Articles récents \ Monde Mirna Jiménez de la Rosa : «en République dominicaine, lorsque les femmes gagnent une élection, elles se désistent au profit leur mari»

Le 8 mars dernier, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, annonçait l’organisation, chaque année, de l’invitation d’une délégation internationale sur le thème des droits des femmes. Cette initiative figure parmi les actions prévues par la nouvelle stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022). En 2019, c’est l’Amérique latine et les Caraïbes qui sont concernées, autour de la thématique « santé et action sociale en faveur de l’égalité femmes-hommes. » L’initiative du ministère poursuit plusieurs objectifs : apporter aux personnalités invitées une connaissance réelle et actuelle de la France, faire connaître les différentes actions des invité.es, contribuer à la création de réseaux de solidarité militants Nord-Sud et Sud-Sud. Rencontre avec Mirna Jiménez de la Rosa, une médecin dominicaine engagée pour l’utilisation de la contraception masculine.

Que faites-vous en République dominicaine sur les droits des femmes ?

Je suis médecin, j’ai effectué ma formation en France, et aujourd’hui je suis enseignante à l’Université autonome de Saint-Domingue. Je suis impliquée dans l’Institut d’études sur le genre de cette université, j’ai ainsi participé à la création de plusieurs programmes, notamment un diplôme sur la masculinité. J’ai travaillé sur un programme de sensibilisation des hommes à l’utilisation de la contraception, lancé récemment par le ministère de la Santé.

Où en est le droit à l’avortement en République dominicaine ?

En République dominicaine, lorsque l’on parle de droits sexuels et reproductifs, il faut parler de beaucoup d’aspects. L’interdiction de l’avortement est la partie cachée de l’iceberg. Dans le pays, il est impossible d’aucune façon d’accéder légalement à l’avortement même lorsque la vie et la santé de la femme sont en danger. Nous menons le combat pour la légalisation de l’avortement depuis 20 ans. Le président de la république a refusé deux fois la réforme du code pénal demandé par le mouvement des femmes et par le mouvement du secteur de la santé. Le mouvement des travailleuses/travailleurs s’est opposé à ce que le code pénal puisse être promulgué sans inclure la dépénalisation de l’avortement.

Il y a une force suffisante à la chambre des député.es pour empêcher cet amendement et nous n’avons toujours pas réussi à susciter la promulgation de ce droit même si nous avons le cadre légal qui devrait permettre l’accès à l’avortement. 

En ce qui concerne les autres droits, même s’il y a 70 % d’accès aux méthodes contraceptives, 27 % des adolescentes ne peuvent y accéder. Il y une absence d’accès. Le nombre de mères mortes en couches est de 104 par an ce qui est bien supérieur à la moyenne en Amérique Latine.
D’autres chiffres très élevés sont ceux du nombre de mères adolescentes dû au mariage permis à partir de l’âge de 15 ans, avec le consentement des parents. Nous essayons de faire voter une loi interdisant le mariage avant l’âge de 18 ans quelles que soient les circonstances. L’accès des femmes à la santé sexuelle reproductive est une des plus grandes luttes à mener pour le mouvement féministe.

Mais l’accès à ce droit pour les hommes aussi est tout à fait conditionné par cette masculinité toxique qui entrave l’accès aux contraceptifs par exemple. Dans une étude récente, le ministère de la Santé a montré que les hommes ne sont pas inclus dans la question de la contraception. On ne considère pas que les hommes aussi aient le droit au contrôle de leur corps concernant la reproduction. Cette étude du ministère a commencé à changer la démarche du planning familial afin que les hommes aient aussi leur coresponsabilité dans la contraception, dans le contrôle de la reproduction et l’exercice responsable de la paternité.

Quelle est la place des femmes en politique dans votre pays ?

En République dominicaine, en ce qui concerne la participation politique, sur 22 ministères, 3 sont tenus par des femmes. Parmi ces trois ministères, deux ont le budget le plus bas du gouvernement. Le ministère de la Jeunesse et le ministère de la Femme. Le seul ministère important qui soit dirigé par une femme est celui qui est donné de façon sexiste aux femmes, c’est le ministère de l’Éducation.
Pour ce qui est du congrès et de la chambre des député.es, il y a eu une augmentation de la représentation féminine avec aujourd’hui 28 % de femmes.

La majorité des partis ne respecte pas la proportion fixée par la loi des quotas. Par exemple, les partis font en sorte que les femmes se présentent dans les municipalités où elles n’ont pas de possibilités réelles de gagner. Le plus incroyable est que les femmes sont parfois dans des positions où elles peuvent gagner. Mais en République dominicaine, lorsque que les femmes gagnent une élection, elles se désistent au profit de leur mari. Et puis il y a le fait qu’une femme qui se présente à un poste ne reçoit ni les ressources, ni les appuis nécessaires pour qu’elle puisse gagner l’élection.
Donc tout dépend des relations, des rapports de force et de pouvoir à l’intérieur des partis très inégalitaires entre les femmes et les hommes. Il faut créer des politiques publiques afin que la loi des quotas permette un accès réel au pouvoir pour les femmes.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp et Brigitte Marti 50-50 magazine

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