Articles récents \ Monde Fawza Al Yussef : « Nous avons une culture de l’autodéfense, car nous sommes un peuple opprimé depuis longtemps. »

La première conférence Revolution in the making organisée par le réseau des femmes kurdes s’est tenue à Francfort les 6 et 7 octobre dernier. Elle a rassemblé 500 femmes venues du monde entier pour témoigner de leurs expériences et réfléchir ensemble aux combats à mener pour faire progresser l’émancipation des femmes dans le monde et l’égalité entre les femmes et les hommes. Ateliers et tables rondes ont permis d’associer expériences de terrain et réflexions académiques. Le territoire du Rojava est un laboratoire très particulier où les théories politiques du leader kurde Öcalan (fondateur du parti des travailleurs du Kurdistan, détenu en isolement carcéral depuis 1999 dans une geôle turque) sont mises en pratique en matière d’éducation à l’égalité dès la petite enfance et la coprésidence en matière de partage du pouvoir et de prise en compte des intérêts particuliers des femmes, trop souvent balayés ailleurs par les hommes politiques. 50-50 magazine a interviewé Fawza Al Yussef, une femme politique kurde qui intervenait lors de cette conférence.

Comment êtes-vous arrivée à la fonction que vous occupez actuellement ?

Je suis la co-présidente du Conseil de la Fédération du nord de la Syrie, cela fait 25 ans que je fais de la diplomatie pour la cause kurde. J’étais étudiante avant de m’engager. Faisant face aux répressions du régime syrien, j’ai décidé d’arrêter mes études et de m’engager dans la diplomatie du mouvement kurde, j’ai commencé par faire de la diplomatie pour le mouvement des femmes kurdes. Je suis membre des co-fondateurs du Kongra Star, qui est au Rojava le mouvement des femmes kurdes le plus important.

Comment avez-vous construit votre réflexion féministe ?

La luttes des femmes est une des bases de la lutte sociale de la communauté kurde, car il y a des répressions importantes contre les femmes au sein de la communauté. Oui, c’est une société patriarcale. Les difficultés que vivent les femmes dans la communauté m’ont conduite à ma position et ma réflexion féministes.

Est-ce que dès le début vous avez fait des liens avec le féminisme dans d’autres pays ?

Bien sûr nous avons fait des recherches et des lectures sur les expériences des autres mouvements de femmes, nous avons aussi des relations avec d’autres femmes. Mais nous avons des problématiques spécifiques à notre communauté, nous avons beaucoup réfléchi sur nos femmes à nous, les femmes de notre communauté.

Vous avez dit que le problème était de passer de la théorie à la pratique. En Occident on a un peu le même problème. On a obtenu des lois plus favorables aux femmes, mais dans la pratique le patriarcat reste solide. Comment propager des actions qui sont réalisées au Kurdistan, notamment les académies ? Comment les avez-vous pensées et organisées ?

Nous avons une culture de l’autodéfense car nous sommes un peuple attaqué, opprimé depuis longtemps. C’est pourquoi nous avons pensé à l’académie, qui a un programme de recherches pour régler les problématiques féministes.

Concrètement, est-ce que les hommes ont des obligations à participer à des académies ?

En général, il faut que les personnes soient bénévoles, volontaires, pour prendre part aux formations, mais les personnes qui prennent place dans les assemblées, qui ont un rôle important, ont l’obligation de suivre des formations.

Vous avez parlé de la co-présidence, c’est une très belle idée, comment avez-vous réussi à l’imposer en pratique ? En France nous luttons, mais les hommes sont encore très réticents à laisser une place aux femmes en politique.

Ce genre d’acceptation se fait dans des situations de crise ou révolutionnaire. Dans nos territoires, il y avait une crise et une révolution, c’était donc plus facile de mettre en œuvre quelques solutions. Bien sûr au début des hommes refusaient, mais les femmes ont insisté, et quand les hommes ont vu que les femmes participaient réellement, et qu’il y avait de bons résultats, leur regard a changé.

Est-ce qu’il y a des hommes qui continuent à lutter contre l’avancée des femmes, et est-ce que vous avez commencé à éduquer les enfants différemment, est-ce que ça a porté ses fruits ?

Bien sûr il est difficile que tous les hommes acceptent, mais par rapport à avant il y a moins d’opposition, ils sont plutôt timides à s’y opposer. Pour l’éducation des enfants, on révise les programmes éducatifs, on essaye de réaliser des programmes pour que les enfants prennent conscience qu’il faut travailler à l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Propos recueillis par Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine

 

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