Articles récents \ Société L’asexualité: une identité sexuelle en quête de reconnaissance

La marche des fiertés aura lieu le 29 juin, l’occasion de revenir sur une identité sexuelle dont on parle peu : l’asexualité. Il est primordial de la différencier de l’abstinence ou du célibat car l’asexualité n’est pas un choix. Souvent mal représentée et très peu abordée dans les médias, elle subit de nombreux stéréotypes.

L’asexualité est un terme peu connu, signifiant «une absence d’attirance sexuelle», il est décrit comme un trouble du désir sexuel hypoactif dans le DSM (1) de 1977, véritable référence dans le milieu de la psychiatrie. En 2013, après plusieurs réclamations pour retirer l’asexualité du DSM, ce trouble est désormais diagnostiqué, seulement, s’il cause de la détresse, laissant aux personnes se définissant comme asexuel.les la liberté d’esquiver ce diagnostic. Ces revendications mettent en lumière le malaise autour de cette identité sexuelle et la difficulté qu’a la société à l’accepter.

Si les asexuel.les commencent tout juste à se faire entendre, le peu d’informations au sujet de cette identité ne joue pas en leur faveur. «La majorité des gens à qui j’en parle ne sait pas ce que c’est, je dois donner beaucoup d’explications» confie Marie, 22 ans. Ce manque d’informations, voire cette totale désinformation, a empêché Candice, âgée de 25 ans, de s’identifier pendant de nombreuses années: «j’ai appris le terme très tardivement, je me suis reconnue dans cette identité sexuelle à 21 ans, pourtant, j’avais déjà entendu le mot asexuel auparavant, mais je ne l’avais pas vraiment compris, pour moi c’était un problème médical, c’est une idée qui revient beaucoup.»

Les concerné.es sont pour la plupart du temps méprisé.es ou mal compris.es. Anna, explique la réaction de certain.es de ses ami.es «elles/ils m’ont dit que cela n’existait pas, que ce n’était pas possible, pour ensuite me demander si je n’étais pas perturbée», certain.es lui ont même demandé si elle n’avait pas un «problème d’hormone.»

Marie montre une certaine prudence, chaque fois qu’elle rencontre quelqu’un, «avant d’en parler, j’essaye de prévoir la réaction, si je ne suis pas sûre d’avoir un bon retour, je préfère ne rien dire» indique-telle.

«L’attirance sexuelle est vue comme un trait d’humanité»

Si l’asexualité est aussi mal acceptée et accueillie, c’est en partie une question de société pour Anna, «nous sommes dans une société très sexualisée, si tu n’aimes pas le sexe, tu es perçue comme quelqu’un de bizarre». Pour elle, il est primordial de «déconstruire les normes.» L’impact de ces codes se révèle dans un sondage effectué par Asexual Community Census en 2011, seulement 14% des personnes asexuelles seraient des hommes contre à peu près 60% de femmes, le reste étant les personnes non-binaires.

Estance Delclaux-Hammon, co-responsable d’Association pour la Visibilité Asexuelle  a 28 ans, explique ces chiffres en évoquant la pression subie par les hommes à cause des standards sociaux: «la condition d’homme, socialement, s’exprime par des attentes au niveau de la virilité ou de la masculinité, on les relie constamment à l’attirance et à la performativité sexuelle.» Et insiste également sur le fait que chez les femmes une absence d’envie sexuelle est très souvent normalisée, «dans les cours d’éducation sexuelle on explique aux jeunes filles qu’elles n’aimeront pas le sexe, qu’elles auront des relations sexuelles, pour faire plaisir aux hommes.»

Marie évoque un autre aspect, la vision du bonheur divulguée par la société: «dans les discussions entendues autour de moi, j’ai l’impression qu’une relation sexuelle est vue comme une nécessité au bonheur, les gens ont du mal à comprendre qu’on puisse être heureux différemment.» La/le co-responsable d’AVA explique ces réactions par «une rupture dans l’imaginaire collectif et dans la représentation sociale, l’attirance sexuelle est vue comme un trait d’humanité pour un grand nombre de personnes. »

La nécessité de la représentation

Les personnes asexuel.les reprochent la mauvaise, voir l’absence de représentation de leur identité. Estance Delclaux-Hammon, décrit les trois principaux stéréotypes subis par cette communauté: «nous sommes vu.es comme des robots dénués de sentiments, des enfants immatures ou des psychopathes», en précisant qu’il est assez courant d’associer les asexuel.les à des pédophiles. L’un de ces stéréotypes, Anna l’a subie dès le lycée, «on m’a dit que mon absence d’attirance sexuelle venait du fait que je n’étais pas encore assez mûre.» Malgré les idées reçues sur les personnes asexuelles, «les articles et émissions sont de plus en plus bienveillants, il y a du progrès» se réjouit-elle.

Estance Delclaux-Hammon partage ce point de vue en indiquant qu’en «2014 il y avait peut-être trois livres à ce sujet, aujourd’hui il y en a probablement une centaine, Konbini en a même fait une vidéo (notre vidéo de la semaine) et il y a une série Netflix (2) avec un personnage ouvertement asexuel, c’est motivant !»

L’éducation sexuelle est l’une des choses à réformer au plus vite, pour Estance Delclaux-Hammon : « il faut sensibiliser au consentement dès le plus jeune âge, avoir un discours inclusif et insister sur le droit de ressentir les choses comme nous les ressentons.» Mais surtout rassurer les plus jeunes : «il faudrait simplement leur dire: vous êtes très bien tels que vous êtes, n’essayer pas de vous conformer à une présumée normalité, vous êtes beaucoup mieux si vous êtes vous-même et authentique» s’exclame la/le militant.e d’AVA.

L’asexualité est encore un grand mystère pour de nombreuses personnes, maltraité.es et ignoré.es depuis de nombreuses années, les concerné.es et leurs allié.es luttent pour une meilleure représentation de cette identité. Leur principale mission est d’informer le plus grand nombre, notamment les plus jeunes, pour permettre à l’asexualité de se vivre, simplement.

 

Louna Galtier 50-50 magazine

1 Le DSM est le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie.

2 BoJack HorseMan est une série de Raphael Bob-Waksberg diffusée sur Netflix depuis 2014.

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