Articles récents \ Île de France \ Politique Danielle Simonnet : « Nous souhaitons créer à Paris un centre d’accompagnement global des victimes des violences sexistes et sexuelles »

Danielle Simonnet est coordinatrice du Parti de gauche, oratrice nationale de la France Insoumise et élue du XXe arrondissement ainsi qu’au Conseil de Paris. Elle est une des rares femmes politiques à faire du théâtre sous la forme des conférences gesticulées. Elle se présente en binôme à la mairie de Paris avec l’ex-footballeur Vikash Dhorasoo pour la liste citoyenne Décidons Paris soutenue entre autre par La France Insoumise et Révolution Écologique pour le Vivant mouvement écologiste fondé par Aymeric Caron.

Quand avez-vous commencé la politique et quand êtes-vous devenue féministe ?

On me pose souvent la question. Mais je ne pense pas qu’il y ait une date de commencement.
Je me souviens par exemple au collège avoir eu un débat avec mes camarades sur la peine de mort, je jouais ma vie ! C’était un enjeu fondamental pour moi ! Et quand j’étais toute petite, le premier métier que je voulais faire était d’être Sœur Thérésa pour que les pauvres en Afrique arrêtent de mourir de faim.

Je pense avoir toujours voulu m’engager. Évidement, mon engagement deviendra plus fort à partir de 1986. Lycéenne, je participe au mouvement contre la loi Devaquet (1) . À cette époque j’ai envie d’avoir mon BAC pour aller à l’université et m’engager. Je choisis Nanterre, une fac engagée. Je commence dans le syndicalisme étudiant. Puis très vite, cela se transforme en engagement politique.

Je me retrouve dans l’aile gauche du parti socialiste. Je décroche mon premier mandat politique d’adjointe dans le XX ème en 2001, grâce à la parité. Aux municipales, pour la première fois, la loi sur la parité s’applique.  Afin d’entrer dans le conseil d’arrondissement, notre petit courant d’aile gauche doit fournir des femmes. Je pense que moi-même, je me serais auto-censurée, j’aurais considéré le garçon responsable du groupe plus compétent que moi. Aujourd’hui, j’ai cette lecture là, pas à l’époque. C’est bien après que j’ai pris conscience que la parité ne m’a pas aidée à gagner en compétences mais pour m’avoir mis un coup de pied dans le derrière !

Mais la parité crée des tensions. Je me suis brouillée avec le responsable politique local, qui s’est retrouvé dans l’ombre et moi dans la lumière. Je commence alors à prendre conscience des rapports femmes/hommes alors qu’avant je ne pensais pas être spécialement féministe. Je n’avais pas une lecture genrée de la société patriarcale. Il a fallu une dynamique de groupe, venant de mes amies de différentes associations, pour m’amener à avoir cette approche.

C’est en entrant dans le monde de la politique que je commence à me rendre compte que c’est violent et à devenir féministe.

Dans le XX ème, je suis adjointe en charge de la jeunesse des résident.es étranger.es. Je crée un conseil de la jeunesse, et un groupe de paroles avec un petit noyau de jeunes filles. Je développe une volonté de faire émerger les filles. Nous créons également le conseil de la citoyenneté des résident.es étranger.es extra-communautaires. Dès la première réunion, je n’ai que des hommes autour de la table…  Je leur dis que le conseil n’aura lieu que s’il y a une moitié de femmes. Nous faisons le tour des marchés pour motiver les femmes qui me répondent bien souvent : « Madame Simonet, c’est très intéressant ! Je vais demander à mon mari s’il peut participer à votre conseil . »  Nous arrivons à créer ce conseil avec la parité femmes/hommes. Mais il faut se battre pour avoir une alternance femmes/hommes dans les prises de parole.

Quel est votre parcours sur le plan professionnel ?

Après mes X thèses dans le syndicalisme, non validées à cause de mes activités militantes, je valide néanmoins une licence de Psychologie, je fais une licence de Sciences politiques et je passe le concours de conseillère d’orientation psychologue. Je deviens psychologue de l’Education nationale dans le second degré et dans les centres d’information et d’orientation (CIO) des établissements scolaires. Je pense avoir un parcours professionnel en lien avec mon cheminement politique. Et quand je deviens conseillère de Paris, je me mets en disponibilité.

Quel est votre programme sur l’égalité femmes/hommes sur la question des violences ?

Grâce à des mouvements comme #MeToo, des paroles se libèrent, surtout sur les violences. Nous souhaitons créer à Paris un centre d’accompagnement global des victimes des violences sexistes et sexuelles. Dans un même lieu, les femmes pourront parler de ce qu’elles ont subi, se reposer, rencontrer un. psychologue, un.e assistant.e social.e et plus globalement être accompagnées dans toutes les dimensions !

Je pense que la maison des femmes de Saint-Denis est un bon exemple mais il lui manque la possibilité de déposer une plainte comme au commissariat. Le centre de Nantes a réussi à le faire. Et ce n’est pas une ville plus riche que Paris.

J’ai beaucoup soutenu la lutte du Palais de la femme, parce que ce lieu connaît beaucoup de problèmes depuis au moins 5 ans. Il y a une rupture de la non-mixité dans ce lieu. Mettre des hommes cabossés de la vie avec des femmes qui ont souvent subi des violences est une aberration complète. il y a même eu un viol dans ce lieu censé permettre aux femmes de se reconstruire après avoir subi beaucoup de violences, de la précarité etc.

L’espace public doit être réaménager. L’éclairage ne doit pas aussi être uniquement pensé pour être écologiquement responsable, mais aussi pour rassurer. Les bus qui s’arrêtent à la demande est aussi une mesure qu’il faut mettre en place.

Avez-vous des projets sur l’égalité filles/garçons ?

Nous souhaitons faire un travail en terme d’éducation à l’égalité filles/garçons dès la crèche. Il faut former les professionnel.les à l’éducation non genrée. Il faut essayer de le faire avec des chercheur.es qui ont travaillé la question, en pédagogie, en éducation, et avec le mouvement féministe. Il faut arriver à être pilote et trouver comment, dès la petite enfance, ne pas se retrouver avec des rôles sexués.

Et puis évidement il faut que cela continue à la maternelle, en primaire, au collège et lycée, dans les centre de loisirs, dans les bibliothèque de la ville de Paris, dans les structures de jeunesse etc..

Il y a aussi le problème des places en crèche. Il y a toujours 1 bébé sur 2 qui n’a pas de place en crèche! On a certes beaucoup progressé et Paris est même bien placée par rapport à d’autres villes mais cela reste totalement insuffisant et c’est un grave problème. J’ai lu un article d’une sociologue qui expliquait qu’il y avait plus de nouvelles crèches dans les quartiers populaires, mais seulement dans les quartiers gentrifiés de ces quartiers. Et comme on priorise les femmes qui travaillent pour avoir accès aux crèches, cela signifie que des femmes en situation de famille monoparentale se retrouvent en plus grande précarité. Elles ne travaillent pas, coincées avec leur bébé et ne peuvent donc pas obtenir de place en crèche. Je pense qu’il faut mettre en place un système de droit à la crèche opposable, droit à la prise en charge de la crèche opposable. Si la collectivité n’arrive pas à garantir une place en crèche, en fonction des critères sociaux des revenus de la famille monoparentale ou autre, il est nécessaire de payer le complément pour que cette famille puisse avoir au moins une assistante maternelle et qu’elle ne paye pas plus que pour une place en crèche.

Que proposez-vous en terme d’égalité professionnelle ?

Autre volet, le rapport au travail. Je suis frappée par le fait que, comme dans la campagne précédente, on ne parle pas du travail. Comme si le travail n’était pas une compétence de la ville. Hors c’en est une à mes yeux. Il y a 50 000 agent.es de la ville de Paris. Il n’y a pas d’homogénéisation des régimes indemnitaire entre les catégories C à la ville. Résultat, on se rend compte que les régimes inter-indemnitaire catégorie C, égoutiers, éboueurs, agents de propretés est bien plus favorable que  les régimes de celles/ceux qui travaillent dans les écoles, les cantines, les structures de la petite enfance, en majorité des femmes. Donc on se retrouve avec une inégalité salariale, femmes/hommes, en ce qui concerne les plus bas revenus assez conséquente. Il y a là une bataille pour homogénéiser par le haut les régimes indemnitaires.

Sur la lutte contre la précarité, la ville n’a pas rien fait ! Notamment sur le nettoyage, il y a eu un bon bilan qui a permis de se rendre compte qu’il n’est pas obligatoire que les femmes nettoient les bureaux en dehors des heures de travail et qu’elles aient des horaires aussi monstrueuses pour la santé. Il y a eu beaucoup de travail de fait pour qu’elles aient un travail en journée.

Il faut aussi travailler sur la mixité des métiers. Il en va de même pour la police municipale. Je suis en total désaccord avec la maire de Paris sur la création de la police municipale, mais au moins je valide l’idée qu’elle soit mixte. Mais avec ces 60 millions qu’elle souhaite y consacrer, nous pourrions ouvrir 4700 places d’hébergements avec un accompagnement social et il n’y aurait plus une seule personnes à la rue.

Il y a aussi la question du travail dans la ville. J’étais contre l’ouverture des magasins le dimanche. Nous savons pertinemment que dans le secteur du commerce, il y a beaucoup de femmes qui se retrouvent contraintes d’accepter de travailler le dimanche. Elles ont une vie familiale bousillée ainsi que des problèmes de santé. Il y a par ailleurs des majorations salariales bien faibles au départ et qui disparaissent très vite. Non seulement il y a un enjeu écologique évident d’arrêter de courir à l’hyper-consommation et de croire que le bonheur est au fond du caddie mais en plus la question de l’harmonisation des temps sociaux est un enjeu pour les femmes, car ce sont les premières à subir la dérégulation du temps de travail sur la journée, sur la semaine et sur la vie. Je trouve que c’est une vraie bataille féministe.

Que dit votre programme sur la question de la santé et des droits sexuels et reproductifs ?

La santé est aussi un point de mon programme ainsi que l’éducation sexuelle. Il faut soutenir les planning familiaux. Dans le XX ème, il a fallu se battre pour garder le centre IVG, qui ne fonctionne toujours pas de manière optimum à l’hôpital de Tenon, par manque de personnels. On observe qu’il y a une dégradation de l’accès au droit à l’IVG sur ces 10 dernières années et Paris n’est pas épargné. Il faut former plus de gynécos. Le rôle de la mairie doit être d’interpeller les Hôpitaux de Paris pour garantir que les femmes aient bien accès au droit à l’IVG dans de bonnes conditions, et que les plannings les reçoivent dans de bonnes conditions.

Il y a aussi la santé et le rapport à l’égalité qui sont liés, notamment sur le plan de l’hygiène. Il y a eu des actions très fortes faites par la mairie du X ème avec une distribution de serviettes hygiéniques gratuites dans les établissements scolaires. Il faut prendre l’exemple de l’Écosse qui vient de voter la gratuité des tampons et des serviettes hygiéniques !

Qu’en est-il de la parité sur vos listes ?

Nous tenions absolument à avoir la parité femmes/hommes sur les têtes de liste. Sur les 17 têtes de liste, nous avons 10 femmes et 7 hommes. Et surtout nous n’avons pas mis les femmes dans les arrondissements de conquête ! Nous avons une femme dans le XVI ème certes, mais nous avons une femme dans le XX ème, le XIX ème et le XI ème. Nous sommes fièr.es de ne pas avoir cantonné les femmes au VII ème, VIII ème , XVII ème, Paris centre etc. , qui sont des arrondissements plus délicats pour nous.

Dans votre programme, vous dites  que l’expérience démocratique communaliste, féministe, écologique du Rojava au Kurdistan pourrait vous inspirer à Paris, pourquoi ?

J’ai participé aux commémorations du triple féminicide de leurs trois grandes dirigeantes à Paris par les services secrets turcs. Je me suis intéressée au combat des Kurdes, je suis allée en Turquie. Et vraiment j’ai été très bousculé. J’ai rencontré le mouvement féministe kurde et ces femmes m’ont raconté comment la révolution féministe était pour elles le point de départ autant que le point d’arrivée. Ce mouvement politique est passé dans les années 70, du marxisme léniniste au municipalisme en mettant la question féministe au cœur de leur processus de révolution. Elles m’expliquaient l’auto-organisation des femmes, les assemblées non-mixtes de femmes qui avaient la possibilité de décider de chose importante dans le mouvement politique. Lorsqu’en Syrie, elles se battent contre Daesh, la question du programme féministe émancipateur, l’arme intellectuel du projet féministe est la meilleur arme contre le projet obscurantiste fasciste, intégriste de ces terroristes. Dès qu’une ville est libérée, elles vont pousser les femmes à s’auto-organiser. Et dans ces villes libérées, il va y avoir une assemblé des femmes, des binômes paritaires femmes/hommes.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

 

1 Le projet de loi Devaquet était un projet visant à réformer les universités françaises. Il a été contesté par un fort mouvement étudiant et lycéen. A la suite de la mort de Malik Oussekine, il a été  retiré.

 

 

 

 

 

 

 

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