Articles récents \ Île de France A la rencontre de Michelle Larroy, militante féministe de la Maison des Femmes de Paris

Cette année, la Maison des Femmes de Paris fête le vingtième anniversaire de son emménagement rue de Charenton. L’occasion de revenir  avec Michelle Larroy, trois fois présidente de la Maison des Femmes de Paris et écoutante dans un groupe de parole, sur le parcours et les actions de cette association.

A l’origine de la Maison des Femmes de Paris se trouve l’un des groupes femmes de Saint Denis, établi dans les années 1970 et 1980. L’association y organise des permanences hebdomadaires pour les femmes victimes de violences, leur offrant un accueil, une écoute, mais aussi des conseils juridiques. A l’époque, l’encadrement juridique des violences conjugales est minimal : le viol sera reconnu comme un crime en 1980, le viol conjugal en 1992. Les violences conjugales, d’une manière générale, sont peu reconnues et médiatisées. Les femmes de Saint Denis seront donc des precurseures de la lutte contre les violences et de la revendication pour un encadrement juridique plus abouti. Une lutte difficile à mener, puisqu’il faut attendre l’arrivée du PS au pouvoir, en 1981, pour que soient accordées les premières subventions. La première Maison des Femmes sera inaugurée en 1982, et elle emménagera en 1998 dans ses locaux actuels, rue de Charenton.

 

Accueillir et écouter les femmes

Les femmes qui arrivent à la Maison des Femmes sont victimes de violences, et beaucoup sont encore sous le joug de leurs agresseurs, qui, dans certains cas, les suivent parfois dans rue, parfois même jusqu’à la Maison des Femmes. Pour préserver les femmes, leur offrir un endroit sûr où les agresseurs ne peuvent rentrer, la structure est un espace non mixte, même si, pour celles qui le souhaitent, il y a parfois des débats mixtes.

Aujourd’hui, l’action de la Maison des Femmes est centrée sur l’accueil et l’écoute des femmes. La structure privilégie l’action par le groupe de parole, dont la supervision est confiée le plus souvent à des psychologues vacataires, ou plus rarement à des femmes bénévoles formées par le CFCV. Cinq groupes de paroles sont  actuellement organisés par la Maison des Femmes.

Le premier reçoit des femmes victimes de violences conjugales et intra familial ; un autre accueille des femmes qui sont mères et se questionnent dans leur rapport à l’enfant, soit parce qu’elles ont subies des violences en tant qu’enfant qui se répercute sur leur rôle de mère, soit parce qu’elles subissent des violences de la part de leurs enfants. Deux autres groupes sont dédiés au viol et recueille des récits d’incestes, de viols dans le cercle familial ou pendant l’enfance. Le dernier groupe est un groupe de premier accueil, qui prend en charge les femmes venant pour la première fois, débutant leurs parcours de reconstruction.

Encourager la diversité

Ces groupes sont marqués par la diversité géographique : les femmes viennent de Paris intra-muros mais aussi de toute l’Ile de France, et certaines font même le trajet depuis des villes de province qui ne disposent pas de structures d’accueil. Les femmes qui fréquentent ces groupes diffèrent également par leurs âges. Si en moyenne, elles ont une trentaine d’année, la Maison des Femmes voit cohabiter des profils très différents. Certaines femmes  ont une cinquantaine d’années et commencent une démarche à la  suite du départ de leurs enfants, beaucoup ont entre vingt et vingt-cinq ans. Le mouvement MeToo, a également servi de déclic à beaucoup de femmes, en particulier les très jeunes, à tel point que la Maison des Femmes a constaté un rajeunissement de l’âge des  nouvelles accueillies, beaucoup ayant tout juste dix-huit ans.  «Des moments comme Metoo font des prises de conscience gigantesques», affirme Michelle Larroy, qui remarque que depuis MeToo, les femmes sont «plus conscientisées, plus politisées, elles se revendiquent plus comme féministes.»

Pour elle, ce regroupement de femmes différentes en groupe leur permet de tisser des liens, de s’entraider, de se reconnaître dans des histoires semblables. Elle explique «parfois il y a des miroirs qui se créent, que l’ont aurait jamais imaginé, entre vieilles et jeunes, entre noires et blanches, entre occidentales et subsahariennes, entre grandes bourgeoises et gardiennes d’immeubles. J’ai vu de très belles choses, c’est pour moi une sociologie féministe extraordinaire.»

Encourager les femmes à sortir des violences

En plus de ces groupes de parole, qui se déroulent une fois par mois, la Maison des Femmes organise des permanences, une fois par semaine. Celles-ci sont des premières prises de contact. Elles attirent des femmes de tous âges, et, en particulier, de très jeunes filles qui sont victimes de violences de la part d’un partenaire mais qui ne se sentent pas concernées par les notions de couple et sont donc peu atteintes par les campagnes de sensibilisation sur les violences conjugales. La Maison des Femmes propose également, une à deux heures par semaines, une permanence assurée par une psychologue.

Elle met également à la disposition des femmes un soutien juridique, en accueillant une permanence du CIDFF, qui informe les femmes sur le dépôt de plainte, les possibilités d’actions. Michelle Larroy nous le précise, la Maison des Femmes ne pousse jamais les femmes à porter plainte lorsqu’elles ne sont pas prêtes, mais elle les entoure lorsqu’elles prennent cette décision. Elle estime que parmi les femmes qui sont suivies par la Maison des Femmes, les deux tiers sont en cours  d’instance,  ou en initie une.

Aider les femmes à renouer avec leurs corps

Les violences vécues par ces femmes ayant marqué leurs corps, beaucoup ont des difficultés à avoir un rapport apaisé avec celui-ci, certaines rejettent le suivi médical, en particulier gynécologique. C’est pourquoi la Maison des Femmes organise parfois des ateliers de sophrologie et d’autodéfense, pour apprendre aux femmes à se réapproprier leurs corps.

Grace à son expérience en tant que professeur d’art plastique, Michelle Larroy est convaincue qu’il est possible d’aider les femmes autrement qu’avec des mots. Elle a donc souvent organisé des ateliers d’art thérapie, « on abandonne quasi le langage, ou une oralité dont on a peur de se servir » confie-t-elle. La structure propose également des ateliers de chant, de théâtre, pour que les femmes puissent travailler sur le cri, la voix, pour qu’elles apprennent à oser parler, chanter en public. Ces ateliers font parfois l’objet de réticences de la part des femmes, en partie dues au fait que beaucoup n’ont jamais été confrontées à l’art et à des activités artistiques Elles pensent qu’elles n’ont pas le temps pour cela, ou que ce n’est pas pour elles. Pour les femmes subsahariennes en particulier, il y a souvent un blocage, car l’art étudié en histoire de l’art, l’art académique, est très européen. Néanmoins, les réticences s’évanouissent très rapidement, et les femmes parviennent à «retisser en lien entre l’Histoire de l’art et les histoires personnelles.»

 

Pauline Larrochette 50-50 magazine

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