Articles récents \ France \ Économie Lisa Pleintel: « il faut mettre en place des projets de sensibilisation en interne sur le sexisme »

L’observatoire de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), porté par le Conseil National des Chambres Régionales de l’ESS (CNCRESS), s’attaque aux instances de gouvernance. Après une première étude en mars 2019, Lisa Pleintel, cheffe de projet, et d’autres membres de l’observatoire, lancent un nouvel appel pour étudier la parité et le sexisme dans les instances de gouvernance de l’ESS. Des sujets qui ont encore du mal à être pris au sérieux par les structures, malgré des chiffres incontestables.

Rappelez-nous les chiffres sur les inégalités femmes/hommes dans l’ESS, issue de l’étude publié le 8 mars 2019 ?

On compte 45 % de femmes responsables associatives et entre 36 % et 39 % de femmes présidentes d’association.

Dans les coopératives, il y a 4 à 50 % de femmes administratrices (5 à 7 % dans les coopératives agricoles, 30 % dans les caisses locales des banques coopératives, contre 50 % de femmes présidentes dans les coopératives scolaires) et 24 % de femmes dans les conseils d’administration des mutuelles, dont 13 % de présidentes.

Comment expliquez-vous qu’il y ait plus de femmes à des postes décisionnaires dans les associations que dans les mutuelles ?

Je pense que la question du plafond de verre est plus importante dans les mutuelles, on peut déjà le voir au niveau des salarié.es, il y a moins de femmes cadres, on les retrouve plus souvent dans les petites associations locales que dans les grosses structures.

Et puis les mutuelles sont implantées depuis plusieurs années, ce ne sont pas de jeunes structures, elles ont un historique et elles tournent depuis plusieurs années avec les mêmes personnes, cela doit jouer beaucoup. Accéder à la gouvernance dans une association est relativement plus simple, parce que ce sont des structures plus petites, parfois plus informelles ou, du moins, plus ouvertes.

Avez-vous vu des changements à la suite de l’annonce de ces premiers chiffres ?

Pas vraiment, je crois qu’il y a encore un fort enjeu de mobilisation sur le sujet, je ne vois pas beaucoup d’évolution mais, au moins, maintenant les chiffres sont connus. Cela empêche les structures de se cacher derrière le déni, de dire qu’elles ne savaient pas, que chez elles il n’y a pas de problèmes. Nous avons réussi à faire tomber cet argument, mais nous ne sommes pas encore parvenu.es à faire travailler les responsables sur ces questions.

Les chiffres ont permis de démontrer que l’ESS n’est pas épargnée par les inégalités. Mais sur certains sujets cela bloque encore, par exemple, au niveau de la gouvernance on voit qu’il y a des résistances à aborder ces sujets. Les responsables demandent si elles/ils vont pouvoir payer leurs salarié.es à la fin du mois, donc les inégalités ne vont pas être considérées comme prioritaire.

Pourquoi le sexisme est-il passé au second plan ?

Les structures disent qu’elles ont des problèmes de trésorerie, mais elles n’arrivent pas à voir que le sexisme est l’une des origines de la crise, l’un des sujets qui peut cristalliser un grand nombre de dysfonctionnements dans une association.

Peu de structures osent s’attaquer à ces sujets-là et au-delà des résistances, beaucoup n’ont pas encore compris que c’était un sujet qui peut être bénéfique et devenir un levier d’actions pour gagner en efficacité. Je pense qu’il y a encore un manque de sensibilisation, un manque de prise de conscience sur ces thèmes. Enfin il manque surtout l’envie, parce que quand on veut, on trouve le temps.

Pourquoi, dans le cadre de cette nouvelle enquête, vous intéressez-vous aux instances de gouvernance en particulier ?

Nous nous sommes rendu.es compte que la situation était vraiment mauvaise et que nous devions combler un déficit de chiffres. La question de la parité fait vraiment partie de la loi de 2014, parmi les quatre chapitres il y en a un consacré à ce sujet. C’était inscrit dans le premier rapport de la commission de l’ESS sur l’égalité femmes/hommes, c’était une obligation, il est donc important d’avoir une enquête qui structure tout cela.  Le 8 mars 2018, il y a eu un engagement de la part de plusieurs réseaux de l’ESS pour atteindre la parité d’ici 2020 dans leur instance de gouvernance, cette étude est aussi un moyen de voir ce qui a été mis en place, ce qui a bougé, fonctionné ou pas…

Qu’est ce qui ressort des premières réunions pour lutter contre le sexisme?

La première chose qui ressort est qu’il faut mettre fin au cumul des mandats. Ensuite objectiver les compétences d’administratrice/administrateur, écrire des fiches de poste pour cadrer les choses, établir des quotas avec des objectifs chiffrés, mettre en place des projets de sensibilisation en interne sur le sexisme. La question de la prise de parole revient beaucoup, on se demande comment assurer un meilleur équilibre des temps de parole entre femmes et hommes dans les instances de gouvernance. Plusieurs propositions ont été évoquées, comme comptabiliser les temps de paroles, alterner entre un homme et une femme, accompagner d’avantage les femmes sur ce sujet.

Nous avons aussi eu des suggestions de mise en place de référent.e pour modérer les réunions, comme quelqu’un qui «contrôlerait» les remarques sexistes ou encore l’écriture d’une charte avec les comportements sexistes à ne pas reproduire. Par exemple la mutuelle Uneo, celle de l’armée, avait fait une déclaration d’intolérance sur les questions du harcèlement sexuel faîte au niveau de la gouvernance et de la direction.

Actuellement, avez-vous l’impression que le sujet est pris au sérieux ?

Non pas encore. Il y a certes une évolution qui va dans le bon sens depuis quelques années. Par exemple il y a de structures qui prévoient des interventions ou des ateliers sur le sujet du sexisme. On sent qu’il y a des progrès, mais il faut mettre les bouchées doubles. C’est aussi pour cela que l’on fait des études, pour avoir des chiffres et travailler notre argumentation, démontrer que dans l’ESS, nous ne sommes pas meilleur.es qu’ailleurs et montrer qu’il y a vraiment des enjeux.
En fait il y a deux étapes, la prise de conscience et la mise en action. Les responsables ne peuvent plus se cacher en jouant sur l’ignorance, mais nous n’en sommes pas encore au passage à l’acte, c’est sur ce point là que nous devons insister.

Pensez-vous que la situation puisse s’améliorer ?

Elle va s’améliorer seulement si nous nous mettons vraiment au travail.  Pour moi il y a deux solutions : soit nous laissons faire et nous pouvons attendre encore 30 ans pour que cela s’améliore, et encore, sans être sûr.es que tout soit réglé. Nous verrons des femmes dans les instances de gouvernance, mais elles ne seront pas vraiment aux postes de pouvoir, il y aura encore du sexisme, donc ce sera mieux sur le plan des chiffres mais pas sur le fond. Soit nous portons de véritables actions, avec des objectifs de quotas, un règlement intérieur et des sensibilisations en interne sur les violences sexuelles et sexistes. Là seulement, cela pourra évoluer, mais à condition qu’il y ait une vraie mobilisation sur le sujet.

Propos recueillis par Louna Galtier 50-50 magazine

 

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