Monde \ Amérique du Nord Filles et femmes autochtones disparues au Canada

L‘assassinat ciblé de filles et femmes autochtones est un crime fréquemment constaté au Canada. Depuis plusieurs décennies, certains États font faire des enquêtes sur ces disparitions, mais sans parvenir à des résultats probants, et sans mettre en place de véritables politiques de prévention.

Un génocide

En 2015, une commission “Vérité et réconciliation” a rendu un rapport employant le terme de génocide culturel, admettant que le gouvernement avait «détruit» et s’était «approprié» ce qui permettait alors aux peuples autochtones d’exister: «leurs institutions, leur territoire, leur langue et leur culture, leur vie spirituelle ou leur religion et leurs familles.»

Depuis 2016 une commission fédérale d‘enquête a été diligentée.

Les conclusions provisoires de cette commission lui font abandonner le concept de génocide culturel, pour adopter le terme de génocide.

Le génocide, selon les Nations unies, se manifeste en effet par :

  • le meurtre de membres du groupe visé
  • l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe;
  • la soumission intentionnelle du groupe à des conditions de vie entraînant sa destruction physique totale ou partielle;
  • des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

Toutes ces mesures ont été prises à l’encontre des populations autochtones du Canada. Grâce à des centaines d’interviews et de témoignages, la commission a réuni des preuves de la perpétuation d’une domination coloniale sur ces populations, et de la transmission transgénérationnelle des traumatismes. Les membres des Premières Nations ont subi des placements de leurs enfants dans des familles non-autochtones et dans des pensionnats spécialisés, des assignations à résidence dans les “réserves” et des assignations homophobes de genre. Les “doubles esprits”(homme et femme) ayant une reconnaissance spéciale dans la culture huronne et certaines autres cultures amérindiennes se sont retrouvées confrontées à l’homophobie de l’Eglise catholique, très impliquée dans le contrôle de ces populations, et dans l’éducation des enfants.

L’une des causes profondes de la violence endémique envers les femmes et les filles autochtones est à rechercher dans le colonialisme canadien, qui a fait perdre aux peuples autochtones leur autodétermination et leur ancrage dans les territoires naturels en les obligeant à se sédentariser dans des réserves.

Les femmes et les filles métisses  et autochtones sont victimes de plus d’actes de violence que les femmes et les filles non autochtones du Canada. Des stéréotypes racistes et sexistes omniprésents, de même que de piètres conditions socio-économiques, rendent ces personnes davantage vulnérables aux violences.

Les phénomènes de gangs et la violence en ligne, l’itinérance, les toxicomanies et la prostitution concernent les jeunes autochtones dans une plus forte proportion que les jeunes non-autochtones. Le taux de suicides observé dans les membres des Premières Nations est également plus élevé.

L’inaction des polices

Depuis de nombreuses années les associations de défense des droits des peuples autochtones dénoncent l’inaction de la police des différents États canadiens ainsi que la police fédérale canadienne. Lors des enquêtes suite aux meurtres de femmes autochtones, elles déploient beaucoup moins d’énergie et de moyens que lors d’enquêtes sur des meurtres de non-autochtones. De plus, les contours imprécis des différents services, les conflits de répartition des compétences entre police fédérale et police territoriale compliquent inutilement les instructions et nuisent à leur bon fonctionnement.

La justice est donc moins souvent rendue aux familles des femmes et filles autochtones assassinées et disparues, beaucoup de disparitions demeurent non élucidées. Cela rend la réconciliation impossible entre les premières nations et les polices canadiennes.

De plus, plusieurs femmes autochtones ont fait état de demandes de “services sexuels” de la part de fonctionnaires de police, les obligeant par là même à se prostituer pour recouvrer leur liberté. La concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle rend régulièrement compte des difficultés des familles autochtones dans leurs contacts avec la police lors de la disparition d’une de leurs membres.

Des trafiquants de drogue se servent de filles autochtones fugueuses souvent très jeunes comme “mules” pour transporter de la drogue et les prostituent dans les grands centres urbains où elles ne peuvent s’appuyer sur aucune solidarité familiale ni communautaire. La législation canadienne sur les stupéfiants ne permet pas d’interpeller facilement les trafiquants ni de prévenir efficacement les toxicomanies des jeunes filles autochtones tombées entre leurs mains.

Un tournant ?

A l’initiative de la police de Toronto, a eu lieu en Février 2019 une conférence de deux jours consacrée à la lutte contre les violences envers les femmes autochtones et le trafic sexuel. Les représentantes d’associations de femmes autochtones soulignent le manque de confiance envers la police et le manque de sensibilité des fonctionnaires de police lors de leurs interventions dans les familles autochtones ou de leurs enquêtes auprès d’elles. Le responsable de la police de Toronto reconnaît qu’il s’agit d’un problème systémique et que les attitudes et les comportements des agent.es doivent impérativement changer. Les fonctionnaires de police quant à elles/eux ont découvert l’ampleur du traumatisme inter-générationnel induit par les pensionnats, qui ont déculturé les jeunes autochtones et métisses en les coupant de leur communauté, augmentant leur vulnérabilité. Elles/Ils ont compris l’importance de mettre en place des formations sur ce sujet. Un responsable des contacts avec les familles autochtones a été nommé pour Toronto.

Un autre événement, culturel celui-là, montre l’acuité du problème, et les fractures de la société canadienne au sujet des Premières Nations:

A l’été 2018, le metteur en scène québécois Robert Lepage avait présenté le spectacle “Kanata” sur l’histoire du Canada et déclenché une terrible controverse car il y faisait jouer les personnages autochtones par des non-autochtones et a fini par abandonner le projet, accusé à la fois de racisme et d’appropriation culturelle.

La pièce raconte un épisode véridique: l’arrestation d’un serial killer après l’assassinat de sa 49ème victime au tournant des années 2000. Ariane Mnouchkine a rendu visite au Canada aux représentant.es des peuples autochtones, et n’a pas réussi à éteindre la controverse, mais a décidé de mettre cette pièce “Kanata 1- La Controverse” au répertoire de son Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, où elle a été jouée cet hiver avec un certain succès. Ariane Mnouchkine répond à l’accusation d’appropriation culturelle par “la permission de jouer l’autre” que donne le théâtre à ses actrices et acteurs, qui, au Théâtre du Soleil, sont originaires d’une vingtaine de pays, n’ayant pour la plupart rien à voir avec le Canada mais ayant souvent des expériences de colonisation.

La pièce met à jour toute la diversité des manquements de la société canadienne, l’insuffisance du système de santé, le racisme, l’effraction des éco-systèmes, le pillage des ressources naturelles et culturelles, la cruauté des enlèvements d’enfants, la complicité de l’Église catholique, l’urbanisation incontrôlée, la pauvreté, l’exclusion, et dans le cas de ce serial killer, le laisser-aller et l’inefficacité de la police. Elle met aussi en scène les interconnexions entre les différentes formes d’art, les difficultés d’en dessiner les contours et la question de leur légitimité.

Le tournant dans la prise en compte des disparitions de femmes autochtones se reflète peut-être autant dans les débats autour de cette pièce, même si pour le moment elle n’est pas programmée au Canada, que dans la conférence de la police à Toronto. Ces disparitions sont en train de devenir enfin un véritable sujet de société concernant tout le Canada.

 

Florence-Lina  Humbert 50-50 magazine

 

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