jeunes à qui elle bénéficie. L’information ne doit pas être la même pour un enfant de 6 ans ou un-e adolescent-e de 17 ans qui a déjà une vie sexuelle.
Dans votre rapport vous avez défini 4 grandes priorités, quelles sont-elles ?
Nous appelons à un plan interministériel national d’action à l’éducation sur la sexualité. Comme je le disais, nous considérons qu’il n’y a pas que l’Éducation Nationale qui doit jouer un rôle mais aussi les ministères en charge des Droits des Femmes, du Handicap, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Nous souhaitons que chacun de ces ministères prennent leurs responsabilités sur cette question.
Concernant les 4 priorités que nous émettons, le préalable est la reconnaissance de la sexualité des jeunes. La dernière enquête exhaustive sur la sexualité des jeunes date de 1995. Aujourd’hui on a beaucoup évolué, le poids d’internet est prépondérant notamment sur leurs représentations. C’est pour cela que nous souhaitons une enquête nationale et scientifique sur les pratiques sexuelles et les représentations en matière de sexualité des jeunes qui devra notamment prendre en compte l’influence des réseaux sociaux et les pratiques numériques. Il s’agira d’identifier les sources d’informations des jeunes d’aujourd’hui afin de proposer une éducation à la sexualité mieux adaptée.
Notre deuxième priorité concerne l’école et près de la moitié de nos 30 recommandations s’adresse au ministère de l’Education nationale notamment en matière de pilotage, de financement et de formation des enseignant-e-s. Le pilotage est fondamental, car aujourd’hui l’éducation à la sexualité repose trop souvent sur la bonne volonté d’une infirmière, d’un-e enseignant-e, d’un-e chef-fe d’établissement. Or, il faut une cohérence à cette politique. C’est pourquoi nous préconisons des moyens humains afin qu’une personne à temps plein puisse prendre en charge, au niveau de chaque rectorat, les questions d’éducation à l’égalité et d’éducation à la sexualité. Aujourd’hui dans l’ensemble des académies, il y a seulement 8 personnes à temps plein sur l’éducation à l’égalité et il n’existe pas de référent-e dédié-e à l’éducation à la sexualité.
Nous préconisons également qu’une note soit adressée à l’ensemble des chef-fe-s d’établissement pour leur rappeler que l’éducation à la sexualité fait aussi partie du pilotage de leur établissement et qu’elle doit être intégrée à leur projet d’établissement.
Nous apportons également des recommandations sur la formation des enseignant-e-s et des personnel-le-s de l’Education, puisque notre baromètre réalisé auprès de 3000 établissements montre que seule une minorité a été formée sur ces questions. L’éducation à la sexualité cela s’apprend, il faut être formé pour en parler de manière adaptée aux élèves. Il ne s’agit en aucun cas de parler de sa propre sexualité.
Sur le financement, on voit que les acteurs sont très divers et multiples : agences régionales de santé, organes déconcentrés du ministère des Droits des femmes, Éducation Nationale, ministère de la Santé, etc. On se sait pas vraiment qui fait quoi, il n’y a pas de coordination et c’est un vrai casse-tête pour les associations de terrain. Cette dispersion est liée au fait que cette politique n’a jamais été pensée et coordonnée au niveau national. Pour y remédier nous souhaitons que soient rendus visibles les financements en matière d’éducation à la sexualité, notamment dans le document de politique transversale égalité femmes/hommes qui est annexé chaque année au projet de loi de finances.
Nous émettons aussi des recommandations sur les outils. Aujourd’hui, il n’ y a pas d’outils actualisés pour les enseignant-e-s. Quant aux jeunes, ils ne reçoivent pas d’outils en mains propres et ne connaissent pas les ressources fiables disponibles en ligne., Nous nous basons sur l’exemple de L’Essonne qui distribue un guide (Questions d’Ados) de manière systématique à tout-e-s les jeunes de 4 éme à l’issue de leur séance d’éducation à la sexualité. Ce guide mentionne notamment tous les lieux ressources dans leur ville, par exemple le centre du Planning familial le plus proche. Sur ce modèle, nous souhaiterions qu’un guide papier soit remis à tous les élèves de France. Nous promouvons par ailleurs le site Onsexprime de l’INPES qui propose des mini séries et des tchats avec des professionnel-le-s.
En matière d’informations, nous souhaiterions par ailleurs que les jeunes puissent avoir accès, sur un seul et même site internet, au lieu ressources le plus proche de chez eux, simplement en tapant leur code postal.
Une autre de nos priorités concerne les espaces de socialisation des jeunes, en dehors de l’école, et se base sur 4 exemples : la protection judiciaire de la jeunesse, les missions locales, les fédérations sportives, les colonies de vacances et centres de loisirs.
Nous avons par exemple identifié des leviers pour que les missions locales abordent la question de l’éducation à la sexualité. Nous montrons, exemples à l’appui, qu’une bonne santé sexuelle, un bien être, une meilleure estime de soi sur ces questions contribuent à une meilleure insertion professionnelle. Il est prévu dans la loi travail la généralisation de la garantie jeune, programme renforcé d’accompagnement des jeunes éloignés de l’emploi. Nous souhaitons qu’un module obligatoire soit intégré à ce dispositif d’accompagnement.
Autre exemple sur les colonies et centres de loisirs : il nous semble indispensable que les animatrices/animateurs sociaux culturels soient formé-e-s à répondre aux questions des jeunes sur la sexualité.
Nous nous intéressons aussi aux médias : radios, TV et internet. En ce qui concerne internet, nous souhaiterions qu’une campagne d’information cible les réseaux sociaux et fasse connaître le site onsexprime. A la télévision, nous nous appuyons sur l’exemple d’un programme norvégien très intéressant en direction des jeunes et de leurs parents pour suggérer aux chaines publiques le développement d’un programme humoristique à une heure de grande écoute pour ouvrir la discussion entre parents et jeunes. En ce qui concerne la radio, nous avons fait le constat que les seules qui proposent des discussions ouvertes sur la sexualité, ce sont les radios libres antennes jeunes. Le problème c’est que ces émissions ont en général un discours très sexiste ou assez violent. Nous préconisons donc de renforcer le contrôle du CSA sur ces radios mais aussi qu’elle diffuse des spots institutionnels et/ou associatifs.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
Rapport du HCE f/h