Articles récents \ France \ Économie Perfégal : «il ne faut plus que l’égalité professionnelle soit vécue comme une contrainte, mais comme un enjeu» 1/2
Écarts de salaire, temps partiel, discrimination à l’embauche, plafond de verre, sexisme en entreprise… Aujourd’hui encore, les inégalités entre les femmes et les hommes sont nombreuses dans le monde du travail. Mais d’où viennent ces inégalités ? Quelles mesures mettre en place pour atteindre l’égalité ? Françoise Le Verge et Isabelle Gueguen sont spécialistes de l’égalité professionnelle. En 2005, elles ont fondé Perfégal, un cabinet coopératif (SCOP) qui accompagne les entreprises, les collectivités, les partenaires sociaux et les associations dans leurs diagnostics, plans d’action et formations sur l’égalité femmes/hommes.
Que veut dire « inégalités professionnelles » ? Comment cela se manifeste-t-il concrètement ?
C’est difficile de répondre précisément car les inégalités professionnelles existent à de nombreux niveaux : les femmes n’occupent pas les mêmes métiers que les hommes, elles n’ont pas forcément les mêmes parcours en ce qui concerne les formations initiales et les formations continues, elles accèdent moins à la promotion ou peuvent mettre plus de temps à être promues, elles sont souvent en temps partiel… Voilà les principales inégalités que nous observons. Bien évidemment, il y a aussi les inégalités en terme de rémunération, mais elles ne sont que les conséquences d’inégalités en amont. C’est quelque chose sur laquelle nous insistons beaucoup car les médias sont très axés sur les inégalités de salaire lorsqu’ils parlent d’inégalités professionnelles, alors que pour nous, c’est le résultat de plusieurs processus. Le premier processus, c’est celui des métiers à dominance féminine qui sont moins valorisés que les métiers à dominance masculine. Il n’y aura pas de lutte contre les inégalités s’il n’y a pas de revalorisation. Il y a donc tout un travail sur les classifications à revoir. Ce qui demande un travail de la part des syndicats et des branches professionnelles.
D’où viennent ces inégalités ? Comment les expliquer ?
Les inégalités professionnelles ne sont pas le fait des entreprises qui seraient très méchantes avec les gentilles dames. Le monde est plus compliqué que cela et les inégalités professionnelles viennent des inégalités entre les femmes et les hommes en général. Elles se mettent en place dès la naissance, à travers les stéréotypes, à travers les représentations de ce que sont les femmes et les hommes, et qui conduisent globalement à une valorisation de ce que font les hommes et une dévalorisation de ce que font les femmes. Il y a ensuite la question des rôles sociaux, et notamment de l’impact de la maternité qui est fort. Il y également la répartition des tâches dans la sphère privée. Tout cela mène à une sur-représentation des hommes aux postes de décisions et une certaine invisibilité des parcours des femmes et de ce qu’elles font de leurs talents.
Il existe également un certain naturalisme, c’est-à-dire que l’on prête toutes les compétences dites « naturelles » aux femmes : elles seraient plus sensibles, moins disponibles, naturellement plus compétentes pour s’occuper des enfants, pour s’occuper des autres, elles auraient de l’empathie, comme si tout cela relevait de l’inné. C’est pour cela qu’elles occupent majoritairement les métiers du care, qui sont, comme par hasard, ceux qui ont une valeur monétaire moindre, comparés à tout ce qui est par exemple lié à la technique, qui s’apprend et qui a une valeur monétaire supérieure.
Justement, la crise de la COVID-19 a permis de mettre en lumière les métiers féminisés (infirmières, aide soignantes, caissières, aides à domicile, agente d’entretien, etc.), qui sont en première ligne face à la pandémie et qui font parties des plus précaires. Ces métiers, pourtant nécessaires, sont-ils sous-payés parce qu’ils sont majoritairement occupés par des femmes ?
Si les métiers du care sont si mal rémunérés c’est surtout parce qu’à la base, ces métiers étaient des fonctions non-rémunérées, qui étaient réalisées par des femmes. Par exemple, les premières infirmières étaient des bonnes-soeurs, mais elles n’étaient pas rémunérées. Après, ce sont les filles et les belles-filles qui ont pris le relais et qui s’occupaient de leurs aîné·es. Ce n’est que lorsqu’il y a eu une organisation des familles plus réduite, avec simplement le père, la mère et les enfants, que ces emplois du soin ont commencé à se créer. Ces métiers sont donc peu monétarisés car ils sont considérés comme des fonctions naturelles chez les femmes, des fonctions qui n’auraient pas besoin d’être apprises. Il n’y aurait pas de mérite à être aide-soignante ou agente d’entretien, car ce serait finalement naturel. On fait donc une différence entre les tâches dites « simples » et les tâches dites « techniques » ou « complexes ». Par exemple, utiliser une autolaveuse n’est pas considéré comme une technique, alors que c’est une technique. De ce fait, aujourd’hui, nous avons plus tendance à privilégier celles et ceux, mais surtout ceux, qui s’occupent de notre argent, plutôt que de privilégier celles et ceux, mais surtout celles, qui s’occupent de nos enfants, de nos ainé·es et de notre santé.
Perfégal a été créé en 2005. Avez-vous constaté une évolution sur ces questions-là depuis 15 ans ?
Les choses évoluent en ce qui concerne l’égalité de droit, puisque le contexte législatif se renforce davantage. Il y a également eu beaucoup d’évolution concernant le sexisme en entreprise, avec des dispositifs qui ont été mis en place. Mais c’est difficile de répondre concrètement. Les inégalités, il y en a toujours mais nous ne pouvons pas dire que l’égalité professionnelle n’évolue pas : elle évolue, mais doucement. Aujourd’hui, nous observons encore des écarts assez importants dans les instances décisionnelles. Nous avons aussi du mal à évoluer sur le fait que les femmes soient moins à temps partiel, et elles sont moins nombreuses à être cheffe d’entreprise.
Nous observons également des écarts de rémunération mais comme nous le disons, tant que l’on ne travaillera pas sur la pesée monétaire et sur la classification des métiers, nous continuerons à observer ces écarts. Même s’il y a un index de rémunération (1), il n’y a maintenant que trois nouveaux indicateurs par rapport à ceux qui étaient déjà obligatoires dans le cadre de la loi, et cela depuis 2001. Ce n’est donc pas nouveau. Et même s’il y a des écarts de rémunération dans une entreprise, celle-ci peut tout de même avoir une très bonne note à l’index. L’émission Cash Investigation, diffusée à ce sujet, l’a très bien démontré : il peut y avoir entre 25 et 40 % d’écart de salaire entre les femmes et les hommes dans certaines entreprises, mais tout de même, ces entreprises vont avoir 92 sur 100 à la note sur l’index. Il est vrai que de plus en plus d’entreprises font attention mais elles le font dans un souci de se mettre dans la conformité. Or, il ne faut plus que l’égalité professionnelle soit vécue comme une contrainte, mais comme un enjeu, tant d’attractivité économique que sociétale. Nous avons aussi observé plusieurs modes concernant l’égalité professionnelle : les entreprises font beaucoup de communication autour de l’égalité femmes/hommes sans forcément bouger. Lorsque nous avons commencé en 2005, c’était la tendance de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale. Puis, il y a eu celle de l’accès des femmes aux postes à responsabilité. Les grandes entreprises ont tout misé là-dessus : elles en parlaient beaucoup, elles mettaient en avant le fait qu’elles faisaient du coaching, etc. Donc c’est assez facile d’avoir une bonne note à l’index. C’est un peu dérangeant parce que toutes ces modes ne conduisent pas forcément à se poser les bonnes questions. Ce n’est pas une mauvaise chose de s’intéresser à la conciliation des temps de vie et à l’accès des femmes aux postes à haute responsabilité. Mais là où cela devient gênant, c’est quand c’est l’unique porte d’entrée, parce que pendant ce temps-là, il peut toutefois y avoir des inégalités du côté de la promotion ou du recrutement par exemple.
C’est donc un travail de longue haleine, à faire au long court. Il faut tout le temps se reposer les bonnes questions, et le fait que les entreprises en fassent des opérations de communication, c’est un peu gênant. Nous avons eu beaucoup de témoignages de personnes chargées de mission à l’égalité dans des grands groupes qui tombent dans ce piège car elles voient que c’est compliqué de faire bouger leur gros mastodonte. Au moins, en communiquant beaucoup sur ces questions-là, elles diffusent une culture d’égalité femmes-hommes en interne. Elles vont par exemple organiser des colloques ou des formations sur les violences sexistes. Mais quels impacts cela a-t-il réellement sur la lutte contre les violences sexistes ? Il faut donc se rendre compte que ce sont des enjeux à plein de niveaux, que ce n’est pas un sujet à côté des autres, mais un sujet qu’il faut prendre de façon globale. Il faut vraiment faire un travail de fond, où l’on se pose les bonnes questions du côté des ressources humaines et du côté de l’organisation de l’entreprise.
Propos recueillis par Priscillia Gaudan 50-50 magazine