Articles récents \ France \ Société Anne-Cécile Mailfert: « Il y a 20 % de femmes tuées en plus cette année, mais il n’y a pas 20 % de budget en plus » 2/2

Anne-Cécile Mailfert, fut bénévole au Mouvement du Nid puis Présidente et porte-parole d’Osez le féminisme ! Investie depuis longtemps dans la recherche de fonds, en 2016, elle contribue au rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? » et crée la Fondation des Femmes. Rencontre, à la Cité de l’Egalité et des Droits des Femmes, avec Anne-Cécile Mailfert.

Est ce que vous pensez que les associations ont compris qu’il fallait qu’elles se battent plus pour obtenir des fonds?

Une des raisons pour lesquelles ce secteur est sous financé, et c’est ce que nous avions vu avec Michelle Perot lors d’un premier rapport, c’est le problème du rapport des femmes à l’argent. Les femmes sont dans le soin de l’autre, la générosité, l’altruisme, elles se «sacrifient» pour les autres. Et donc la recherche d’argent pour elles-même, pour leurs projets n’est pas prioritaire.

Il y aussi cette image que les femmes qui cherchent de l’argent sont des femmes vénales. Je pense que c’est une imagination de la domination masculine pour nous empêcher d’aller sur ce terrain de là. La question de l’argent est aussi la question du pouvoir.

Qui a le pouvoir de décider où va l’argent a le pouvoir de décider ce qui va être fait avec cet argent. C’est un sujet politique L’Assemblé Nationale, qui vote les budgets concernant les droits des femmes a toujours était majoritairement masculine. Peut-être que ces personnes là ne comprennent pas forcément à quoi sert un budget pour les droits de femmes.

Les associations de femmes, qui existent depuis quelques dizaines d’année, on dû se battre année après année pour grappiller quelques euros. Mais, elles se mettent dans une position très conservatrice , car elles ont peur de perdre. Elles ne prendront pas de risques pour chercher plus de fonds pour des projets de grande ampleur. Elles sont dans la gestion de leur petit budget, leur combat étant de préserver celui-ci.

Nous, nous arrivons en cassant un peu ces idées là. Nous avons de grandes ambitions comme la création d’une Cité des femmes à Paris, l’utilisation du Grand Palais pour des événements contre les violences faites au femmes etc. Des choses qui ne se faisaient pas il y a 5 ans.

Ce que je peux comprendre de leur part, c’est le refus de la recherche d’argent privé pour financer des sujets d’ordre du service public. C’est très bien parce que c’est à l’État de financer ce genre de projets. Sur la question de l’hébergement des femmes victimes de violences, c’est à l’État que revient cette tâche, pas au privé.

Les femmes et les hommes féministes payent des impôts et c’est normal que l’argent des impôts aille vers la protection, la mise en sécurité et la sensibilisation des enfants sur l’égalité. Nous voulons que l’État fasse plus. Il est hors de question de remplacer l’Etat

Quel est le rôle de la Fondation des Femmes ?

Il y a des entreprises qui veulent investir dans la cause de l’égalité entre les femmes et les hommes, il y a aussi des particuliers qui veulent participer à l’amélioration de l’égalité. Donc la Fondation est là pour trouver l’argent privé qui n’était pas sollicité jusqu’à aujourd’hui. Nous allons le mettre soit dans des actions d’urgence comme on l’a fait pour l’Association contre les violences faites aux femmes au travail, Me too et d’autres causes. Soit sur des sujets sur le plus long terme, ainsi par exemple récemment nous avons récolté 300 000 euros pour aider à la reconstruction des femmes qui ont subi des violences. Ce sont des choses que l’État ne finance pas, car nous sommes là trop dans l’innovation et l’expérimentation. L’État investit plus sur les choses «classiques» : logements, aides juridiques etc.

La Fondation est aussi là pour compléter le rôle de l’État en finançant des projets plus sous-jacent au yeux de l’État, il nous faut montrer que ces programmes marchent pour qu’ensuite l’État prenne le relais sur un financement sur la durée.

Il y a une autre problématique, c’est que le bénévolat c’est aussi de l’éducation populaire et donc qu’il est nécessaire d’avoir beaucoup de bénévoles. Et je pense qu’il ne faut pas trop professionnaliser certaines actions. Je pense qu’il est important que toute personne souhaitant s’engager contre les violences faites aux femmes puisse le faire, car on apprend beaucoup sur le terrain, c’est extrêmement enrichissant.

Pour moi, l’engagement bénévole est formidable. Cela permet de comprendre les problèmes que rencontrent les personnes qui vivent des situations difficiles. Cela m’a ouvert les yeux sur des réalités, je suis aujourd’hui une citoyenne beaucoup plus avertie. Il se trouve que j’accompagne encore des personnes qui sont sorties de la prostitution depuis 7/ 8 ans et qui ont toujours besoin d’aide parce que sortir de situations précaires est très long et compliqué. Je trouve que ces personnes sont des héroïnes. Les problèmes auxquelles elles font face sont immenses.

Donc, l’argent publique est fondamental.

Le bénévolat est très bien, mais il a besoin d’être encadré par des salarié.es. Et nous avons besoin de salarié.es formé.es, pour répondre aux cas les plus compliqués. Nous avons besoin d’accompagnement professionnel.

Et en même temps, je pense que l’argent privé peut aussi nous ouvrir des portes sur des projets d’envergure non soutenus par le gouvernement. Il est bon de s’assurer une indépendance financière sachant que les gouvernements changent.

On dit toujours aux femmes qu’il faut être indépendantes financièrement, donc soyons le dans le cadre associatif.

Je trouve qu’on ne remercie pas assez toutes celles et ceux qui se battent depuis des décennies et qui se battent encore, sachant qu’elles ont vécus des moments beaucoup plus difficiles que nous. Grâce à leur détermination, leur énergie sans failles, elles ont réussi à développer de très nombreuses actions, à faire augmenter des budgets. Et le résultat est là, avec des budgets qui augmentent d’année en année. Ce sont des expertes et elles ont réussi à faire changer la société.

Que pensez-vous du budget dédié aux violences faites aux femmes ?

Je suis très satisfaite de voir qu’il y a un effort sur la budgétisation. Les violences faites au femmes concernent plusieurs ministères, c’est très compliqué de savoir combien il y a d’argent sur la table.

Nous avions fait l’effort avec notre rapport «Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ?»

Nous avions essayé de savoir combien il y avait d’argent dans le budget du logement pour les femmes, ainsi que le budget de l’Intérieur et de la Justice. Nous avions cherché les gros dispositifs. Et nous avions trouvé un budget d’environ 80 millions d’euros.

Nous voulions absolument savoir combien il y avait sur la table. Mais l’objectif principal que nous voulons atteindre, c’est moins de féminicides en France et plus d’égalité. Ce qui est déjà fait n’est pas suffisant, puisque les féminicides sont en augmentation. Nous voulons une augmentation de ce budget là. Donc, la grande question est de savoir si en 2020, il y aura plus de moyens dédiés à l’égalité. Et la réponse est : quasiment non.

La seule dépense supplémentaire promise par le premier ministre est de 5 millions pour l’hébergement. Peut-être qu’il y en a en plus, mais il faut nous le dire. Par exemple, les bracelets électroniques n’ont pas été budgetés. D’après nos calculs, il faudrait environ 5 millions. Il faudrait donc les prévoir pour l’année prochaine. Et puis, il y a un problème dans ces budgets où, par exemple, sont chiffrés les «correspondants territoriaux de prévention de la délinquance». Ces personnes gèrent le rôle d’interlocuteur privilégié pour les commerces et les entreprises au sujet de la délinquance. Ils doivent sûrement s’occuper aussi des violences faites au femmes, mais nous ne savons pas dans quelle mesure.

Aujourd’hui, nous avons une belle photo de l’existant, mais il faut plus.

Il se trouve qu’il y a une crise majeure sur les féminicides et que pour y remédier, il va falloir augmenter les moyens ! Je ne vois pas comment baisser le nombre de féminicides sans une augmentation de moyens.

Il y a 20 % de femmes tuées en plus cette année, mais il n’y a pas 20 % de budget en plus.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

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