Articles récents \ Île de France Isabelle Louis: «la valeur historique du Planning Familial nous légitime et nous aide à être entendues» 1/2

Le Planning Familial est structuré en associations départementales autonomes, chacune est un lieu de transmission des luttes féministes. Les militantes du Planning Familial de Paris continuent de transformer leurs pratiques à partir des difficultés rencontrées sur le terrain. Pratique et analyse théorique s’informent réciproquement et entrent parfois en tension.

Comment s’organise le Planning Familial de Paris?

Nous faisons partie des gros centres du mouvement, avec Grenoble et Marseille. Nous avons trois centres de planification qui permettent l’accueil anonyme et gratuit de toutes les femmes, notamment les mineur.es et les femmes sans papiers. Elles peuvent accéder à une consultation avec une médecin ou une sage-femme. Les produits contraceptifs sont gratuits ainsi que le bilan contraception, le frottis et le test de grossesse.

Avez-vous des médecins sur place?

Des médecins généralistes et des sage-femmes, spécialisé.es en gynécologie, sont là sur des temps de vacation. En leur absence, nous proposons aux femmes des dépannages pilule, des auto-dépistages du chlamydia et du gonocoque, la contraception d’urgence, des tests de grossesse. Nous sommes formées par les équipes médicales. On croit souvent que la planification est nécessaire pour les mineur.es, mais vu la raréfaction des médecins et des gynécologues, elle est aussi nécessaire pour les femmes adultes qui ont une sécurité sociale, qui ont besoin de voir des professionnel.les de qualité.

Quel est le statut des personnes qui travaillent avec vous et d’où proviennent vos financements?

Nous sommes une équipe de militant.es à statuts différents : soit salarié.es, soit bénévoles. Nous essayons d’être en autogestion, mais les sommes reçues ne peuvent pas être utilisées à notre gré.

Notre financeur majoritaire est le service de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) de la Ville de Paris, via la délégation à la famille et à la petite enfance, pour nos actions de planification. L’État nous finance dans le cadre de notre statut d’établissement d’information, conseil conjugal et familial. Nous avons aussi des financement sur projets, via le ministère de la Justice : nous co-animons une permanence d’accueil pour femmes victimes de violences aux Unités Médico-Judiciaires de l’Hôtel Dieu, et notre fédération régionale nous donne des fonds qui proviennent soit du conseil régional d’Île-de-France, soit de l’Agence Régionale de Santé (ARS), soit du fonds de développement de la vie associative. C’est de l’argent ciblé. Pour développer notre autonomie, nous arrivons à gagner un peu d’argent avec les adhésions, et nos activités de centres de santé qui développent l’IVG médicamenteuse. Malgré l’engagement de longue date de nos financeurs, comme partout dans le monde associatif, les subventions ne font que baisser, les dépenses ne font qu’augmenter, nous serions complètement déficitaires si nous ne vivions que sur les fonds publics.

Vous êtes nées des luttes et des mouvements sociaux, comment articulez-vous aujourd’hui votre pratique et vos luttes militantes?

Tout d’abord nous mettons en place l’écoute active et bienveillante. Nous identifions avec les femmes les zones d’ombre ou de tension de leur vie pour élaborer nos revendications. Nous partons de nos pratiques tout en continuant à réfléchir sur la problématique de la santé sexuelle en dehors de nos pratiques, qui restent très hétéronormées. En tant qu’institution, les gens ont recours à nous en fonction de l’image que nous renvoyons, donc il y a des sujets sur lesquels nous intervenons moins, mais sur lesquels nous portons quand même un regard et une analyse féministes.

Par exemple, nous avons organisé une journée d’information sur les exclues de l’IVG à partir de nos échanges avec elles sur les questions de départ à l’étranger pour avorter. Nous leur avions demandé si elles se sentaient en capacité de témoigner, mais une fois que l’avortement est fait, elles passent à autre chose, ce qui est complètement normal. Elles ne se sentent pas encore dans une société qui accueille bien leur décision, que ce soit dans le cadre légal ou illégal. Nos revendications naissent de ce que nous vivons avec les femmes.

Comment vous situez-vous par rapport aux questions de transidentité, des personnes viennent-elles vous voir pour des suivis de transition de genre?

Nous n’avons pas du tout été identifiées sur ces questions-là. Des médecins qui sont vacataires chez nous travaillent sur ces questions dans des centres de santé municipaux. Même si nous nous disons ouvertes, nous pouvons encore être dans des positions discriminantes, ne pas être complètement à l’écoute et être désarçonnées par les demandes. Les réseaux qui se construisent sur ces questions spécifiques sont encore les meilleurs pour y répondre.

Nous avons eu une commission qui s’appelait «déconstruction de l’hétéronormativité» qui nous a formées à essayer d’ouvrir nos œillères. La transidentité questionne aussi le mouvement féministe. Il y a d’une part la posture d’ouverture : il n’est pas question de discriminer les gens pour ce qu’ils vivent. Il y a des personnes non-binaires, ni homme ni femme, qui balancent d’un moment à un autre de leur vie, ou même de la semaine, c’est très fluide, et il y a également des personnes qui ont des identités très claires. Pour les personnes cisgenres, il peut y avoir une inquiétude : est-ce que le terme de «femme» va disparaître des revendications ? Il y a une posture d’ouverture et une posture qui pose la question : où est-ce qu’on va politiquement, comment est-ce qu’on peut réfléchir ensemble ? Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas accueillir les publics, mais pour la mise en place de revendications communes, pour le 25 novembre ou le 8 mars, il y a des moments de tension, où on a du mal à s’entendre. S’il y a ces moments de tension dans la lutte, même si on se veut un lieu d’accueil, les personnes concernées peuvent en avoir des échos et ne pas se sentir à l’aise pour venir nous voir.

En tant que Planning Familial de Paris, comment vous situez-vous par rapport au Planning Familial national?

Il y a le positionnement de notre mouvement national avec lequel notre association (Planning Familial de Paris) n’est pas toujours en accord. L’association de Paris a rendu public son désaccord avec le national sur le sujet de la prostitution.

Les manifestations du 25 novembre et 8 mars sont toujours des moments importants, car nous avons toutes (parmi les militantes qui font de la planification, il n’y a qu’un seul militant médecin homme) à cœur de bien accueillir tout le monde. Parfois nous mettons en avant des revendications qui invisibilisent un peu notre pratique d’ouverture et d’écoute.

Les deux sont pourtant toujours en lien et en co-construction. Les revendications informent la pratique et inversement.

Il y a des revendications liées à notre réflexion et à nos pratiques. Ainsi, la prostitution nous clive avec le Planning Familial national, et avec d’autres dans les manifestations. Le Planning Familial national soutient la position de Médecins du monde pour des raisons d’accès à la santé : il soutient que la loi qui pénalise les clients rend encore plus difficile l’accès aux soins pour les personnes qui se prostituent. L’accès aux soins pour toutes et tous nous rassemble. Mais notre analyse ressort de ce que nous disent les jeunes dans les animations au sujet de l’image des femmes, de l’image de ce qui est émancipateur pour les femmes, cela fait des années que l’on entend parler du «michetonnage». Pour nous et pour la loi, c’est de la prostitution. Cette idée est portée par des valeurs qui pour nous sont positives: l’idée qu’une femme va s’émanciper par son travail, va avoir son argent pour elle pour en faire ce qu’elle veut, et soit libre de son corps.

L’idée que l’émancipation passe uniquement par l’argent, qu’on puisse avoir une lecture des rapports entre les femmes et les hommes qui ne pourraient être que des rapports d’échanges commerciaux, nous dérange. Cette réduction du champ des possibles nous alerte.

Est-ce que la position du PF national contre les lois abolitionnistes a remis en question des financement de l’État?

Le but de notre mouvement est de dénoncer les dysfonctionnements, quels qu’ils soient. Nos financeurs le savent. C’est pour cela que l’État nous demande notre avis sur certains sujets. Au niveau national nous n’avons pas perdu de financements, mais nous en avons perdu au niveau local. Certaines associations, dans le 92 par exemple, ne sont plus financées par les conseils départementaux, et même par l’Agence Régionale de Santé.

La position d’association féministe met dans une situation difficile : une position de dénonciation, mais liée par les financements…

Le risque se situe aussi dans les commandes de l’État : les indicateurs que nous demande de pointer l’État pour savoir si nous fonctionnons bien. Nous nous battons là-dessus : les ministères nous posent des questions qui n’ont pas lieu d’être. Par exemple, cette histoire du «paradoxe français» inventé par Israël Nisand, le fait que les femmes en France ont une bonne couverture contraceptive, et que le taux d’IVG ne baisse pas. Pour nous, ce n’est pas un paradoxe. C’est normal : les femmes qui utilisent la contraception et qui ont une grossesse non désirée continuent à ne pas vouloir de grossesse.

J’ai travaillé dans d’autres secteurs associatifs, moins institutionnalisés, et finalement nous étions encore moins écoutées sur nos revendications de terrain. Les associations qui ne sont pas à Paris bénéficient de moins de privilèges et doivent développer des stratégies pour continuer à vivre. Il ne faut pas devenir la caution féministe des politiques, mais j’ai l’impression que le Planning Familial ne s’en sort pas trop mal, nous arrivons encore à être le caillou dans la chaussure.

Nous continuons à dénoncer, à être en colère. La valeur historique du Planning Familial nous légitime et nous aide à être entendues.

 

Propos recueillis par Alice Gaulier 50-50 Magazine

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