Articles récents \ France \ Société Éloquensoeur féministe : le sexisme dans le langage

Un concours d’éloquence sur le thème de la féminisation de la langue était organisé en avril dernier par Sarah Pepe, autrice et metteuse en scène. Les membres du jury étaient Aurore Evain, Eliane Viennot, Typhaine D et Caroline Flepp. Quatre jeunes femmes de 20 à 25 ans ont participé à ce concours, toutes ont reçu un prix. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir le discours  de Juliette Mercier qui a obtenu le prix de la tribune.

A cette avancée de la soirée, j’ose espérer que voues avez jeté un nouveau regard sur la langue française, un regard plus pointu et plus éclairé, distinguant ce qu’on noues a toujours appris à ignorer. Le masculin est neutre et le masculin l’emporte, entendre “les hommes l’emportent”. On l’a dit, ce soir et toute notre vie, on l’a lu, on l’a pensé, lassées. Elle est temps de re-penser, de panser, les plaies insidieuses laissées par cette langue dépassée. De se lever, de s’élever, ensemble, en se souhaitant, se rêvant, se concevant différemment.

Allez-y, allons y, cherchons un nouvel angle d’approche : qu’est-ce qui pourrait s’éloigner la plus, et ainsi noues faire la plus de bien, du masculin universel ? Je voues la donne en mille, c’est elle, “la”, la féminine, universelle.

Initiée et réfléchie par une des membres de la jury, ici, Typhaine D., depuis de nombreuses années, et co-construite par les autantes nombreuses Femmes féministes ayant croisé son chemin, ce cri du cœur et de l’esprit ne demande qu’à être entendu, écouté, amplifié, par plus de Femmes. Voulez voues, voulons noues, apprendre à écrire notre histoire commune et individuelle, la réécrire, cette fois ci en inversant la tendance ? Jet d’encre, d’invention, tel le geai s’envolant, mouvement de libération des ancres de la tradition, j’ai envie de voues la dire, cette belle histoire, cette belle langue, à noues.

Les principes de la féminine universelle sont évidentes, se divisant entre la création de nouvelles paroles et la réappropriation d’anciennes.

Elle y va de la visibilité. Je les cherche, les Femmes, où sont-elles ? Elles ne sont ni représentées dans la rue, dans l’espace public, dans ces espaces dit mixtes dans la loi mais non dans les faits, ni visibles dans les hémicycles, sur les plateaux de télévision invitant des experts, entendre non expertes, ni dans les positions aisées, si ce n’est importantes, exerçant un pouvoir sur la société, ni dans la langue, sauf pour être dévalorisées ou dévalorisantes.

Connaitre et reconnaître la présence et l’expérience des Femmes, c’est aussi les inclure dans la langage et les illuminer, braquer les projecteurs sur des expressions empouvoirantes telles que “c’est belle ce que tu as fait là”, ou “c’était forte, ton discours”. Se mettre en valeur en se mettant en mots.

Elle y va de la reconnaissance. Certaines les ont mises en avante, ces Femmes ayant toujours contesté, de leur vivant, la masculinisation du langage. Comme ces révolutionnaires qui, en 1792, adressaient la Requête des dames à l’Assemblée nationale, projet de décret à la Législative, affirmante que “le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles”. D’autres ont fait des recherches sur les mots noues ayant été enlevés, elles ont parlé d’autrices, de matrimoine, de femmage. Pour ces Femmes, noues noues devons de résister, pour ces Femmes, noues noues devons de parler. Heureusemente, aujourd’hui, avec voues, avec noues, ici, ces lettres ne font plus tiquer grande monde, mais ce n’était pas le cas elle y a quelques années, et ce n’est pas le cas partoute en dehors de cette salle.

Oui, je féminise quand cela m’arrange. C’est aussi ça l’avantage de cette nouvelle langage, c’est qu’elle y va de la joie. Du choix. L’art et la manière de faire ce que l’on veut, comme on la veut. En effet, la féminisation comme noues pouvons et devons l’envisager ne peut que glorifier son sujet, sa sujette. L’utiliser polit les aspérités, apaise, valorise et ses employeuses et les paroles à laquelle elle renvoie. C’est la conseille que donne l’inventrice de cette ré-vol-te, pour rendre à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre, Typhaine explique justemente que c’est selon sa bonne vouloir, la votre, la notre, que la féminisation s’applique. Ainsi, pour évoquer les Femmes incroyables ayant discouru avec moi ce soir, je dirais “elle y a”. Mais pour rire à propos des masculinistes ayant pleuré en découvrant que ce concours était réservé aux Femmes, les fameuses male tears, je dirais, voues l’avez deviné, “il y a”.

On la répète et on la crie depuis 1971 : “reconnaissons noues, les Femmes, parlons noues regardons noues !”.

Parlons noues. Mais pas avec leur mots, à eux. Leur langue à la misogynie, haine des Femmes, ayant infiltré ma pensée depuis ma naissance. Misogynie, haine des Femmes, polluant ce que je dis, ce que je lis, ce que je réfléchis. Misogynie, haine des Femmes, étant à la base de mon raisonnement sur moi même, les autres, la monde, base de mes actions sur moi même, les autres, la monde. Haine des Femmes. Que penser, que faire, lorsque le masculin l’emporte sur noues, peut importe la situation ? Lorsque chacun et chacune des professeurs et professeuses en sciences sociales, milieu accueillant 90% de Femmes, entrent dans l’amphi-théâtre, se pâment sur scène et s’exclament “bonjour à tous”, ne s’adressant qu’aux 10% restants ? Notez comme je ne dis pas “restantes”, notez comme le neutre est illusoire. J’exagère, certaines, certaines, noues disent “bonjour à toutes et à tous”, mais leur prochaine réplique est souvent masculinisée type “j’espère que vous êtes prêts pour le test” ou “Soyez silencieux pendant la présentation.” Peut-être que ces enseignantes veulent alors dire que seuls les hommes doivent se taire, non ? En tout cas, moi, je fais du bruit. Bruyante, brillante. On pourrait aller plus loin pour montrer à chacun que noues ne sommes pas représentées dans leurs consignes, et refuser de les respecter.. “Nous prions les passagers de bien vouloir patienter sur le quai, le prochain train en direction de Cergy-Le-Haut arrivera quai numéro 1 dans 4 minutes.” Noues, on est des passagères, on ne patiente pas.

Parlons noues. Avec les mots justes. Faisant du bien. De noues, se raconter, pour noues. Ils vont voues dire que voues détruisez le français, le mettez en péril, que voues exagérez et piétinez le patrimoine. Répondez leur que voues co-créez la Française et valorisez la Matrimoine. Oui, un jour, jour qu’elle me tarde de connaître, quand on aura aboli tous stéréotypes de genre créant des gouffres entre les deux sexes, quand on prendra en charge les psycho traumatismes suffisamment tôt pour empêcher les Femmes de se mettre en danger et les hommes de mettre en danger, quand toute violence psychologique, physique, sexuelle et économique des hommes contre les Femmes auront disparu, alors oui, j’accepterai d’en venir à une langue égalitaire basée sur l’inclusivité, les règles de majorité et de proximité, les justes mots. Et je ne m’excuserais pas, tant que ce n’est pas le cas, de vouloir favoriser et mettre en avante les Femmes, mes sœurs de lutte.

Parlons noues. Parce que les mots ont un sens et que parfois on doit les réécrire pour en changer le message, ou en créer d’autres pour porter notre parole. Je noues ai appelé sœurs, l’on pourrait dire soeurcières, pour se rappeler que cette lourde histoire de violences contre la peuple des Femmes, des Femmes hors normes, âgées, célibataires, autonomes, lesbiennes, médecines, se ressent encore dans nos cœurs et nos corps, corps dont on noues incite à désirer y porter un bébé et à en masquer les signes des années. Soeurcières puisque se rappelant, témoignant, Femmes solidaires, assemblée sorore, donnantes des mots pour donner du sens.

Parlons noues. Lors d’une conversation sur l’importance de la dé-masculinisation de la langue et la re-visibilisation des Femmes, ma petite sœur m’avait expliqué qu’elle ne comprenait pas cet entêtement de vouloir faire apparaître le sexe des personnes, dans leur nom de métier par exemple, puisque, après tout, “on est tous humains”. Elle ne lui viendrait pas en tête de dire ”on est toutes humaines”, parce que cela ne voudrait pas dire la même chose, n’est-ce pas ?

Je voues la dit ce soir, humaines, Femmes, soeurcières, elle est l’heure de réclamer notre place, dans la langue, donc dans la monde, l’heure rythmée de l’heurt régulier de nos pas décidés sur leurs allées, martelant et scandant que notre temps est arrivé.

A voues toutes, à noues toutes, pour la future que noues allons écrire, lire, dire, amour des Femmes, je dis brava.

 

Juliette Mercier, étudiante en psychologie, membre d’Osez le féminisme ! 20 ans

 

Les membres du jury

Aurore Evain: autrice, metteuse en scène, comédienne, historienne du théâtre et chantreresse du matrimoine.

Eliane Viennot: historienne de la littérature, critique littéraire française, professeure émérite de littérature française de la Renaissance, chantreresse de l’écriture et de la langue inclusive.

Typhaine D: comédienne, autrice, dramaturge, metteuse en scène, et professeure de théâtre.

Caroline Flepp: fondatrice et rédactrice en cheffe de 50-50 magazine 

 

Photo: Lauriane Theullier

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