Articles récents \ France \ Société Le monde d’après : une nouvelle ère pour les femmes ?

Les inégalités de genre sont au cœur de la pandémie du Covid-19. Epuisement, stress, isolement, effort, burn out, charge mentale, violences, féminicides… Les femmes paient un lourd tribut de la crise sanitaire. L’expérience douloureuse du confinement les a exposées à de la violence psychologique et parfois physique. Selon Malika Bennabi, psychologue clinicienne et maîtresse de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne (Amiens), la crise a mis en exergue les rapports inégalitaires entre les femmes et les hommes qui persistent dans notre société.

Malika Bennabi est psychologue, spécialisée en psychologie clinique transculturelle. Elle suit des femmes/hommes/enfants réfugié·es, exilé·es, qui ont vécu des traumatismes, souffrent d’isolement et parfois d’angoisse. Elle déclare : « nous vivons une situation inédite. Même si certain·es vivent moins difficilement que d’autres, l’épidémie de coronavirus nous fragilise car elle nous renvoie à notre vulnérabilité, nous met face à la maladie et à la mort. Chez les personnes mélancoliques, l’isolement aggrave les risques de dépression. L’incertitude, l’inquiétude, le danger et la peur sont sources de stress. Les individus se mettent à développer des angoisses, des troubles d’anxiété qui fragilise leur santé mentale ».

Cette période se révèle encore plus difficile pour les femmes qui voient leur charge de travail considérablement augmenter. En participant activement à cette lutte sanitaire, elles sont en première ligne face au virus et s’exposent à un risque élevé de contamination.

« Ce sont les infirmières  les aides à domicile, les caissières, les assistantes maternelles, les couturières, les agentes d’entretien… qui nourrissent, s’occupent et soignent la société »

Sur-sollicitées mais rarement récompensées, les femmes œuvrent pour l’intérêt public et assurent la survie dans cet épisode épidémique. Devenues nos indispensables, elles portent le poids de la responsabilité. « Les femmes sont largement engagées dans les professions du « care » c’est-à-dire le soin des autres et la protection.  Ce sont les infirmières  les aides à domicile, les caissières, les assistantes maternelles, les couturières, les agentes d’entretien… qui nourrissent, s’occupent et soignent la société » affirme la psychologue. L’épidémie aura ainsi rendu visible ces milliers de femmes, piliers de l’effort sanitaire.

A l’aube d’une éventuelle sortie de crise, il est temps de prendre en compte cet investissement féminin et de porter un autre regard sur ces métiers bien souvent sous-évalués.

La crise sanitaire alourdit la charge mentale des femmes, perturbe le rythme des familles et creuse les inégalités au sein des foyers. Les corvées récurrentes sont bien souvent à la charge des femmes. Elles assument les tâches domestiques et éducatives, gèrent l’urgence et organisent la gestion du foyer. Cette surcharge mentale entraîne un épuisement physique et moral.

Un partage inéquitable des tâches domestiques. Des hommes qui se consacrent entièrement à leur télétravail et des pères qui snobent l’entretien du foyer se reposant bien souvent sur leur conjointe.

Malika Bennabi revient sur les origines de cette inégalité dans la sphère domestique. Elle déplore : « dans l’inconscient collectif, les femmes ont le devoir de se préoccuper des autres, d’assurer le confort du conjoint et de l’entourage. Tout cela demande une énergie considérable. En période de crise, l’effort est doublé et les femmes se fatiguent davantage ». La psychologue propose des pistes de réflexion pour améliorer la situation des femmes au sein du foyer : « la vie conjugale se joue à deux, il faut ainsi valoriser la communication, l’expression et l’écoute afin de trouver un bon équilibre et une possible coopération. Les femmes doivent également comprendre qu’avant de s’occuper des autres, il faut savoir prendre soin de soi-même, s’accorder du temps pour soi et se reposer ».

Dans un contexte anxiogène, la crise au sein du couple éclate plus facilement. La psychologue affirme : « la routine de la vie sociale contenait le mal-être de certain·es conjoint·es, le travail donnait du sens, des repères à leur vie. Ces individus bien souvent mal constitués sur le plan de la personnalité, fragiles sur le plan narcissique, se sont sentis désarmés, mis à nu face à l’épidémie. L’ennui, l’impossibilité de sortir, le manque de contact social déclenchent une frustration. Enfermées dans une cellule familiale, les femmes absorbent alors les plaintes et les colères de leurs conjoints égocentriques ». 

L’agressivité se dévoile peu à peu… Parfois, la violence se libère 

Coups de poing, coups de pied, insultes, pressions, viols. La crise sanitaire et le confinement ont accentués les violences faites aux femmes et aux enfants. On assiste à une recrudescence des appels, signalements, plaintes pour violences conjugales et intrafamiliales. Selon la préfecture de Paris et le Ministère de l’Intérieur, les interventions ont augmenté de plus de 48 % par rapport à la même période en 2019. Derrière ces chiffres alarmants se cachent « des femmes qui passent des journées d’isolement dans un huit clos tragique, se retrouvant à la merci de leurs bourreaux et des enfants exposé·es aux violences des adultes » déplore la psychologue.

Un cercle familiale vicieux, où les compagnes sont transformées en « punching-ball » et les enfants brisé·es. Des tyrans domestiques qui parfois commettent l’irréparable : dans le Pas-de-Calais, un homme poignarde sa femme et ses deux enfants, à Tarbes une femme de 50 ans a été tué par son compagnon, en Charente-Maritime un homme tue sa compagne devant leurs deux filles et se suicide… Un épisode épidémique fâcheux, révélateur d’une société injuste et inégale.

Afin d’éviter les drames, le gouvernement a mis en place des outils : SMS au 114, appel au 3919, plateforme de signalement Violences sexistes et sexuelles : réagir peut tout changer, campagne de sensibilisation #Entendons Leurs Cris, et dispositif d’alerte dans les pharmacies.

Après deux mois de confinement, il est temps de panser ces souffrances vécues et repenser un monde meilleur. Malika Bennabi espère que les enseignements tirés de cette crise amélioreront la situation des femmes. Elle plaide pour une prise de conscience collective qui valoriserait cet engagement féminin au service de l’intérêt général. Une lueur d’espoir d’une situation nouvelle, égalitaire et pacifique qui permettrait à toutes les femmes de vivre dans la dignité.

Au regard de la lourde contribution qu’elles ont apportée dans cette lutte sanitaire, les femmes doivent être les premières assises à la table des négociations de celles et ceux qui préparent le monde d’après.

Messilia Saidj 50-50 Magazine

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