Articles récents \ Île de France \ Société Magalie Ben Bachir : « nous ne pouvons pas imaginer l’enfer que les femmes victimes de violences conjugales vivent en ce moment » 2/2

Magalie Ben Bachir travaille au sein du Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) du département Essonne depuis bientôt 16 ans. Psychologue sociale de formation, elle est coordinatrice sur le secteur professionnel, référente égalité et, depuis 2016, référente départementale sur la question des violences conjugales. Elle sillonne le département et dirige des ateliers auprès d’un public divers et pluriel. 

Quels sont les impacts du confinement sur vos services ?

Toutes les structures du département maintiennent l’accompagnement téléphonique. Nous rendons nos services plus virtuels. Et c’est la même chose pour l’ensemble des structures qui travaille sur la question des violences, les centres d’hébergement ont maintenu leur permanence physique. Chacun·e essaye de s’organiser pour que cela soit vécu le plus sereinement possible pour le public.

Cependant, un accompagnement téléphonique ne pourra jamais remplacer un accompagnement physique et un contact humain bienveillant comme nous pouvons le réaliser chaque jour sur nos lieux de permanence. Les femmes que nous recevons dans nos bureaux peuvent se poser, parler plus facilement de ce qu’elles vivent, en toute sécurité et confidentialité. Même si c’est plus compliqué par téléphone, il est essentiel pour nous d’entretenir ce lien en temps de confinement, ce que nous faisons chaque jour par des échanges réguliers par mail et téléphone. Mais nous partageons tout·es la même inquiétude concernant les femmes en situation de violences conjugales en confinement. Nous ne pouvons pas imaginer l’enfer qu’elles vivent et les situations de tensions multiples que cela peut générer. Malheureusement, et même si nous maintenons notre activité, nous ne cessons de nous sentir assez impuissant·es face à la situation.

Quelles sont vos actions sur les questions de l’égalité femmes/hommes ?

Nous avons mis en place un atelier à destination des élèves de 3ème : « les métiers ont-ils un sexe ? » qui les amène à réfléchir sur la question de l’égalité des genres en l’abordant sous l’angle de l’orientation professionnelle. C’est un âge intéressant car elles/ils commencent à construire un vrai discours critique qui nous permet d’avoir des échanges riches. L’objectif est d’ouvrir leurs horizons et d’agrandir leurs marges de manœuvre. Cela peut être un peu déstabilisant, car cet atelier remet parfois en cause des modèles qui ne l’ont jamais été auparavant. Nous souhaitons toujours qu’un·e enseignant·e soit présent·e lors de l’atelier, de préférence la/le professeur·e principal·e. Cela leur permet d’entrevoir d’autres facettes de leurs élèves mais aussi de les encourager à travailler sur les questions de l’égalité dans leurs cours, ce qui arrive assez régulièrement ! Un professeur de mathématiques nous avait demandé s’il pouvait avoir accès aux chiffres « clefs d’Égalité » utilisés lors de notre intervention afin de les réutiliser dans ses devoirs de maths !

En moyenne, nous touchons entre 500 et 600 collégien·nes par an sur ces ateliers là en Essonne.

Quel autres publics visez-vous ?

Nous avons des ateliers pour des personnes qui viennent d’obtenir leur titre de séjour ou sont dans les 5 ans de la signature du CIR (Contrat d’Intégration Républicaine). Il y en a un qui est centré sur l’accès aux droits et à la citoyenneté et un autre sur les notions d’égalité femmes/hommes et de liberté telles qu’elles sont protégées en France. Ces personnes ont souvent l’impression d’avoir moins de droits et d’accès à l’égalité à cause de leur statut d’étranger·e, notre objectif est de leur montrer que toutes les personnes du territoire sont égales. Il y a donc un grand travail de revalorisation qui est mené. Ces ateliers sont non mixtes car nous travaillons sur l’égalité entre les femmes et les hommes. En fonction des vécus, nous abordons souvent les questions de violences sexuelles et sexistes, de mutilations sexuelles féminines, de mariage forcé, de polygamie, etc. Nous savons que la parole se délit beaucoup plus facilement dans un groupe non mixte, aussi bien pour les femmes que pour les hommes.

Pour finir, nous pouvons parler de l’atelier « Vous avez dit égalité ? » que nous faisons pour tout public : des professionnel·les, des jeunes, des personnes en maison d’arrêt… Nous allons là où on nous le demande ! Dans 95% des cas, c’est nous qui nous déplaçons, et ce, dans tout le département.

Intervenez-vous principalement dans les Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) ?

Non, néanmoins il y a des financements spéciaux sur les QPV. On nous demande parfois d’y intervenir car il y a la possibilité de débloquer des enveloppes budgétaires plus facilement. Mais ce n’est qu’une partie de notre activité. Quelle que soit la ville ou l’endroit où nous intervenons, nous faisons la même activité avec les mêmes outils et nous recevons les mêmes réactions, les mêmes questionnements. Nous savons que nous avons besoin de travailler partout, les inégalités et les discriminations se retrouvent dans toutes les villes, dans tous les quartiers.

En quoi consiste le projet TouteSport ?

C’est un projet en partenariat avec le ministère des Sports. Nous l’avons mis en place avec un groupe de femmes que nous suivions en accompagnement professionnel. Faire une activité, quelle soit sportive ou physique, nécessite de prendre du temps pour soi et cela a un impact direct sur la façon d’aborder sa vie professionnelle. Nous avons proposé ce projet à des femmes très éloignées de l’activité physique, aux corps abimés, un peu abandonnés. Quasiment toutes ont accepté.

Nous avons commencé par des temps collectifs pendant lesquels nous travaillons sur la question de l’estime de soi, de la santé, leur rapport à l’activité physique voire l’activité sportive. Ensuite, nous avons organisé des marches hebdomadaires avec elles, qu’elles ont poursuivies seules une fois la dynamique enclenchée. Ces dames ont très vite commencé à aller mieux, à marcher plus vite, plus longtemps.

Parallèlement, nous avons mis en place un diagnostic de l’offre sportive dans leur environnement. Nous voulions savoir ce qui les empêchaient de faire du sport ou de s’inscrire à une activité. Sans surprise, le coût financier trop élevé, les horaires incompatibles avec une vie de famille ou la question de la mobilité sont des freins majeurs pour ces femmes. Nous avons donc sollicité l’un de nos partenaires, la branche sport de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale pour leur expliquer notre projet. Ils nous ont mis en relation avec l’UFOLEP91 qui nous a mis à disposition un coach. Avec lui, notre groupe de femmes travaille la gym douce toutes les semaines, sur un créneau horaire qui leur est réservé dans un gymnase. Aujourd’hui, elles se sont métamorphosées, entre ce que les femmes pensaient faire au tout début (une marche de trente minutes) et ce qu’elles font maintenant, elles n’en reviennent pas !

L’État vous subventionne-t-il suffisamment ?

Nous aimerions pouvoir étendre nos permanences sur les violences conjugales. Nous avons subi quelques coupes budgétaires qui ont impacté le nombre de permanences que nous pouvons mettre en place, donc oui, nous aimerions avoir plus de subventions. Le fait que les violences conjugales soient de plus en plus médiatisées permet de libérer la parole, ce qui est une très bonne chose !

Nous avons beaucoup de partenaires qui lèvent le doigt sur le manque de formation et de sensibilisation de leur personnel sur la question des violences sexuelles et sexistes, ce qui nécessite forcément du financement. Au niveau de la région IDF, la Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l’Egalité a mis en place un budget pour soutenir les actions de formation des professionnel·les. C’est déjà un gros coup de pouce, même si cela reste en dessous des besoins par rapport à la demande croissante.

Propos recueillis par Marie Tremblay 50-50 Magazine. 

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