Articles récents \ Île de France \ Politique Difficultés de régularisation des migrant.es : une volonté politique?

A l’occasion de la journée mondiale des droits humains, le 10 décembre dernier, une rencontre était organisée à Bobigny par Femmes Solidaires 93. Autour de la table : Femmes Solidaires, Africa 93, l’Association Franco-Marocaine des droits humains, une adjointe à la mairie de Stains, un conseiller départemental et des femmes venues témoigner. Sujet de la rencontre : l’accès de plus en plus difficile à la régularisation, au renouvellement des titres de séjour, à la naturalisation, dû à la mise en place de la dématérialisation des procédures.

Depuis 2017, la prise de rendez-vous pour les régularisations, le renouvellement des titres de séjour, et la naturalisation, est dématérialisée, suivant la dynamique à l’oeuvre dans tous les services publics. Pour Mimouna Hadjam, présidente de l’association Africa 93 : « la situation de notre département de Seine-Saint-Denis est très précaire avec une fracture numérique qui ne peut être sous-estimée. Les gens n’ont pas toujours d’ordinateur et ne peuvent pas se connecter pour demander un rendez-vous. Par ailleurs, certains maîtrisent mal la langue française donc comment voulez-vous qu’ils se créent un espace, renseignent des informations s’ils n’ont aucune aide ? Nous ne sommes pas contre la dématérialisation qui a des côtés positifs. Le problème c’est que l’Etat n’a pas du tout pris en compte la fracture numérique et que cela aboutit à des situations catastrophiques pour les migrant.es. »

Mais le point le plus problématique souligné par les associations reste l’absence de disponibilité de rendez-vous sur le site internet de la préfecture pour les demandes de régularisation, renouvellement de titre de séjour, naturalisation.

«Il n’y a aucune disponibilité de rendez-vous sur le site de la préfecture»

Depuis mars 2019, Keira Maskri tente d’obtenir un rendez-vous pour la régularisation de sa situation : « il n’y a aucune disponibilité de rendez-vous sur le site. Un jour, je suis allée à la préfecture pour essayer d’obtenir un rendez-vous puisque le site est fermé. Après 3h d’attente, l’agent d’accueil nous a dit d’aller sur le site …. Nous sommes en décembre 2019 et je n’ai toujours pas de rendez-vous. Personne ne nous donne de réponse, on nous a seulement conseillé de nous connecter à des horaires de faibles affluences, après 00h, avant 7h du matin. Je ne peux pas travailler ni me déplacer, je me sens enfermée, prisonnière ». Cette situation de blocage est grave pour des migrant.es extrêmement précaires du fait de leur situation d’irrégularité : pas d’accès au logement, au travail, risque d’arrestation etc. Les femmes sont d’autant plus touchées qu’elles ont souvent des enfants à charge, ce qui est très compliqué en l’absence d’un titre de séjour. Sans travail, sans aides sociales, comment prendre soin de sa famille ? Josselyne Ducrocq, responsable de Femmes Solidaires du 93, souligne que les femmes migrantes victimes de violence se retrouvent « dans des situations dramatiques, l’emprise est d’autant plus forte, elles ne peuvent pas s’en aller, gagner leur autonomie. La violence ici est d’autant plus forte. L’Etat français, qui a pourtant des obligations quant à l’octroie de titres de séjour, la mise en sécurité des femmes victimes de violence dans leur pays d’origine ou à leur arrivée en France, ne respecte pas la loi. Il y a une violence institutionnelle qui s’ajoute aux violences subies par les femmes migrantes. »

L’absence de rendez-vous disponibles en ligne a également des conséquences graves pour les personnes demandant le renouvellement de leur titre de séjour. La présidente de l’association Africa 93 explique : « en Seine-Saint-Denis, où il y a une grande précarité, un nombre élevé de famille monoparentale, l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous pour le renouvellement signifie la suspension des allocations familiales, des minimas sociaux, c’est dramatique pour ces gens et leur famille. »

Toutes les associations s’accordent sur le constat selon lequel il y a, en France, une rupture de l’égalité dans l’accès au droit : « En n’offrant aucune possibilité de rendez-vous, on empêche les gens d’avoir accès au droit. «  Et le non respect de la loi et du droit des migrant.es existe à toutes les étapes du processus de régularisation, renouvellement, naturalisation. Comme le souligne le président de l’association Franco- Marocaine des Droits Humains, Youssef Ek Idrissi El Hassan : « parfois la /le migrant.e arrive au guichet, et l’agent.e du guichet rejette son dossier. Sachant que la seule et unique personne qui peut rejeter un dossier, c’est la/le préfet.e. Parfois les gens retournent au guichet, informés de ce droit. Et pourtant, de nouveau, on leur oppose un refus. Ce n’est pas possible. Les sans-papiers sont en train de confronter une situation grave, au-delà de la seule problématique de la prise de rendez-vous.  »

Cette situation illégale ne semble toutefois pas interpeller les représentant.es de l’Etat qui usent et abusent de la langue de bois. Le conseiller départemental Abdel Sadi évoque ses efforts de discussion avec l’administration préfectorale qui met en place l’action de l’Etat : « on a posé des questions au préfet puisqu’on peut le rencontrer au moins une fois par an quand il présente son action. La réponse, on ne l’a pas toujours directement, on l’a souvent eu par écrit : pas de possibilité de vous donner des rendez vous. Je n’interviens plus auprès du préfet, ça n’a plus de sens, c’est toujours la même réponse : allez sur le site, on va remettre des rendez vous. » Et d’ajouter : « nous avons aussi manifesté devant la préfecture, des élu.es se sont mobilisé.es, notamment la députée Marie-George Buffet, mais la situation n’a pas évolué. »

L’adjointe au maire de Stains, Fabienne Tessier Kerdosien, partage ce constat : « les réponses sont toujours hyper-négatives, on nous répond qu’un dispositif est déjà en place. Je me connecte souvent sur le site, il n’y a jamais de disponibilités de rendez-vous. Ce qui est inadmissible, c’est qu’on est élu.e de la république et que le préfet ose nous répondre qu’il n’y a pas de possibilité, on a l’impression qu’il remet en cause notre connaissance de la situation des gens. »

« En France, on ne construit pas un mur visible comme en Hongrie ou aux USA, mais un mur invisible, fait d’écrans d’ordinateur »

Face à cette situation insoluble, Fabienne Tessier Kergosien évoque la construction d’un mur invisible : « en France on ne construit pas un mur matériel comme en Hongrie ou aux Etats-Unis, mais un mur invisible fait d’écrans d’ordinateur. Les migrant.es peuvent entrer sur le territoire français mais elles/ils sont par la suite empêché.es de régulariser leur situation parce qu’il n’y a aucun rendez-vous disponible en préfecture. Ici, l’Etat ne respecte pas ses propres lois. On peut parler d’une volonté politique. Si la France s’est longtemps targuée d’être un pays d’accueil, elle refuse désormais les migrant.es arrivant sur son sol. »

Mimouna Hadjam partage cette vision et souligne la problématique de l’invisibilisation de la situation des migrant.es à laquelle conduit la dématérialisation  : « le gouvernement a justifié la dématérialisation par des économies, des gains de temps et la fin des files d’attente interminables, où les migrant.es attendaient dans des conditions déplorables, dormaient parfois dans la rue, devant la préfecture, pour décrocher un rendez-vous. Au final, on se rend compte que ces prises de rendez vous en ligne ont simplement permis au gouvernement de rendre invisible la situation catastrophiques des étranger.es. Désormais les gens n’attendent plus devant la préfecture, captant l’attention des passant.es et des médias, elles/ils attendent chez elles/eux, enfermé.es, et plus personne n’est conscient de leur situation. Le gouvernement ne souhaite pas accueillir les migrant.es et choisit donc de ne rien faire, rendant impossible leur régularisation et leur intégration dans la société française. »

Abdel Sadi appuie ce point de vue : « est-ce-que c’est une logique ? Est ce qu’on veut maintenir dans cette situation des milliers de gens sur le département ? Nous pensons qu’il y a une logique de gestion des habitant.es de ce département, mais aussi une logique de l’administration pour laquelle les moyens ne sont pas conséquents. Quand on interroge les personnels des différents services, ils disent qu’ils n’ont pas les moyens. Seule une réponse collective pourrait faire évoluer la position des préfet.es. »

Ce déni délibéré du gouvernement français devrait être questionné. C’est ce que nous dit Josselyne Ducrocq : « il faut se poser la question de l’émigration, de l’exode, car ces gens habitent dans des pays où la France va faire la guerre, exploite les ressources. Les habitant.es sont obligé.es de partir, de s’échapper, de fuir, et de vivre dans des conditions très précaires. Nous sommes responsables de cette situation, qui est d’autant plus préoccupante pour les femmes puisque l’Etat français a reconnu, à travers des conventions internationales, l’octroie du statut de réfugié.e pour les victimes de persécutions liées au genre. »

La situation actuelle reflète l’illégalité de l’action étatique. Aux violences subies par les femmes, s’ajoute la violence institutionnelle d’un Etat qui ne leur reconnaît aucun droit et les condamne à rester dans une situation intenable, faite de violences et de précarité.

Marion Pivert 50-50 Magazine

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