Articles récents \ Monde Françoise Girard : « Nous avons besoin d’événements mondiaux pour continuer le combat »

Françoise Girard est présidente de la Coalition internationale pour la santé des femmes (IWHC). Son organisation fait partie des six membres du groupe central, qui constitue l’organe décisionnel suprême du Forum Génération Égalité. Il est co-présidé par des représentant.es d’ONU Femmes, de la France et du Mexique, ainsi que par deux représentants de la société civile, dont l’IWHC.

Que pouvez-vous nous dire de la Conférence organisée à Pékin en 1995 ?

Je n’y étais pas personnellement mais notre Coalition avait été sollicitée par l’administration Clinton. C’était un moment extraordinaire pour les féministes du monde entier, d’après les témoignages que j’ai pu recueillir. Quand je relis les textes, « la Déclaration et le programme d’action de Beijing »,  je les trouve extrêmement ambitieux pour l’époque. C’était il y a 25 ans, et pourtant ils sont encore tellement d’actualité. Ces textes parlaient déjà de violences économiques, par exemple.

En 25 ans, pour vous comment le mouvement féministe a-t-il évolué ?

Depuis 1995, les mouvements féministes nationaux ne se sont pas reposés sur leurs lauriers, les militant.es, les associations et organisations, ont continué à faire pression sur les gouvernements. Et c’est un travail qui ne sera jamais terminé.

Au niveau international, les attaques contre les droits des femmes ont toujours existé. Dès le lendemain de la Conférence à Pékin en 1995, certain.es ont essayé de revenir en arrière, de remettre en question l’égalité entre les sexes. Nous devons tenir la forteresse pour ne pas laisser de place aux plus conservateurs.

Et que pensez-vous de l’évolution des droits des femmes ?

En 25 ans, beaucoup d’évolutions ont été constatées. 50 pays et régions ont dépénalisé ou légalisé l’accès à l’avortement par exemple. La mortalité maternelle a été divisée par deux.

C’est l’évolution de la société en 25 ans qui nous a amené.es au mouvement #MeToo.

Toute la question du travail non rémunéré des femmes, le travail ménager, par exemple, fait désormais partie des discussions et les économistes se rendent enfin compte que c’est important. Donc oui nous avons vu des avancées. Je suis plutôt optimiste !

Quels sont les enjeux du Forum Génération Égalité ?

D’abord, en ce qui concerne les négociations régionales, en Asie, en Amérique Latine, au Proche Orient, en Europe… nous avons poussé les gouvernements à améliorer l’égalité femmes/hommes.

Le Forum Génération Égalité, est un événement à part, qui ne rassemble que les gouvernements progressistes, qui sont déjà engagés, un minimum, sur ces questions d’égalité, ainsi que la société civile et le secteur privé. L’objectif est de montrer l’exemple aux autres pays. Nous avons donc défini six thèmes, les Coalitions d’action : violences basées sur le genre ; justice et droits économiques ; autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle ; action féministe pour la justice climatique (crise migratoire, réfugiées) ; technologies et innovations pour l’égalité des sexes ; mouvements et leadership féministes. Les droits des adolescentes et des jeunes femmes seront traités dans chacune des Coalitions.

Le Forum Génération Égalité compte donc six thèmes, la Conférence de Pékin en 1995 en comptait douze …

Oui, nous avons poussé pour qu’il y ait plus de thèmes, nous trouvons cela insuffisant. Mais certains gouvernements, dont la France, voulaient un nombre limité de Coalitions d’action pour que tout soit plus clair. Nous avons d’ailleurs beaucoup poussé pour ajouter la Coalition d’action « autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle », comme le droit à l’avortement. Nous ne souhaitons pas nous cantonner au contenu des négociations diplomatiques sur ce thème mais aller au-delà.

Les mouvements féministes régionaux, notamment en France, craignent que le Forum ne soit pas suffisamment ouvert à tout.es et que les négociations soient déconnectées de la réalité du terrain, qu’en pensez-vous ?

C’est un risque je suis d’accord, avec des chefs d’Etat qui vont discuter, dans leur coin, de ces questions d’égalité. Mais j’espère que les militantes féministes feront suffisamment pression sur les gouvernements. J’ai confiance, elles peuvent faire avancer les discussions. De toute façon, ce Forum ne remplacera jamais l‘action au niveau local. Mais les mouvements féministes ont besoin d’un écho mondial, ont besoin de rassemblements globaux, pour trouver l’énergie nécessaire, pour se redonner du courage et pour continuer le combat. C’est aussi une façon d’influencer les nouvelles générations. Quand on écoute les femmes qui étaient présentes en 1995 à Pékin, on se rend compte à quel point les rassemblements sont précieux, c’est une forme de solidarité, de sororité. Cela ne va pas tout résoudre mais il ne faut pas dénigrer la force de tels événements. Et puis 25 ans après Pékin, il est temps, les nouvelles générations réclament un rassemblement d’envergure internationale.

Mais le Forum est-il suffisamment ambitieux ? Il n’y a que 5 000 places pour la société civile, quand à Pékin en 1995, 50 000 environ y participaient.

Je suis d’accord, et c’est bien dommage, car nous aurions souhaité quelque chose de plus important, à l’échelle de Pékin. La France en avait les capacités. Cela ne va pas être facile de sélectionner les participant.es, il faudra une représentation équitable par pays.

Votre organisation milite notamment pour la santé des femmes et leurs droits reproductifs, c’est l’un des thèmes du Forum, qu’attendez-vous sur cet enjeu là précisément ?

C’est un combat fondamental, les femmes et les femmes trans, doivent pouvoir contrôler leur corps, leur reproduction et leur sexualité. Le corps c’est la base de l’égalité femmes/hommes. C’est d’ailleurs pour cela que l’opposition, les conservatrices/conservateurs focalisent leur combat sur ces questions, elles/ils ont bien compris qu’en contrôlant le corps des femmes, elles/ils contrôlent les femmes et leur liberté. C’était indispensable d’avoir une Coalition d’action sur cet enjeu. De notre côté, nous aimerions notamment que l’accès à l’avortement soit complètement auto-géré par les femmes, c’est controversé, mais pour nous c’est important.

Et sur la question de l’autonomie corporelle, il ne faut pas faire de discriminations entre les femmes, les femmes trans, les personnes non binaires. 

Pensez-vous que le gouvernement français sera suffisamment ambitieux sur les questions d’égalité ?

Nous avons entendu dire que le gouvernement français ne souhaitait pas trop parler d’avortement par exemple, et très honnêtement, nous avons du mal à comprendre cette position. Nous allons leur mettre la pression. D’ailleurs, j’espère que les associations françaises vont aussi mener la bataille pour forcer la main à Emmanuel Macron. Nous avons besoin d’elles.

Propos recueillis par Chloé Cohen, 50-50 magazine

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