Articles récents \ Île de France \ Société En période de confinement, les femmes ne se donnent pas le droit d’avorter

Première victoire pour le collectif « Avortement en Europe, les Femmes décident ! », la Haute Autorité de santé a accordé l’allongement de 2 semaines pour l’IVG médicamenteuse à domicile. En revanche l’allongement du délai pour l’IVG instrumentale a été rejeté et l’annulation du délai de 48 h de réflexion pour les mineures reste en suspens. Comment les différentes associations de la fédération IDF du Planning Familial gèrent-elles la crise sanitaire et ses conséquences sur l’accès à l’IVG ?

Les mesures mises en place, des procédures administratives raccourcies

Après l’annonce du confinement, les différentes associations départementales d’Ile de France du Planning Familial ont dû s’organiser rapidement. Certaines associations ont pu maintenir leurs permanences d’accueil pour la pratique des IVG, les contraceptions d’urgence et consultations gynécologiques d’urgence tout en respectant les gestes barrières. Ainsi les associations accueillent désormais les femmes  uniquement sur rendez-vous. « A la suite de l’annonce du confinement, nous avons annulé toutes les activités collectives, tels que les accueils collectifs IVG ou contraception du lundi et mercredi. Nous avons maintenu la permanence pour les IVG du lundi de 15h à 19h et augmenté le nombre d’IVG sur rendez-vous.  Nous rappelons, aux femmes qui viennent, les gestes barrières. L’espace a été réaménagé afin de préserver la distance sociale. Nous sommes au maximum transparentes avec elles. Nous leur donnons toutes les informations et les protocoles par téléphone. Nous répondons à leurs questions. Nous avons fini par avoir une quantité suffisante de gel hydro-alcoolique et concernant les masques c’est le système D. Nous avons aussi maintenu la permanence du mercredi de 14h à 16h avec consultation médicale. Cette permanence qui est d’habitude réservée aux questions de contraception et IST réalise désormais des IVG et conserve ses consultations gynécologiques d’urgence » explique une salariée de l’AD 94.

Afin de limiter au maximum les déplacements, les différentes actrices du Planning Familial ont raccourci les procédures administratives en envoyant les ordonnances (prise de sang, échographie) par mail et en réalisant les entretiens pré-IVG par téléphone.

Un annuaire commun au réseau national du Planning Familial actualisé quotidiennement pour orienter les femmes

Les écoutantes du Numéro Vert National doublement sollicitées (1) en cette période de confinement ont le défi de centraliser l’information. Elles actualisent quotidiennement leur annuaire avec l’ensemble du réseau national du Planning Familial afin de répertorier les structures ouvertes pratiquant les différentes méthodes d’IVG et ainsi orienter de la manière la plus efficace les appelantes.  L’Agence Régionale de Santé en Ile-de-France a elle aussi centralisé l’information avec les réseaux Périnatalités (2) coordonnés par une sage-femme référente dans chaque département. Les écoutantes ont donc la possibilité de transmettre les coordonnées des référentes départementales afin de multiplier les orientations pour l’accès à l’IVG et/ou la contraception d’urgence.

Les actrices du Planning Familial ont toutes mesuré une nette augmentation de l’angoisse pour les femmes en demande d’IVG. Ces dernières craignent de ne pas avoir la possibilité de recourir à une IVG, de ne pas pouvoir être prises en charge par manque de places dans les différentes structures dans le contexte de la pandémie. « La confidentialité est difficile à préserver en période de confinement, il y a la peur de devoir justifier ses déplacements auprès de ses parents, de son conjoint ou de sa structure d’hébergement pour sortir. La peur de se faire contrôler par la police et les forces de l’ordre est récurrente » explique une salariée de l’AD 92. Pour certaines, les IVG médicamenteuses à domicile peuvent être difficilement réalisables en présence des parents, ou du conjoint au domicile. La salariée de l’AD 92 ajoute : « les femmes peuvent toujours trouver une excuse, une indigestion par exemple… mais les douleurs et pertes de sang ou nausées sont des facteurs qui peuvent se produire après la prise des médicaments et sont difficiles à dissimuler ».

Les différentes actrices du Planning Familial sont là pour rassurer, écouter et orienter les femmes en demande d’IVG et leur rappeler qu’il s’agit d’un droit considéré comme un soin d’urgence.

Une forte diminution des demandes d’IVG, des « mineures coincées » au domicile familial, une culpabilité plus forte

« Nous avons observé une diminution des IVG. Les femmes n’osent pas pour x raisons, je pense qu’elles ne se sentent pas légitimes, elles ont du mal à considérer qu’il s’agit d’un soin urgent et les soignant·es aussi. Elles ne se donnent pas le droit d’aller avorter, comme si elles culpabilisaient encore plus d’une grossesse non désirée » analyse une salariée de l’AD 75.

Certaines mineures sont davantage vulnérables en cette période de confinement. Plusieurs salariées témoignent de la baisse des demandes d’IVG des mineures. Beaucoup, de jeunes femmes « coincées au domicile familial », mettent en place des stratégies pour acheter un test de grossesse. Tout devient plus compliqué. Le Planning craint les conséquences du confinement sur la liberté de choix et le libre exercice des droits de nombreuses femmes. « Nous avons observé une réelle baisse des demandes d’IVG des mineures, mais nous continuons de recevoir des appels, beaucoup de femmes sont angoissées, ont des retards de règles. Nous avons aussi beaucoup d’appels d’ami·es ou de grandes sœurs qui ne logent plus dans le domicile familial et qui appellent pour leur sœur ou leur amie restées au domicile. Nous leur disons d’essayer d’acheter des tests de grossesses en cachette, de les récupérer après utilisation et de ne pas les laisser dans les poubelles. Beaucoup de jeunes femmes nous disent qu’elles ne connaissent personne qui peuvent leur ramener un test. Elles nous disent « je ne peux pas sortir, si je sors c’est juste pour accompagner ma mère faire les courses » témoigne une salariée de l’AD 94.

Hors délais : nécessité d’aller à l’étranger pour avorter. Des passages « aléatoires » à la frontière et une augmentation des frais

Le rejet de l’amendement proposé par Laurence Rossignol visant à allonger le délai légal de l’IVG contraint les femmes hors délai en demande d’IVG à passer les frontières pour avorter en Hollande ou en Espagne. Celles qui souhaitent avorter à l’étranger doivent se munir du mail de la clinique attestant du rendez-vous fixé et non déplaçable, de l’attestation de déplacement ainsi que de celle du Planning Familial. Cependant, « Il n’y a aucune garantie de passage des frontières » explique une salariée de l’AD 92 . Le passage est ainsi aléatoire : « ça dépend du policier sur qui elles tombent » rajoute une autre salariée de l’AD 75. Le Planning Familial reste dans l’attente d’une réponse de Christophe Castaner pour garantir le laisser passer des femmes aux frontières préservant ainsi les droits et l’accès à la santé sexuelle et reproductive des femmes.

A ce « parcours de la combattante » s’ajoute l’augmentation des frais. En plus des prix élevés de clinique, il y a le coût du transport. En l’absence de car et de train, seules les femmes bien entourées et soutenues arrivent à se faire accompagner en voiture, soulignant ainsi les inégalités d’accès et d’exercice de leurs droits.

Dune Kreit 50-50 Magazine

(1) Augmentation de 51% des appels par rapport à la même période de 2019.

(2) Réseaux de santé constitués de professionnel.les travaillant dans la sphère de la naissance ayant pour but de favoriser l’accès aux soins, la coordination des actrices/acteurs entre elles/eux.

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