Articles récents \ Monde Fanny Petitbon : « Le Forum Génération Égalité c’est l’occasion de mettre la France face à ses responsabilités »

Fanny Petitbon est responsable plaidoyer pour l’organisation CARE France. Alors que les femmes sont en première ligne face à la crise du COVID-19 et que les violences conjugales ont bondi avec le confinement, la question de l’égalité entre les femmes et les hommes n’aura jamais été aussi brûlante. Si le Forum Génération Égalité (FGE) à Paris a été reporté à 2021, les Etats ne doivent pas mettre les droits des femmes et des filles de côté. Au contraire, ils doivent redoubler d’ambition et travailler étroitement avec les associations féministes pour mettre les enjeux d’égalité de genre sur la table.

Quel est le rôle de CARE France dans l’organisation du Forum Génération Egalité ?

CARE France fait partie d’une coalition comptant une cinquantaine d’associations françaises œuvrant à la défense des droits des femmes et de filles en France et à l’international. Nous nous mobilisons avec des activistes du monde entier, en particulier nos collègues mexicaines, pour que le Forum inclut une grande diversité de mouvements féministes et aboutisse à des engagements politiques et financiers majeurs de la part des Etats. L’objectif ? Faire en sorte que l’égalité femmes-hommes devienne une réalité d’ici à 2030, et pas au siècle prochain.

Vis-à-vis du réseau CARE International auquel CARE France appartient, notre rôle consiste à collecter et décrypter les informations sur le processus de construction du Forum Génération Égalité (FGE), des Coalitions d’Action et à les partager avec nos collègues d’Europe, d’Afrique de l’Ouest, d’Asie ou encore d’Amérique Latine, afin qu’elles/ils puissent y contribuer et encourager leurs partenaires et réseaux locaux à le faire également.

Sur les six Coalitions d’Action déterminées pour ce Forum, lesquelles sont les plus importantes pour Care ?

D’abord, la Coalition « Justice et droits économiques ». Depuis le début des années 1990, CARE a développé les Associations Villageoises d’Epargne et de Crédit (AVEC) sur le modèle des « tontines » africaines. L’objectif est simple : constituer des groupes, composés à 70% de femmes, qui se réunissent toutes les semaines pour mettre en commun leur épargne. Au terme d’un cycle d’épargne, chaque membre récupère son pécule afin de lancer un petit commerce ou une activité agricole, investir dans la scolarité de leurs enfants ou l’amélioration de leur logement. Les femmes contrôlent mieux les revenus, prennent confiance en elles et sont enfin conviées à la table des décisions pour le foyer mais aussi la communauté. CARE s’associe aussi à des banques pour offrir l’opportunité à ces groupes de placer leur épargne en sécurité sur des comptes bancaires et d’avoir accès à des possibilités d’emprunts à des taux d’intérêt très bas.

On aimerait aussi beaucoup travailler sur la Coalition « Action féministe pour la justice climatique ». Les changements climatiques mettent en péril de nombreuses avancées en matière de lutte contre la pauvreté obtenues ces 50 dernières années. Les femmes en particulier sont durement touchées car elles dépendent du bois, de l’eau pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ces ressources se faisant de plus en plus rares, leur collecte devient un fardeau de plus en plus lourd à porter. Pour CARE, tout l’enjeu de cette coalition est de mobiliser un soutien massif pour les populations locales, et en particulier les femmes, qui développent de nombreuses solutions souvent inspirées de savoirs ancestraux. Pourtant, ces initiatives manquent cruellement de moyens pour être diffusées à plus grande échelle. Il faut que cette situation change. 

Qu’attendez-vous de ce Forum ?

Pour nous, ce Forum est l’occasion de démontrer la force de mobilisation et de changement des mouvements féministes du monde entier qui veulent mettre un point final aux violences basées sur le genre, briser les barrières qui empêchent les femmes d’être payées autant que les hommes ou d’accéder aux lieux de pouvoir.

Mais c’est aussi une occasion de mettre la France face à ses responsabilités. Emmanuel Macron a fait de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat. Des engagements ont notamment été pris l’an dernier dans le cadre du G7 à Biarritz mais peinent à se traduire dans la réalité. Les associations françaises veilleront à ce que, notamment à travers ce Forum, la France créé une dynamique positive en faveur de l’égalité femmes-hommes à l’échelle internationale, mais soit aussi exemplaire dans ses actes et fournissent des moyens financiers à la hauteur de ces enjeux.

Vous avez d’ailleurs signé une tribune, publiée dans le Huffington Post, reprochant au gouvernement de revenir sur ses ambitions féministes, la France était-elle le pays le plus adapté pour accueillir ce Forum ?

Face à une montée en puissance des forces conservatrices à travers le monde qui cherchent à détricoter les droits durement acquis par les femmes et les filles, nous ne pouvons qu’encourager la France à faire partie de ceux qui, au contraire, se battent pour qu’il n’y ait pas de retour en arrière. En accueillant ce Forum, la France envoie un signal fort : il faut une mobilisation des Etats, des entreprises, des fondations, des associations, de la jeunesse pour faire de l’égalité une réalité, et notre pays sera à l’avant-garde.

Pourtant, un an après l’avoir annoncé, la France n’a toujours pas créé un fonds de 120 millions d’€ par an pour aider les mouvements pour l’égalité entre les femmes et les hommes et les mouvements féministes, notamment du Sud. La part de son aide publique au développement allouée à des projets en faveur de l’égalité reste bien en-dessous de celles de la Suède ou du Canada. Les moyens disponibles pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles en France restent encore bien trop limités. Nous ne voulons pas de grands discours mais des actes, des engagements concrets qui s’appuient notamment sur les savoirs et savoir-faire des associations féministes.

Quels sont les grands enjeux de cet événement, 25 ans après la Conférence de Pékin ?

Les mentalités doivent changer. Ce Forum doit acter une volonté des Etats, dont la France, d’associer systématiquement les associations de défense de droits des femmes à la définition et mise en œuvre des politiques publiques. Aujourd’hui, il n’y a pas assez de collaboration. Trop souvent, les décisions sont prises au plus haut niveau et s’appliquent sur le terrain, sans concertation préalable.

L’autre enjeu de taille pour CARE France, c’est la poursuite et le renforcement du mouvement associatif initié l’an dernier pour faire du G7 sous présidence française, un G7 féministe. La majeure partie des associations françaises qui s’était mobilisée en 2019 a émis le souhait, début 2020, de poursuivre ce travail collectif autour du Forum Génération Egalité, en s’appuyant sur leurs expertises respectives. Cette année, l’objectif est d’élargir ce mouvement en garantissant une bien plus grande participation des associations qui travaillent sur les enjeux de droits des femmes en France, et dont la contribution au Forum est essentielle.

Pensez-vous vraiment que ce Forum permettra de faire évoluer les mentalités ?

Ce Forum peut être à l’origine d’un modèle novateur, en faisant collaborer les jeunes, les associations, les entreprises et les Etats. Les actrices et acteurs qui vont s’engager dans le cadre de ce Forum vont devoir rendre des comptes tous les ans. Par contre, il ne faut pas que ce soit seulement une auto-évaluation. Il faudra mettre en place un mécanisme impartial, par exemple sous l’égide de l’ONU, pour juger de la réalisation des promesses faites à Paris. Il sera tout aussi essentiel de s’assurer que tout nouvel engagement pris après le FGE ne pourra pas être moins ambitieux que le précédent, sur le modèle de l’accord de Paris sur le climat.

Quelles différences percevez-vous entre la Conférence organisée à Pékin en 1995 et le Forum Génération Égalité ?

D’abord, il a été décidé de recentrer le Forum sur 6 Coalitions d’action thématiques, contre 12 domaines d’action à Pékin. Cela ne veut pas dire qu’il y a une baisse de l’ambition mais une volonté de concentrer et d’accélérer les efforts pour obtenir des résultats concrets dans les 5 prochaines années sur des sujets déterminants dans la vie des femmes et des filles : le droit de disposer de son corps, la capacité à générer et contrôler des revenus, l’accès aux lieux de décision, etc.

Ensuite, Pékin a vraiment été vécu comme un rassemblement inclusif, unique, avec un forum des ONG réunissant plus de 30 000 personnes et ayant permis la création de liens durables entre les associations féministes et l’adoption d’une feuille de route commune. Le report du FGE en raison de la crise sanitaire actuelle offre la possibilité à la France, au Mexique et à ONU Femmes d’approfondir les consultations avec les associations internationales et françaises pour s’assurer que la diversité des mouvements féministes soit bien représentée et entendue. Sinon, ce serait une occasion manquée.

Enfin, le FGE devra forcément intégrer les enjeux et leçons apprises de la crise COVID-19, en particulier le fait que les femmes sont en première ligne, à la fois parce qu’elles représentent une large majorité des personnels soignants, des agent.es d’entretien, des caissier· es dans les supermarchés, et aussi assument en majeure partie les tâches liées au « care » des proches à domicile. Les réponses des gouvernements à cette crise sanitaire ne seront pas cohérentes si elles font l’impasse sur les enjeux de genre.

Craignez-vous que la société civile n’ait pas une place suffisante ?

Au début, les organisateurs présentaient le Forum comme piloté par la société civile. Aujourd’hui, on nous dit que la société civile aura une place centrale. Les éléments de langage sont importants. La France doit montrer qu’elle associe pleinement et prend en compte la société civile française dans la construction de ce Forum. Ce serait un signal fort d’une volonté de sortir du « business as usual » et de changer la manière dont on élabore des initiatives et politiques publiques.

Il est essentiel qu’un bien plus grand nombre d’associations françaises issues de toutes les régions soient directement impliquées dans le Forum. Elles devraient pouvoir expliquer les défis auxquels elles s’attaquent dans les territoires, partager les actions et solutions qu’elles mettent en œuvre au quotidien. Le gouvernement français doit valoriser ce qui existe déjà et soutenir ces associations qui malheureusement doivent trop souvent faire avec les moyens du bord.

Pour conclure, en 25 ans, comment a évolué l’égalité de genre ?

Ce n’est pas un hasard s’il a fallu attendre 25 ans avant que les gouvernements s’attellent à célébrer l’héritage de Pékin. Si le parti pris est de ne pas engager des négociations sur la déclaration et la plateforme d’action adoptées à Pékin, c’est purement et simplement parce que les droits des femmes et des filles risqueraient d’être attaqués et remis en question. La capacité de nuisance des Etats et groupes de pression conservateurs ne doit pas être sous-estimée.

D’un autre côté, il y a eu beaucoup d’avancées qu’il faut souligner : le mouvement #Metoo qui a entraîné une vraie libération de la parole des femmes et des filles, les enjeux des inégalités salariales, le tabou des règles et la charge mentale qui font maintenant pleinement partie du débat public en France. La mobilisation grandissante des femmes et des filles, jeunes et moins jeunes, qui refusent de se résigner face aux valeurs patriarcales, me donnent de l’espoir ! Et puis enfin, voir des garçons et des hommes s’associer à ce combat pour l’égalité femmes-hommes, c’est aussi un vrai pas en avant.

Chloé Cohen, 50-50 magazine

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