Articles récents \ Culture \ Livres Marine Gabriel : La Vérité au bout des lèvres

C’est par le “ récit d’un cauchemar ” que Marine Gabriel débute son livre, La Vérité au bout des lèvres. Ce cauchemar qu’elle décrit, heure par heure, c’est celui de son accouchement. Des longues minutes de maltraitance, de souffrance, d’humiliation et de prise en charge désastreuse, vécus au sein de sa maternité. Ce que Marine Gabriel a subi, c’est ce que l’on appelle des violences obstétricales et gynécologiques (VOG). Ces violences elle a décidé, après plusieurs mois de silence, de les mettre à l’écrit et de les partager dans un livre, accompagnées de dizaines de témoignages. 

Le titre de son ouvrage est fort, La Vérité au bout des lèvres. La notion de vérité est extrêmement importante ici, car à travers son livre, la jeune autrice de 23 ans, tend à lever le voile sur ce qu’il se passe parfois, plus souvent que nous le pensons, derrière les portes des cabinets des practicien·nes en gynécologie et obstétrique. Par la nature même des consultations, pendant lesquelles les patientes se retrouvent quasiment nues, face à un·e inconnu·e, prêtes à subir des interventions toujours désagréables, les rendez-vous gynécologiques sont souvent synonymes de gêne, de stress, voire d’angoisse. Et c’est dans ce cadre que des violences, d’une effroyable diversité, peuvent survenir et rester dans l’impunité. 

Lors d’un rapport (1) rendu en 2018, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) identifie six actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétricale, des actes pouvant dans certains cas relever de violences sexistes et sexuelles. Cela comprend des injures ou remarques déplacées et désobligeantes sur le physique, l’appartenance sexuelle, les choix de la patiente, des interventions médicales faites sans aucune explication et non consenties (pouvant s’apparenter à un viol), ou encore des agressions et violences sexuelles.

Le rôle des témoignages, indice de la multitude des violences

L’histoire de ce livre commence sur Instagram, sur le compte @balancetonutérus que crée Marine Gabriel en avril 2019. Sur ce compte, la jeune femme souhaite donner aux femmes qui ont subi le même genre de violences qu’elle, un support pour parler et pour dénoncer. Car ce sont des expériences extrêmement traumatisantes qui sont encore très peu considérées et prises en compte par notre société, parfois même par l’entourage. “ Quand on parle de ces violences à notre entourage, elles sont toujours minimisées. On nous dit qu’on a pas eu de chance, que ça n’arrive que très rarement. Parfois, on ne nous croit même pas ”. Le réflexe fut instantané, naturel : Marine Gabriel, comme d’autres, s’est tue, a menti sur le déroulement de son accouchement et s’est même remise en question. Car qui irait contredire un·e docteur.e ? Des personnes formées pour soigner, guérir et accompagner leurs patient·es du mieux qu’elles le peuvent. Si comportement déplacé il y a, est-il excusable ? Une longue journée de travail, un stress fort, des problèmes personnels… des justifications qui délégitiment la douleur et le traumatisme avec lequel de nombreuses femmes doivent désormais vivre. Marine Gabriel a compris que la façon dont les VOG sont aujourd’hui perçues et traitées s’insère dans un schéma sociétal bien plus fort. 

Ces violences sont le reflet de la société patriarcale et paternaliste dans laquelle nous vivons et qui, encore une fois, refuse de croire les femmes et de considérer leurs douleurs. Elles exagèrent, elles sont douillettes… Mais avec les centaines de témoignages recueillis sur Instagram et partagés dans La Vérité au bout des lèvres, c’est un véritable problème de société qui est exposé. “ J’ai choisi de les retranscrire pour illustrer mon propos et montrer aussi la diversité des violences. Ces témoignages sont durs à lire, mais doivent faire réagir, que ce soit du côté des patient·es ou des soignant·es ”.

Partager un autre vécu de la maternité 

Lorsque je racontais mon accouchement ou que je disais que j’avais détesté être enceinte, que mon accouchement fut le pire jour de ma vie, on me regardait avec des gros yeux. On me faisait comprendre que ça ne se disait pas, qu’une bonne mère ne parlait pas comme ça ”. Le travail de Marine Gabriel, que cela soit sur son compte Instagram ou à travers son livre, s’inscrit dans un contexte très fort. Aujourd’hui encore, bien que les mentalités évoluent et que les expériences se diversifient, les femmes sont encore considérées surtout en tant que mères.

Une femme, pour être complète et heureuse, doit être maman, sa grossesse doit être une période merveilleuse et son accouchement, un moment magique. Et si cela est le cas pour certaines femmes, les expériences de la grossesse, de l’accouchement et de la maternité sont aussi nombreuses et complexes que le nombre de personnes qui les vivent. Mais les tabous et les injonctions autour de ces thèmes sont encore extrêmement prégnants et résistent au temps. Les femmes qui ne se reconnaissent pas dans les descriptions idylliques de la maternité se retrouvent seules, culpabilisent et sont jugées par leur entourage.  “ Je le dis, mon accouchement fut un très gros traumatisme. Me l’avouer et le reconnaître, cela m’a fait énormément de bien. Cela n’empêche pas que j’aime mon fils plus que tout ”.

Tout comme les mouvements de plus en plus nombreux sur la maternité (comme celui de #MonPostPartum qui visaient à relater les vrais moments, aussi désagréables puissent-ils être, de l’après-accouchement), ce livre et ces témoignages illustrent la volonté de déconstruire l’idée qu’il existerait qu’une seule maternité. La Vérité au bout de mes lèvres souhaite débarrasser les mères de cette pression énorme qui pèse sur leurs épaulesChaque expérience sera différente, et chaque personne qui souhaite avoir un enfant vivra ces moments différemment. Il est nécessaire de partager toutes leurs voix, et montrer qu’il n’y a pas qu’un seul schéma, qu’une seule représentation possible. “ Je trouve cette libération de la parole autour du statut de mère extrêmement importante, beaucoup de femmes me remercient d’en parler car elles ont un vécu similaire au mien mais n’osaient pas témoigner ”. 

L’importance de la sensibilisation et de l’éducation 

Je pense que beaucoup de femmes ne se rendent pas compte que le personnel soignant leur doit du respect ”. Si ces violences perdurent, c’est aussi parce que certains comportements sont banalisés. Pour l’autrice, il y a encore tout un travail de sensibilisation et d’éducation à la sexualité, notamment sur l’importance du consentement, qu’il reste à mener. Il faut partager dès le plus jeune âge, la nécessité du respect de son propre corps, et du corps de l’autre. Prendre conscience de ce qui ne peut pas être accepté. La lecture de La Vérité au bout des lèvres prouve cette impunité mais aussi ce manque total de respect envers le corps féminin et ses ressentis.

La médecine est encore le lieu d’une domination patriarcale dans lequel la/le soignant·e représente cette figure d’autorité et la/le patient·e est infantilisé·e. Le chemin vers la déconstruction des stéréotypes et la fin des comportements sexistes et violents reste le travail le plus important. Et comme le démontre Marine Gabriel, prendre la parole est le premier pas vers le changement. La parole des victimes, mais aussi celle des soignant·es, a le pouvoir de changer les choses. C’est en entamant ce premier pas que le tabou des soignant·es, souvent au fait des agissements de leurs pair·es, se dissipera. “ J’ai espoir , explique Marine Gabriel, “ je reçois beaucoup de messages de soignant·es ou d’étudiant·es en médecine qui me disent que ces témoignages leur ont permis de prendre conscience des VOG. Cela les pousse à les combattre et à devenir de meilleur·es docteur·s ”. 

Marie Tremblay 50-50 Magazine 

(1) Le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes sur les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical

Marine Gabriel, La Vérité au bout des lèvres, Ed. Kiwi, 2020.

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