Articles récents \ Île de France \ Politique Laureen Genthon : « Les politiques publiques doivent s’intéresser aux femmes, et si elles ne s’y intéressent pas, les femmes, elles, s’y intéressent »

C’est par le biais du féminisme que Laureen Genthon s’est engagée en politique : en 2012, après l’élection de François Hollande, elle rejoint l’Union des étudiant·es communistes (UEC) à l’université de Paris III, où elle organise des conférences et des événements sur le féminisme. Elle s’engage ensuite au Parti communiste français (PCF) et devient conseillère départementale des Hauts-de-Seine en 2015. Depuis mars dernier, elle est maire adjointe aux Droits des Femmes à Nanterre et entend mettre en place des mesures en faveur de l’égalité femmes/hommes.

Comment êtes-vous devenue féministe ?

C’est une construction et comme toutes les féministes, je me construis en permanence. Je pense que cela a commencé lors de mon enfance. J’étais très marquée par les différences existantes au sein de ma famille. J’ai un petit frère, qui a deux ans de moins que moi, et je me suis rendu compte que des distinctions étaient faites entre lui et moi et qu’il y avait des injustices. Par exemple, lorsque nous sortions de table, j’étais invitée à débarrasser la table et à faire la vaisselle avec ma maman, alors que mon petit frère était libre d’aller jouer dans sa chambre. Je pense que mon féminisme a commencé à partir de là.

Vous êtes conseillère départementale des Hauts-de-Seine depuis 2015. Qu’avez-vous apporté ou proposé en terme d’égalité femmes/hommes ?

C’est particulier car lorsque j’ai été élue conseillère départementale, c’était mon tout premier mandat, je découvrais donc la fonction et ce qui était possible de faire. Il a fallu un petit temps pour que je me familiarise avec la fonction. Il faut aussi savoir que la majorité départementale est située à droite, je suis donc dans l’opposition politique. Mes actions sont plus tournées vers la sensibilisation et le militantisme auprès de la population de Nanterre. J’ai malheureusement peu de poids dans l’assemblée puisque nous sommes six à être dans l’opposition, nous n’avons donc pas beaucoup de marge de manœuvre. Ceci dit, nous pouvons toujours faire des propositions et des remarques, et essayer d’améliorer les choses. Elles sont souvent bien reçues, mais ne sont pas suivies.

Nadine Garcia, qui était conseillère départementale avant moi, avait proposé un observatoire départemental sur les violences faites aux femmes, à l’instar de ce qui existe dans le 93. Je pense que le département des Hauts-de-Seine en a besoin et a les capacités et les moyens de le mettre en place. Malheureusement, la majorité estime que cela ne fait pas partie de ses priorités, et c’est bien dommage. C’est donc un vrai combat politique et militant qu’il faut mener, mais je ne suis pas désespérée.

Pendant ces années, j’ai mis en place plusieurs initiatives, comme une course pour l’égalité à Nanterre, qui permettait aux femmes de faire du sport et de mettre en valeur le sport féminin. J’ai également organisé un forum contre les violences faites aux femmes à Nanterre avec l’actrice Eva Darlan.

Pourquoi est-ce important d’inclure les questions d’égalité femmes/hommes dans les décisions politiques ?

Tout d’abord, parce que nous représentons 50 % de l’humanité, et si nous ne faisons pas en sorte que les politiques publiques concernent la moitié de la population, c’est que nous sommes complètement à côté de la plaque. Ensuite, parce que je pense que les femmes sont à l’avant-garde d’un renouveau de la société, et nous l’avons bien vu avec la crise du COVID-19 où elles étaient aux premiers postes puisqu’elles sont une majorité dans les métiers du soin ou parce qu’elles sont sollicitées au sein de la famille. Je pense qu’elles portent vraiment la société sur leurs épaules de par leur rôle dans l’éducation ou dans les sociétés, et cela est d’autant plus injuste de les invisibiliser, de les précariser, de les violenter et de les tuer. Les politiques publiques doivent s’intéresser aux femmes, et si elles ne s’y intéressent pas, les femmes, elles, s’y intéressent, et elles ont bien raison.

Vous figurez sur la liste « Nanterre pour toutes et tous » qui a été élue au premier tour des municipales. Quelles mesures comptez-vous mettre en place en faveur de l’égalité femmes/hommes ?

Il y a une grande mesure, pour laquelle j’ai milité avec le Parti Communiste et les associations de lutte contre les violences faites aux femmes de Nanterre, qui est la création d’une Maison des Femmes. Elle permettra d’accueillir les femmes vulnérables et victimes de violences, servira également de lieu de ressources pour ce qui concerne la lutte contre les stéréotypes et sera un lieu de prévention pour l’égalité femmes/hommes en général. C’est un projet qui me tient particulièrement à cœur parce qu’en plus, cela n’existe pas dans les Hauts-de-Seine, la ville de Nanterre serait donc précurseuse sur cette question-là. C’est une grande mesure, un grand projet, et nous avons six ans pour le mettre en place.

Nous avons d’autres mesures plus ponctuelles, comme la mise en place du dispositif « Demande à l’arrêt » dans les transports en commun, notamment pour les bus, qui permettra aux femmes de demander au bus de s’arrêter avant ou après un arrêt pour être au plus prêt de chez elles et pour qu’elles se sentent plus en sécurité. Nous allons développer les marches exploratoires dans les différents quartiers de Nanterre pour construire la ville en mettant les lunettes du genre, car nous savons que la ville est construite par et pour les hommes. Nous allons donc réfléchir à faire de Nanterre, qui a de plus de 100 000 habitant·es, une ville inclusive et une ville de sécurité.

Pendant le confinement, vous avez adressé un courrier au président des Hauts-de-Seine réclamant des mesures afin de protéger les femmes et enfants victimes de violences à domicile. Que lui demandiez-vous ?

Nous avons trouvé important, avec le groupe, d’avoir une adresse particulière sur ce sujet car nous avons connu plus de 30 % d’augmentation de violences conjugales pendant le confinement. Les signalements concernant les violences familiales et les violences sur les enfants, ont également triplé. Mais ce courrier a été envoyé dans un contexte particulier car malheureusement, le président des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian, est décédé du COVID-19, et a été remplacé par un président par interim. Ce fut donc une période difficile pour la présidence du département. Je n’ai pas eu de retour depuis. Nous nous sommes permis, lors de la dernière séance publique, d’en remettre une petite couche en leur disant que les violences avaient augmentées et qu’il fallait à minima soutenir financièrement le dispositif Femmes Victimes de Violence (FVV), des associations comme le Centre d’Informations sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF). Ils n’ont pas encore entendu cette demande, alors que le département des Hauts-de-Seine est le département le plus riche de France avec 664 millions d’€ d’excédent budgétaire en 2019.

Le confinement et la crise sanitaire que nous avons traversé ont agit comme un miroir grossissant des inégalités entre les femmes et les hommes. Quel regard portez-vous sur la situation ? Êtes-vous optimiste pour l’après COVID-19 ?

Je suis plutôt optimiste car effectivement, la crise sanitaire a permis de rendre visible le travail des femmes et inégalités qu’elles subissent, ainsi que les inégalités entre les territoires et les inégalités de classes. Car nous n’avons pas tou·tes vécu le même confinement : j’étais moi-même confinée dans un deux pièces, sans balcon et sans terrasse, alors que d’autres personnes été confinées dans une grande maison avec jardin et piscine. La situation a donc permis de mettre en évidence les inégalités folles de cette société. Je suis également très affectée par la violence avec laquelle une certaine police se permet d’agir vis-à-vis des habitant·es des quartiers populaires. Ce qui fait écho avec ce qui se passe en ce moment. Je trouve d’ailleurs intéressant que ce soit des femmes, comme Assa Traoré ou Camélia Jordana, qui montent sur le devant de la scène pour prendre la parole et pour s’opposer courageusement à Christophe Castaner. Je trouve que nous, les femmes, avons une force incroyable à partir du moment où l’on touche à ce que nous avons de plus cher, et une force incroyable pour le défendre.

C’est pour cette raison que je suis optimiste, car je me dis que cette force, nous pouvons la transformer, en prenant notamment des relais politiques. Je suis optimiste car maintenant, nous ne nous taisons plus et les choses vont dans le bons sens. Il y a peut-être quelque chose pour laquelle je suis moins enthousiaste, c’est le soutien masculin. Je pense que nos amis les hommes ont un rôle important à jouer : nous avons besoin d’eux, et ils ont besoin de nous. Il faut qu’ils entrent dans l’arène pour nous aider dans nos combats et pour porter cette exigence d’égalité et de solidarité au quotidien, et ils y ont intérêt. Or là, je trouve qu’ils sont un peu trop silencieux. Il faut aussi que nous les accueillons, car il est vrai que lorsque nous commençons à comprendre le patriarcat et son fonctionnement, nous pouvons très vite tomber, par rage et par colère, dans une tendance misandre et je pense qu’il faut éviter cela dans le mouvement féministe. Il faut être le plus accueillant et le plus inclusif possible pour qu’ils soient nos alliés. Mais il faut également des moments de non-mixité, où les femmes peuvent se réapproprier la parole et l’expression. Au Parti Communiste, nous avons très vite mis en place à Nanterre une assemblée des femmes, car nous voulions nous réunir et nous exprimer sans eux sur des sujets qu’ils ne comprennent pas. Mais je n’aspire pas à une société où il y aurait d’un côté les hommes et de l’autre les femmes. La mixité et la non-mixité sont toutes les deux nécessaires.

Propos recueillis par Priscillia Gaudan 50-50 magazine

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