Articles récents \ Île de France \ Économie Auxiliaires de vie et aides à domicile : les grandes oubliées de la crise sanitaire

Les auxiliaires de vie et les aides à domicile exercent un métier indispensable, de contact et d’échanges, auprès des personnes âgées ou fragiles. Mais ces métiers précarisés, exercés à 97,7% par des femmes, sont davantage sacrifiés en cette période de crise sanitaire. Fatigue, pression, sous-effectif, manque de matériel, surcharge de travail, épuisement moral et physique… ces femmes subissent de plein fouet la crise sanitaire. Laissées-pour-compte, elles sont pourtant mobilisées aux premières loges de la pandémie. C’est au contact direct qu’elles accompagnent le quotidien de leurs patient.es. Sur le terrain, c’est une dure réalité que vivent ces travailleuses sociales.

Rahma Daouadji, 30 ans, auxiliaire de vie à domicile, en Ile-de-France, travaille dans une société de services à la personne.  C’est du lundi au samedi, de 8h à 19h, dans des lieux multiples, à distance variables, qu’elle effectue des missions chronométrées. Aujourd’hui, elle est épuisée : « avec la crise, je fais des journées beaucoup plus longues. En raison de l’absentéisme de mes collègues qui s’occupent de leurs enfants pendant le confinement, j’ai beaucoup plus de travail. Je commence très tôt, je fais le réveil des patient.es, les soins d’hygiène, la prise du petit déjeuner et j’enchaîne mes interventions chez huit personnes différentes au lieu de cinq habituellement. Le temps des trajets me fatigue, je peux faire en une journée le tour de l’Ile-de-France ! Je n’ai pas le permis de conduire, j’effectue les trajets en transport en commun ». Ces conditions de travail ne sont pas sans conséquence, son état physique se détériore. « J’ai mal au dos, je me réveille avec des courbatures, j’ai des tendinites à répétition et j’ai le moral à zéro » se désole-t-elle.

« Chaque jour, je prends un risque »

Les auxiliaires de vie qui interviennent en particulier au domicile des personnes âgées, sont particulièrement exposées au coronavirus. Toutefois, aucune mesure de prévention n’est mise en place pour permettre de limiter le risque d’exposition ou de transmission et cela malgré la proximité avec la/le patient.e. « Chaque jour, je prends un risque. J’ai peur de contracter le virus, je n’ai pas de masque et dans le meilleur des cas, ma société me fournit seulement un masque par jour alors que je m’occupe de plusieurs patient.es dans la journée. Le contact est direct avec les personnes fragilisées, je procède à la toilette et l’habillage sans porter de gants, ni de blouse ou de tablier plastique. Je rentre chez moi chaque soir le cœur noué » explique-t-elle. Ces travailleuses craignent pour leur santé, les bénéficiaires également : « les patient.es ont peur de moi, sont  très inquiet.es car que je ne porte pas de masque. Beaucoup me demandent pourquoi l’infirmière qui vient une heure avant moi porte un masque et des gants alors que nous les auxiliaires de vie n’avons aucun moyen de protection ». Elle poursuit indignée : « les masques sont réservés aux professionnel.les de santé, nous les auxiliaires de vie sommes considérées comme du personnel de second plan. Parfois, j’ai l’impression de me jeter dans la gueule du loup ».

« Notre mission ce n’est pas que le ménage ou la cuisine ! C’est avant tout un soutien moral qui passe par de l’échange et de la compagnie»

Toutefois, certaines aides à domicile ont la chance de travailler dans de meilleures conditions pour faire face à la crise sanitaire. C’est le cas de Stéphanie Lavit, 40 ans, aide à domicile pour la mairie de Nanterre et fière des initiatives prises par sa ville : « très vite, j’ai été équipé de masques, de gants et de gels hydro-alcooliques ». Malgré la pénurie de masques, la collectivité a encouragé les entreprises de la ville à la production de masques et a trouvé des alternatives pour protéger le personnel soignant.  Ainsi, la société l’Atelier du Possible s’est proposée pour confectionner 20 000 masques en tissu pour le personnel de la ville de Nanterre en attendant la réception de masques médicaux.

Les aides à domicile assurent un rôle de soutien psychologique des patient.es. « Notre mission ce n’est pas que le ménage ou la cuisine ! C’est avant tout un soutien moral qui passe par de l’échange et de la compagnie. Nous devons aussi  rassurer les personnes vulnérables et  les sécuriser. Le plus difficile, c’est avec les personnes atteintes d’Alzheimer car il faut leur rappeler constamment qu’elles ne peuvent pas sortir » explique Stéphanie Lavit. Cette travailleuse sociale n’hésite pas à faire preuve d’astuces et de créativité pour les dissuader de sortir : « j’ai accroché une pancarte à la porte sur laquelle j’ai écrit en lettres rouges : VIRUS MORTEL ».

Stéphanie Lavit a trois enfants en bas âge, elle aurait pu exercer un droit de retrait mais reste déterminée à visiter ses patient.es : « j’ai décidé de continuer, c’est un choix et un devoir de conscience. Je suis attachée à mes patient.es, je ne peux pas les abandonner dans un moment de crise »

Concernant la reconnaissance de sa profession à travers les médias et l’opinion publique, Stéphanie Lavit déclare : « personne n’a de considération pour notre travail. Personnellement, je trouve mon épanouissement dans les sourires et les regards de mes patient.es. Souvent, elles/ils me remercient et cela n’a pas de prix »

 « Si je fais ce métier, c’est pour permettre aux personnes vulnérables de vieillir dans la dignité »

 Zarah Ribat, auxiliaire de vie depuis 3 ans, souligne l’isolement de la profession comme facteur d’angoisse. Elle explique : « à l’hôpital, le personnel soignant gère la crise en collectivité ; nous les auxiliaires de vie et aides à domicile sommes seules, je n’ai pas la compagnie d’une collègue à qui je peux me confier. J’interviens seule au domicile des patient.es. Il y a quelques jours, une auxiliaire de vie a sombré dans la dépression car elle a découvert le corps inanimé d’un patient mort atteint du coronavirus.  Elle a depuis abandonné son poste ».

Aux soins quotidiens (toilette, repas, transfert fauteuil/lit…) s’ajoutent de nouvelles tâches : « avec la crise, je dois faire les courses et le ménage en plus » affirme Rahma.  Un rythme toujours plus accéléré, qui entraîne une baisse de la qualité de la prise en charge des patient.es . Quant à savoir si elle bénéficie de primes ou augmentation de salaire : « mon salaire reste le même. J’ai cinq ans d’expérience et je suis payée à peine un SMIC, je me sens humiliée, je mets du cœur et du temps dans un boulot difficile qui n’est pas reconnu. Mes faibles revenus ne me garantissent pas un niveau de vie correcte » regrette-t-elle.

Pourtant, même si la profession est difficile, ces femmes sont passionnées par leur travail. Rahma  affirme fièrement : « c’est un beau métier, on aide les personnes dans une situation fragile. En période de confinement, les sénior.es sont davantage isolé.es. Notre aide, notre écoute leur est d’un soutien précieux ».

Stéphanie Lavit conclut : « nous sommes là pour rassurer nos patient.es, leur apporter de la chaleur. Ce sont ces valeurs humaines qui nous donnent la force de continuerSi je fais ce métier, c’est pour permettre aux personnes vulnérables de vieillir dans la dignité. Les années passent et demain nous serons à leur place » .

Un travail difficile, exigeant, pénible mais avant tout un métier profondément humain qui mérite d’être reconnu à sa juste valeur.

Messilia Saidj 50-50 Magazine

Photo de Une : Stéphanie Lavit, aide à domicile pour la mairie de Nanterre

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