Articles récents \ France \ Société Françoise Brié: « les violences s’inscrivent dans un contexte d’inégalités qui les favorisent »

Francoise Brié est à la tête de la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), une organisation mal connue du grand public qui pourtant porte un vaste réseau d’associations qui viennent en aide à un grand nombre de femmes victimes de violences sur tout le territoire. Ses missions sont multiples et toujours au plus près du terrain. Il nous fallait en savoir plus.

Comment s’est crée la FNSF ?

La FNSF a été officiellement créée en 1987 mais elle existait déjà informellement grâce à un réseau d’associations issues du mouvement féministe. Dès les années 70, à force de manifestations, il a créé les premiers centres d’accueil et d’hébergement spécifiques pour les femmes victimes, y compris en occupant des locaux avec les femmes concernées. Avec engagement et détermination, elles ont réussi à ce que les violences faites aux femmes et en particulier les violences conjugales sortent de la sphère privée pour entrer dans le débat public.

Solidarité Femmes a toujours été présente dans le débat politique national sur la lutte contre les violences. Impulsion du 25 novembre en France en 2002, puis de la première étude nationale sur les féminicides conjugaux en 2005, plaidoyers pour faire évoluer les lois, recherches actions, les associations ont été forces de propositions : pour étendre les circonstances aggravantes aux ex-conjoints, pour concevoir l’ordonnance de protection, rendre plus efficace la répression et renforcer la prévention des violences. C’est un réseau parmi les plus expérimentés du fait de ses actions quotidiennes de terrain.

Aujourd’hui la FNSF est constituée de 67 associations, de l’équipe du 3919, Violences Femmes Info et d’un siège avec plusieurs missions spécifiques pour soutenir à la fois les professionnel.les du réseau et du 3919.

Quelles sont les missions de la FNSF ?

Regroupant des associations féministes et laïques, elle lutte contre toutes les formes de  discrimination et de violence subies par les femmes et leurs enfants et pour que soit garanti leur droit à la dignité et à la liberté. Elle vise le changement des mentalités et des comportements pour l’égalité entre les femmes et les hommes et pour faire reconnaître les violences faites aux femmes comme l’une des manifestations des inégalités persistantes entre les femmes et les hommes.

Elle est engagée aux côtés des femmes pour leurs droits et pour les accompagner vers  l’autonomie.

Tous les dispositifs créés par la FNSF sont spécialisés pour les femmes victimes de violences : ligne d’écoute nationale 3919 Violences Femmes Info, lieux d’accueil, accueils de jour, et centres d’hébergement. Nous tenons à cette spécificité et cette spécialisation du fait de la particularité des violences faites aux femmes et de leur continuum, du danger qu’elles induisent et des réponses spécifiques à apporter tout au long du parcours de sortie des violences.

Les actions de prévention auprès du public et en particulier des jeunes, comme les actions de sensibilisation et de formation s’attachent à déconstruire les stéréotypes sexistes.

Pour la FNSF, ce sont entre 45 000 et 50 000 appels qui sont traités chaque année par le 3919, plus de 30 000 femmes accompagnées hors hébergement et près de 5 000 femmes et enfants suivis en hébergement avec plus de 2 700 places d’’urgence ou plus pérenne, 51 accueils de jour et des permanences de proximité (hôpitaux, mairies, commissariats etc.). Plus de 20 000 personnes profitent d’actions de prévention, de sensibilisation ou de formation. Solidarité Femmes participe aussi à la mise en place des plans triennaux de lutte contre les violences faites aux femmes à travers, à titre d’exemple, des actions pour les enfants exposés aux violences conjugales, en étant structures référentes départementales violences conjugales, ou participant au dispositif téléphone grave danger. Un dispositif de mise en sécurité par éloignement géographique a été mis en place : les demandes d’hébergement pour ces femmes sont gérées par le siège puis transférées vers le réseau Solidarité Femmes.

Enfin, nous articulons entretiens individuels de suivi avec des actions collectives, essentielles pour comprendre la dimension sociétale des violences, qui ne sont pas un problème individuel. Les femmes se sentent ainsi soutenues, solidaires, déculpabilisent et comprennent mieux la stratégie des agresseurs et le cycle des violences avec les équipes professionnelles multidisciplinaires (psychologues, assistant.es sociales/sociaux, éducatrices/éducateurs, juristes..).

La FNSF gère le 3919 Numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnel.les concerné.es. Quelle est l’historique de ce numéro et quels sont les constats tirés depuis sa mise en service? «Me-too» a t’il généré plus d’appels? Suivez-vous plus de femmes?

En 1989, sous l’impulsion des pouvoirs publics et de la FNSF, les premières campagnes sur les violences conjugales ont abouti à des milliers d’appels. Une première plateforme d’écoute Violences conjugales Femmes Info a été créée en 1992. Elle a évolué vers le numéro national d’écoute le 3919 en 2007, ouvert à toutes les formes de violences faites aux femmes en 2014. Solidarité Femmes a donc initié et gère l’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, en particulier conjugales depuis son démarrage. Elle travaille pour l’orientation avec les associations du réseau Solidarité Femmes mais aussi l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), le GAMS (Groupe Femmes pour Abolition Mutilations Sexuelles et des Mariages Forcés), la FNCIDFF ( Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles), le CFCV (Collectif Féministe Contre Le Viol), le MFPF (Mouvement Français pour le Planning Familial), Femmes Solidaires et d’autres partenaires comme les avocat.es et les services de police si les femmes souhaitent déposer plainte. Après l’écoute (à plus de 80%, il s’agit d’un premier appel), les conseils et l’information sur les droits, les femmes sont orientées vers les dispositifs de proximité nécessaires pour un suivi à plus long terme.

Au 3919, nous avons observé une augmentation des appels durant le dernier trimestre 2017 sur toutes les formes de violences sexistes et principalement les violences sexuelles hors couple. Nous avions déjà connu des pics d’appels mais ce qui est nouveau c’est l’augmentation continue de ces appels au premier semestre 2018 puis avec les campagnes de communication finalement toute l’année 2018. Les violences conjugales restent cependant la grande majorité des appels au 3919.

Les données sont disponibles sur notre site de même que nos spots.

Les associations Solidarité Femmes ont aussi constat, pour la plupart, une augmentation de la fréquentation de leurs dispositifs et des demandes des femmes auxquelles il est indispensable de répondre. Dans de nombreux départements, nos centres d’hébergement sont saturés, or la mise en sécurité passe par un hébergement spécifique et rapide dès la sortie du domicile, disposant d’équipes formées et expérimentées sur les violences conjugales, leurs conséquences sur les femmes et les enfants mais aussi les articulations avec les services de police, de justice, de santé. Etc.

Accompagner une femme victime demande aussi du temps pour les démarches juridiques, la reconstruction y compris des enfants, le retour à l’autonomie, l’emploi, le relogement. Et donc des moyens conséquents à la hauteur du défi que représentent les violences faites aux femmes.

Comment se déclinent les problématiques de violences fondées sur le genre selon leurs statuts (issues de l’immigration, migrantes, réfugiées, divorcé.es, etc) et leurs milieux socio-économiques?

Les violences touchent tous les milieux socio économiques, tous les pays. Elles s’inscrivent dans un contexte d’inégalités qui les favorisent. Plus ces inégalités dans l’accès à l’éducation, aux ressources, dans la sphère publique mais aussi privée sont importantes plus les violences sont prégnantes. Nous notons aussi que les violences précarisent et qu’être une femme étrangère est un facteur de risque de violences graves. Pour les femmes étrangères, s’ajoutent en effet des violences administratives, la méconnaissance des droits et de la langue parfois. Aussi nous avons élaboré une série de vidéos pour qu’elles puissent mieux comprendre leurs droits.

Au 3919 des différences sont constatées entre auteurs de violences et victimes en comparaison à la population générale. Les femmes victimes sont moins en emploi, ont moins de ressources. Nous voyons là l’impact des violences économiques qui maintiennent la victime dans une situation de dépendance et se poursuivent après la séparation avec le non paiement de la contribution alimentaire par exemple.

Quelles sont les avancées ? Y-a-t-il des reculs? Quelles seraient les changements qui pourraient permettre une société avec peu ou pas de violences fondées sur le genre ?

Les lois ont évolué positivement en France depuis les années 90 (reconnaissance du viol conjugal par ex), la loi de 2010, 2014 et la dernière loi qui reconnaît des circonstances aggravantes lorsque les enfants sont exposés aux violences conjugales, en font partie. Cependant nous notons une disparité d’application dans les départements, par exemple pour les ordonnances de protection trop peu nombreuses. Un élément qui est essentiel reste une vraie prise en compte des violences conjugales pour tout ce qui touche aux enfants, à l’exercice de l’autorité parentale, aux droits de visite et d’hébergement. Un stéréotype qui reste encore prégnant est qu’un auteur de violences peut être un «bon» père. La sécurité des femmes et des enfants après la séparation doit rester une préoccupation majeure.

Par ailleurs nous sommes confrontées à des mouvements masculinistes qui prônent la résidence alternée sans réserve et sans tenir compte des violences.

Il est important d’avancer sur l’égalité dans le partage des tâches et sur les inégalités économiques, avant la séparation.

Enfin la déconstruction des stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge, mais aussi tout au long de la vie, reste essentielle dans les établissements scolaires ainsi que dans tous les supports de communication et publicitaires. Avec le cyber sexisme et les violences sur les réseaux sociaux, nous avons aussi de nouveaux défis à résoudre.

Pour terminer, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’encontre des femmes et la violence domestique qui est une avancée majeure, doit devenir l’instrument de référence pour tous les pays.  Elle comprend tous les axes nécessaires à une politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

 

Propos recueillis par Brigitte Marti 50-50 Magazine

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