Articles récents \ DÉBATS \ Contributions La France et les ONG féministes face aux expert-e-s de la CEDEF

Tous les 4 ans, les pays signataires de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) doivent rendre un rapport sur les progrès accomplis dans l’application de ce texte onusien. C’est dans ce cadre que la France, a été auditionnée pendant la semaine du 4 au 7 juillet 2016, simultanément à la Birmanie et aux Philippines, afin de présenter ses 6 et  7 éme rapports. La délégation gouvernementale était conduite par Laurence Rossignol et plus d’une vingtaine de représentant-e-s ministériel-le-s.

La CEDEF est l’outil international le plus important pour la promotion de l’universalité des droits des femmes au delà des différences culturelles et religieuses.
Alors qu’il est fait très souvent référence à la Convention des droits de l’enfant, la CEDEF reste très largement méconnue et absente des décisions de justice en France. La procédure d’examen de la CEDEF prévoit que le rapport gouvernemental soit rendu à un comité de 23 expert-e-s chargé-e-s d’en faire une lecture critique et de produire des recommandations.
Le 4 juillet, les ONG au nombre de 9, dont 7 étaient présentes dans l’hémicycle, se sont partagées 10 minutes pour exposer leurs principales recommandations au comité CEDAW.
C’est pour celles ci un moment fort, car elles ont la possibilité d’interpeller les représentant-e-s de leur gouvernement et la CEDEF par une déclaration orale en se basant sur leur rapport « alternatif ».
La CLEF parce qu’elle coordonne plus de soixante associations dont les missions couvrent les différents domaines des droits des femmes, a été en mesure de traiter l’ensemble des sujets contenus dans le rapport gouvernemental.
Deux minutes d’intervention c’est court. Il a fallu choisir quatre priorités :

  • les violences contre les femmes. En effet, en France 1 femme décède tous les 3 jours, victime de son conjoint et 223 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint. Cependant, seules 14% des victimes portent plainte.
  • l’égalité dans les sphères économiques. Les Françaises subissent toujours un écart de salaire net de 19,2%. Et seulement 6 % des présidences des sociétés du CAC40 sont assurées par des femmes.
  • la lutte contre les stéréotypes de genre dans l’éducation, les médias, la culture, le langage s’avère indispensable. Les femmes sont sous représentées dans les métiers de l’information et la création artistique. La CLEF a été déçue de l’abandon, en 2014, des « ABCD » de l’égalite dont l’objectif était justement de lutter contre les stéréotypes de genre et le sexisme
  • Les discriminations concernant certaines femmes telles que les femmes immigrées, les femmes Rom, les femmes handicapées et les femmes lesbiennes.

En conclusion, nous avons affirmé que les droits des femmes ne peuvent progresser sans laïcité,  pour garantir l’émancipation et la liberté des femmes dans un contexte marqué par la montée des extrémismes religieux.

Outre la CLEF qui rassemble 65 associations, d’autres ONG ont présenté des rapports alternatifs à Genève.

Deux associations généralistes sur les droits humains ont présenté des positions qui vont dans le même sens que celles de la CLEF:

  • Regards de Femmes, association féministe qui fait partie de la CLEF . Son rapport était centré sur les menaces des groupes intégristes contre l’égalité femmes/hommes et les atteintes aux droits des femmes observables dès à présent (fillettes voilées, éducation inégalitaire, atteintes à la mixité, mutilations sexuelles, héritage inégalitaire, mariages sous contraintes). Sa conclution était à nécessaire prise en compte de ces situations par les politiques publiques.
  • La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) qui dans le rapport conjoint réalisé avec la Ligue des Droits de l’Homme, a couvert une large variété de sujets mettant notamment :  la formation à  l’utilisation de la CEDEF dans les procédures judiciaires, la situation des femmes en Outre-Mer et des femmes immigrées et plus généralement, l’éducation sexuelle et la question des grossesses précoces, les études de genre, la participation des femmes dans la vie politique et publique, l’emploi.

Deux associations ont prôné des positions contraires aux fondamentaux féministes.

  • La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) qui dans un rapport séparé portant uniquement sur l’article 6  de la CEDEF relatif à la prostitution et à la traite. A travers de multiples citations de la La Commission Nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH),  la LDH critique la nouvelle loi et la position de la France sur le sujet : « En France, la lutte contre la traite et l’exploitation des êtres humains est souvent principalement considérée sous l’angle de la prostitution et des violences faites aux femmes » alors que la LDH est d’avis que seule la traite doit être poursuivie, réfutant la légitimité et l’efficacité de la pénalisation du client ainsi que la non prise en compte de la liberté pour certain-e-s d’être des travailleurs du sexe. »
  • Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui  affirme qu’en 2015, 74% des victimes d’islamophobie étaient des femmes et qu’elles représentaient également la quasi-totalité des agressions physiques. Le Collectif s’attaque en particulier aux lois de 2004 sur les signes religieux à l’école, et celle de 2010 sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public. Tout comme la LDH, le CCIF s’appuie sur le Comité des Droits de l’Homme selon lequel ces deux lois « [portent] atteinte à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction et qu’elles [affectent] particulièrement les personnes appartenant à certaines religions et les filles ». En résumé : le CCIF affirme que «l’islamophobie est non seulement une forme particulière de racisme, c’est aussi et surtout une forme de sexisme »  et que « l’islamophobie en France est largement institutionnelle. En 2015, l’Etat et ses institutions sont responsables de 64% du total des actes islamophobes recensés. »
En réponse à ces critiques, on retiendra que Mme Rossignol a défendu avec force la nouvelle loi contre la prostitution, totalement conforme à la position abolitionniste de notre pays. En ce qui concerne la question de l’islamophobie elle a souligné son attachement à « protéger la liberté d’opinion » tout en luttant contre « le racisme antimusulman ». Elle a réfuté l’emploi du mot « islamophobie qui assimile la défense de personnes à une restriction de liberté. Le discours critique sur les religions n’entame en rien la protection de la liberté de religion »
 
Dans la droite ligne de Simone de Beauvoir
Au cours des différentes auditions et des rencontres avec les experts de la CEDEF tout au long de la semaine, il a été remarqué leur volonté de relever essentiellement  certains points tels que la situation des populations autochtones en Guyane, les discriminations dont disent souffrir les femmes musulmanes françaises voilées, les conditions d’accueil des migrantes et leurs inquiétudes par rapport aux personnes prostituées en France du fait de la loi d’avril 2016.
La Ministre a regretté dans sa conclusion que l’égalité professionnelle et les droits sexuels et reproductifs n’aient pas été abordés alors que son action quotidienne  » se situe dans la droite ligne de Simone de Beauvoir pour laquelle ces deux points sont des conditions indispensables à l’autonomie des femmes.  » Elle observe que parfois, il y a contradiction entre respect des cultures et égalite F/H; Il convient de l’aborder avec humanité et lucidité.
Explicitant son rôle de ministre, elle a indiqué qu’il fallait défendre les femmes victimes de racisme, tout en protégeant la liberté et le mode de vie de celles qui ont la volonté de s’émanciper de l’emprise religieuse et de la multiplication des interdits à l’adresse des femmes.
Vis à vis des experts, sur cette question essentielle, les ONG féministes ont fermement. témoigné leur solidarité avec la position ministérielle ainsi que sur l’adoption de la nouvelle loi remettant en cause le système prostitutionnel.
 
Annie Sugier, Présidente de la Ligue Internationale du Droit des Femmes et membre de la CLEF, et Françoise Morvan présidente de la CLEF.
 
Parmi les ONG présentes, 4 associations spécialisées, traitent des thématiques sensibles et présentent des réflexions intéressantes sur :
Genre, paix et liberté (Women’s International League for Peace and Freedom / Intersexualité et actes médicaux irréversibles (StopIGM / Zwischengeschlecht) / Situation de femmes dans les  Nations Autochtones de Guyane (Organisation des Nations Autochtones de Guyane) / Conditions de détention des immigrantes (Global Detention Project).
Photo de Une: de gauche à droite Isabelle Trimaille (AFDU) Laurence Rossignol, Françoise Morvan et Annie Sugier
 
 
 
 
 
 
 
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