Articles récents \ France \ Politique Verveine Angeli : « Il y a une mesure simple à laquelle il faudrait réfléchir : donner automatiquement 20 % de retraite de plus aux femmes »

Le 5 décembre prochain, des centaines de milliers de personnes feront grève, notamment pour protester contre la réforme des retraites, dessinée par le rapport Delevoye. Cette réforme, ardemment défendue par le gouvernement, promet entre autres choses d’être plus juste à l’égard des femmes. Verveine Angeli, responsable syndicale à l’Union syndicale Solidaires, explique en quoi le système défendu par le rapport Delevoye est aussi inégalitaire que celui que nous connaissons aujourd’hui.

Quel est votre parcours ?

J’appartiens aujourd’hui à l’équipe d’animation de l’Union syndicale Solidaires. J’ai travaillé dans le privé, puis j’ai travaillé dans une entreprise qui s’appelle désormais Orange. Je suis maintenant responsable syndicale. Et je suis bientôt à la retraite ! Comme beaucoup de militant.es de ma génération, j’ai fait de très nombreuses grèves à propos des retraites, qui ont fait l’objet de beaucoup de réformes. La réforme qui est aujourd’hui envisagée par le gouvernement est particulièrement importante : elle change tout le système.

Que pensez-vous du système actuel ?

Nous ne sommes pas en défense du système tel qu’il est aujourd’hui, notamment parce qu’il est particulièrement mauvais pour les femmes. Il faut bien garder en tête que la retraite est le résultat d’une carrière, d’une quarantaine d’année de travail. Les chiffres du gouvernement, qui sont ressortis des concertations de l’équipe de Delevoye, montrent qu’aujourd’hui, la différence de retraite entre les femmes et les hommes est de 40 % avant réversion. Le système de réversion sert à combler l’écart de retraites à hauteur de 25 %. Le différentiel est donc toujours important. Ces 25 % sont principalement touchés par les femmes, en moyenne à 75 ans, puisque la pension de réversion est versée au moment du décès du conjoint ou de l’ancien conjoint. Le projet Delevoye prévoit d’ailleurs de supprimer la perception de la pension de réversion en cas de séparation.

Les différentiels de carrières entre les femmes et les hommes sont notamment dus au fait que les femmes sont invitées traditionnellement à rester à la maison pour s’occuper des enfants, qu’elles sont encouragées à cesser de travailler via des mécanismes d’allocations familiales et que les grossesses sont pénalisantes au travail. Ces raisons ont conduit à l’adoption d’une logique de compensation centrée sur les enfants. Dans le système actuel, lié à une politique nataliste, lorsqu’une femme est enceinte, elle a droit à des trimestres supplémentaires (dont le nombre varie suivant la profession). Si un couple a trois enfants, les deux parents ont 10 % de retraite en plus. Suivant les propositions du rapport Delevoye, le couple aura désormais droit à 5 % de retraite supplémentaire à partager entre les deux parents.

La situation actuelle n’est pas satisfaisante parce que la différence de retraite reste très importante et parce que syndicalement nous n’avons jamais été favorables aux politiques natalistes.

De nombreux couples font le calcul suivant : l’épouse touche un très petit salaire, faire garder les enfants coûte de l’argent, déclarer un bout de salaire supplémentaire aux impôts n’est pas intéressant ; il est donc plus « rentable » que la femme ne travaille pas. C’est plus rentable, sauf si l’on se pose la question de l’autonomie financière des femmes. Nous sommes un syndicat féministe, pour nous l’indépendance économique des femmes est essentielle. Si l’on regarde les évolutions récentes de la vie familiale, on constate que les ruptures sont de plus en plus fréquentes, qu’elles peuvent être tardives et arriver justement au moment de la retraite. Maintenir tout ce système de compensations autour des enfants n’est tout simplement pas satisfaisant pour les femmes.

Le système prévu par le rapport Delevoye est-il réellement plus juste pour les femmes ?

Dans le nouveau système, les trimestres sont supprimés et tout est calculé en points. En gros, les cotisations retraites vont être transformées en points que l’on achètera et qui seront transformés 40 ans plus tard en argent pour la retraite. Évidemment, la valeur d’achat du point et la valeur de « revente », appelée « valeur de service », vont dépendre d’un ensemble de paramètres économiques. Il n’y a aucune garantie sur la valeur finale de ces points. Économiquement, il faut garder l’équilibre, même si le nombre de retraité.es augmente. Or, il est hors de question pour notre gouvernement actuel de demander des cotisations supplémentaires au patronat… Ce système incertain de points est la raison générale de notre opposition à cette réforme.

Dans la fonction publique, le calcul de la retraite est garanti sur les six derniers mois de la carrière. Dans le public, les carrières sont ascendantes. La seule chose qui rentre en ligne de compte aujourd’hui, c’est à quel niveau la personne finit, pas à quel niveau elle a commencé. Avec les points, le montant de la retraite va être calculé sur toute la carrière, ce qui sera nettement moins favorable. Et ce, même si le gouvernement s’est engagé à prendre en compte les primes. Les primes ne rattraperont pas la perte.

Dans le privé, la retraite est aujourd’hui calculée à partir d’une moyenne des 25 meilleures années de la carrière. Le système de points implique de prendre en compte toutes les années de la carrière. Il faudra donc compter les stages, les services civiques, et les années de temps partiels. Alors que les jeunes mettent de plus en plus de temps à entrer dans la vie active dite rentable, et que de nombreuses femmes travaillent à temps partiel (il y a des métiers entiers qui sont basés sur les temps partiels !).

Le gouvernement fait toute une propagande pour dire que le nouveau système est favorable aux femmes. Parmi les arguments, assez fallacieux, qu’il met en avant, il y a celui selon lequel le système de points de change rien pour les salarié.es qui restent toute leur carrière au SMIC. Il est vrai que parmi ces personnes là, il y a énormément de femmes, mais il faudrait regarder de plus près.

Aujourd’hui, 45 % des femmes voient leur retraite remontée par le niveau minimum de pension. Le gouvernement a annoncé qu’il allait relever ce niveau à 1000€ et que les personnes concernées, c’est-à-dire majoritairement les femmes, bénéficieront d’une meilleure retraite. Mais ces personnes ont des salaires très bas. Pour nous, l’objectif n’est pas que 45 % des femmes restent au minimum de pension ! Nous nous battons contre ces formes de carrière. De plus, il n’est pas certain que les personnes concernées bénéficient d’une meilleure situation grâce à l’augmentation. Pour avoir le minimum de pension, il faut remplir des conditions telles que celle d’avoir travaillé l’équivalent de 600 heures de SMIC par an pendant toute sa carrière. Donc si la personne a eu des trous dans sa carrière, du chômage non indemnisé ou un début de vie professionnel trop bas, elle ne touchera pas 100 % du minimum de pension.

L’Institut de la Protection Sociale, qui a analysé le projet de réforme, dénonce ce qui est envisagé au niveau des droits familiaux. Lorsqu’il y a un différentiel de salaire très important dans le couple et que les gens ont dans l’idée qu’ils resteront toujours ensemble, le couple décidera naturellement de donner les 5 % supplémentaires à la personne qui a le salaire le plus important, donc très souvent l’homme. Cette mesure rappelle le supplément familial de traitement, qui est une prime de la fonction publique. Il a été reconnu que les hommes touchent majoritairement cette prime, parce qu’en définitive c’est plus avantageux pour le couple. En cas de séparation, cette prime peut être reversée. Mais, pour l’instant, en ce qui concerne la réforme des retraites, le rapport Delevoye ne prévoit pas de garanties si le couple se sépare.

Aujourd’hui, le système des trimestres prévoit une décote suivant le nombre de trimestres non cotisés. Si je pars en retraite alors qu’il me manque 4 trimestres, je toucherais un certain pourcentage de retraite en moins. Mais, il est prévu pour l’instant que le fait d’avoir des enfants permet de diminuer cette part de décote. Donc le système actuel permet à de nombreuses femmes d’arriver en âge de retraite avec une décote moins importante. Cette mesure serait supprimée au bénéfice des 5 %, ce qui ne va pas nécessairement compenser les effets de manque de trimestres à la carrière. D’autant plus que d’après le rapport Delevoye, il faudrait travailler jusqu’à 64 ans pour ne pas avoir de décote. Le rapport propose de maintenir l’âge de départ légal à 62 ans… Mais si l’on part à 62 ans aura une décote de 10 % (dispositifs spéciaux mis à part). Nous sommes bien face à un système non avantageux pour les femmes !

Peut-on faire autrement que de retarder l’âge de départ à la retraite ?

C’est un choix de société : veut-on partir en retraite en bonne santé ? Lorsqu’une personne a travaillé dans le bâtiment et qu’elle part à 60 ans grâce aux critères de pénibilités, elle part cassée.

Et puis, à un moment donné, les gens ont aussi envie de souffler. On ne veut plus être sous la contrainte d’un patron ou d’un chef de service qui nous dit quoi faire, à quelle vitesse et dans quelles conditions. On n’a plus envie de se lever tous les matins. Le salariat s’accompagne d’un très important niveau de contraintes. Les gens ont envie de lever le pied et cela a un rapport avec leur santé. Le gouvernement fait valoir que l’âge réel de départ en retraite est de presque 64 ans. En réalité, moins de la moitié des gens travaillent au dessus de 60 ans ! Beaucoup sont en arrêt maladie ou au chômage. Ce qui veut dire que du point de vue de la sécurité sociale, d’autres branches payent les frais. Globalement, cela n’est donc pas forcément très rentable. La situation est très difficile économiquement et socialement.

La société pourrait décider de cotiser plus pour la retraite. Dans ce cas, il faudrait discuter de qui cotise plus, puisqu’il y a une part patronale et une part salariale. Cette décision nous paraît d’autant plus importante que le nombre de retraité.es augmente. Il y a tout un nombre d’études, contestées, sur l’espérance de vie en bonne santé. Pour nous, il est essentiel de partir en retraite en bonne santé. La retraite n’est pas faite pour mourir trois mois après !

Quelle sorte de mesure rendrait le système plus juste pour les femmes ?

Nous défendons certains avantages familiaux de compensation, mais en disant bien que ces avantages doivent obligatoirement aller aux femmes. Le gouvernement reconnaît 20 % de différence de salaire, en équivalent temps plein, due à de la discrimination salariale. Il y a une mesure simple à laquelle il faudrait réfléchir : donner automatiquement 20 % de retraite de plus aux femmes. Cela permettrait aux femmes de se construire une indépendance économique plus importante, sans compter sur le nombre d’enfants ou le mariage. Une mesure comme celle-ci pourrait être abondée, par exemple, par les branches professionnelles où les inégalités salariales sont les plus fortes.

Comme la retraite est de toutes façons la continuité de la vie active, beaucoup d’autres questions mériteraient d’être posées concernant l’égalité salariale. Une de mes camarades me racontait l’autre jour que les différences sont considérables entre ce que touche une apprentie dans la coiffure et ce que touche un apprenti dans le bâtiment. Les conventions collectives dans la coiffure sont très basses, alors que celles dans le bâtiment sont un peu mieux. Pour que nous connaissions une telle différence aussi tôt dans la carrière, sachant que l’apprentissage correspond à un pourcentage du SMIC ou du salaire conventionnel, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le système.

Propos recueillis par Bénédicte Gilles 50-50 Magazine

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