Articles récents \ Culture \ Livres Bettina Zourli : « l’instinct maternel est une construction sociale »

Aujourd’hui encore, le non-désir d’enfant soulève beaucoup de questions et d’incompréhensions. « Tu es égoïste », « C’est parce que tu es encore jeune, tu changeras d’avis », « Tu n’es pas avec la bonne personne », « Tu le regretteras » sont autant de réflexions que peut entendre une personne qui ne souhaite pas avoir d’enfant. Une pression sociale qui pèse davantage sur les femmes qui sont très souvent associées aux notions d’« instinct maternel » et d’« horloge biologique », et à cette idée qu’elles ne seront jamais vraiment des femmes accomplies si elles ne deviennent pas mère un jour. Pourtant, que ce soit pour des raisons personnelles, écologiques ou féministes, de plus en plus de personnes revendiquent aujourd’hui leur souhait de ne pas être parents : on les appelle les childfree. Parmi elles/eux, Bettina Zourli, 28 ans. À partir de son expérience personnelle et de plusieurs témoignages, elle a publié en 2019 un essai intitulé « Childfree : je ne veux pas d’enfant », et a ouvert un compte Instagram du même nom.

Qu’est-ce que le mouvement childfree ?

La définition du mot childfree est le fait de ne pas vouloir d’enfant. C’est un mot anglophone, utilisé pour la première fois en 1972. On peut le définir comme un mouvement, mais il permet surtout de définir les personnes qui ne souhaitent pas être parents. Il n’y a pas de dimension militante, c’est juste une manière de pouvoir se catégoriser et de définir quelque chose que l’on ressent. Au même titre que certaines personnes ressentent l’envie d’être parents, c’est chouette d’avoir un mot pour définir l’envie de ne pas être parents.

Pourquoi avoir écrit un livre sur ce sujet ?

L’idée du livre m’est venue il y a un peu près deux ans. Je suis en couple depuis trois ans et demi et je me suis mariée. Avec mon mari, nous ne voulons pas d’enfant, mais lorsque nous avons commencé à évoquer le mariage, je me suis rendue compte que pour beaucoup de personnes, le mariage signifiait forcément bébé. Beaucoup pensaient que si nous voulions nous marier, c’était pour avoir des enfants, que lorsque l’on achète un appartement, il fallait qu’il y ait une chambre en plus pour les enfants. Il n’y a pas la notion de « on se marie parce que ça nous fait plaisir ». Et je me suis rendue compte qu’au-delà de la simple curiosité des gens, il y avait beaucoup de jugements. Par exemple, au début, lorsque j’ai commencé à dire que je ne voulais pas d’enfant, on m’a dit que j’avais un problème psychologique, que j’avais forcément été traumatisée dans mon enfance ou que j’étais égoïste. Peu à peu, j’ai mis sur papier toutes ces réactions, j’ai aussi listé toutes les raisons pour lesquelles les childfree ne voulaient pas avoir d’enfants, en faisant des interviews, et c’est de là qu’est né cet essai.

Dans le livre, vous abordez plusieurs raisons pour lesquelles une personne ne souhaite pas avoir d’enfant. Quelles sont ces raisons ?

Pour ma part, au delà du fait que c’est quelque chose que je ressens, que je n’ai pas envie, parce que je n’ai pas d’instinct maternel ou pas la notion d’horloge biologique, il y a aussi une préoccupation écologique. À l’heure actuelle, nous sommes la source de beaucoup de bouleversements au niveau environnemental. Je préfère donc me dire que nous pouvons essayer à notre échelle d’atténuer les conséquences de ce que nous allons subir et que nous commençons à subir, plutôt que d’engendrer une nouvelle génération de personnes, qui va porter sur ses épaules les erreurs que nous, nos parents et nos grand-parents ont fait. Il y a également pour ma part un engagement féministe. Le ventre et l’utérus des femmes sont pour moi la source des inégalités entre les genres. Le fait que les femmes portent les enfants a créé une inégalité au niveau du congé parental, une inégalité dans la mesure où les femmes sont plus en temps partiel et plus touchées par la précarité. Cela a également créé un plafond de verre que nous n’arrivons pas à briser parce que nous sommes moins sollicitées pour des promotions, car il y a toujours ce fameux risque d’être enceinte qui plane. Il y a également la charge mentale, tout ce qui est lié aux tâches ménagères, au sexisme ambiant, etc. Mais la première raison, qui ne mérite d’ailleurs aucune justification, c’est le fait qu’il y a des gens qui ont envie d’avoir des enfants et d’autres non.

Dans les autres réponses que j’ai pu entendre ou lire, il y a beaucoup de personnes qui lient aussi le fait de ne pas vouloir d’enfants à leur situation financière. C’est quelque chose qui est assez récent : beaucoup se disent qu’ils vivent dans des situations d’emplois de plus en plus précaires et qu’ils n’ont pas le confort financier pour accueillir un enfant. Il y a également le côté phobique, avec la peur liée au corps qui change ou au processus de l’accouchement.

Quelles sont les remarques que vous entendez souvent sur le fait que vous ne voulez pas d’enfant ?

La plus fréquente, c’est que ce serait égoïste. N’importe quelle personne qui ne veut pas d’enfant a déjà entendu cette phrase. À cela, j’ai envie de répondre : il y a quoi de mal à être « égoïste », c’est-à-dire à suivre ses envies et à vouloir le meilleur pour soi-même. À l’inverse, l’acte de vouloir un enfant l’est tout autant. Il y a aussi beaucoup de personnes qui considèrent que si tu ne fais pas d’enfant, tu ne sera jamais une vraie femme. Donc se servir de ton utérus ferait de toi une vraie femme…

Ce qui revient beaucoup également, c’est le fait de mourir seul·e. Alors que mon mari travaille dans une maison de retraite, et me confirme que ce n’est pas parce que tu as des enfants que tu n’es pas seul·e. Beaucoup de personnes pensent également que ce choix est lié à un traumatisme intérieur, qui viendrait de l’enfance…

Comment expliquez-vous que le non-désir d’enfant soit aussi tabou et incompris en France ?

Je pense que cela a été un non-sujet pendant longtemps, et même dans le milieu féministe. Avant Simone de Beauvoir, qui disait que la maternité était la première source d’aliéniation des femmes, on a jamais vraiment remis en question le fait de faire des enfants. On militait pour le droit de choisir quand on voulait un enfant, avec le combat pour la pilule et le droit à l’avortement, mais pas pour le droit de choisir si on en voulait. Faire un enfant est un acte tellement ancré et vieux, que forcément, lorsqu’on dit ouvertement « je ne veux pas d’enfant », les personnes ne comprennent pas parce qu’elles n’ont jamais vraiment réfléchi à la question, ou parce qu’elles en ont jamais entendu parler.

Les femmes qui ne désirent pas d’enfant subissent-elles plus de pressions que les hommes ?

Oui, complètement. Par exemple, quand j’ai dis un jour à une femme gynécologue que je ne prenais pas de contraception et que j’étais mariée, elle m’a demandé « comment ça ? Vous voulez des enfants ? ». Quand je lui ai dit que non, et que mon mari avait fait une vasectomie, elle m’a regardé d’une façon tellement condéscendante. Elle n’a pas jugé le fait que mon mari ait fait une vasectomie, mais elle pensait que je l’avais forcé à faire cette intervention, et que c’était moi qui en étais à l’origine, alors que c’était une discussion de couple. Ce qui revient tout le temps, c’est cette idée « d’instinct maternel », mais jamais d’« instinct paternel ». Pourquoi on ne questionne jamais cela ?

Il y aussi l’« horloge biologique », comme si le désir d’enfant serait inhérent à toutes les femmes et que nous ne pouvons pas y échapper. On me dit souvent « tu vas changer d’avis, tu es encore jeune, tu n’as pas trouvé la bonne personne, etc. ». Il y aurait soi-disant cette horloge biologique qui tourne alors qu’avec toutes les études et livres que j’ai lu, il faut savoir que l’instinct maternel est une construction sociale. C’est quelque chose que l’on a construit pour éviter la sur-mortalité infantile. L’instinct maternel a été employé pour la première fois vers la fin du 18ème siècle et au début du 19ème. Selon moi, cette notion d’instinct est faussée. Je pense qu’il y a en effet des envies de maternité, comme des envies de non-maternité, mais parler d’instinct n’est pas le bon mot. Lorsque l’on parle d’instinct, on parle de quelque chose qui est inné, alors que c’est totalement faux. Il y a de nombreuses personnes qui n’ont pas eu d’enfant, et pendant des dizaines d’années, on leur a dit « tu vas changer d’avis » et elles n’ont jamais changé d’avis.

Selon vous, faire des enfants serait donc une construction sociale ?

Je pense que oui. C’est quelque chose dont je me suis rendue compte lorsque j’ai commencé à en parler autour de moi et que j’ai été confrontée à des réactions très violentes. Comme si cela remettait en question tous leurs fondements et comme si elles/ils se rendaient compte du jour au lendemain qu’on avait le choix. Le fait qu’il y ait des gens qui deviennent très insultants, c’est parce qu’on leur dit qu’ils ne sont pas obligés de faire des enfants. Il y a bien sûr une notion naturelle de reproduction, car je pense que n’importe quelle espèce a plutôt vocation à s’étendre plutôt qu’à vouloir s’éteindre. Mais nous l’avons tellement assimilé que les personnes ne réfléchissent pas à l’acte d’enfanter alors que c’est quand même l’acte le plus responsabilisant de toute une vie.

Avec mon mari, nous aimerions adopter un chien dans quelques années. Il y a fort à parier qu’on nous dise « c’est beaucoup de responsabilités, faites attention ». Quand j’ai fait mes tatouages, on m’a dit « oui mais c’est à vie, fais attention ». Mais personne n’a jamais dit, quand on parle d’enfants, « faites attention c’est pour la vie. Vous avez bien réfléchi ? ». On ne pose jamais cette question. Alors qu’il y a beaucoup de personnes qui regrettent d’être parents et il y a beaucoup de mères qui se retrouvent en dépression post-partum parce qu’elles se rendent compte que ce n’est pas ce qu’elles voulaient. Cela montre bien que tout le monde n’est pas fait pour ça.

Dans votre livre, vous parlez également du milieu médical, très réticent face au non-désir d’enfant, et notamment face à la stérilisation des femmes et des hommes, une intervention pourtant autorisée depuis 2001 en France. 

Oui, je pense que cela est lié à une construction de la médecine très patriarcale : on a beaucoup minimisé la douleur des femmes, on ne les écoute pas, on n’écoute pas leurs décisions. Je comprends que les docteur·es soient réticent·es, parce que certain·es disent que ça leur fait mal de couper une partie du corps qui est viable, alors que la médecine est censée être réparatrice et sert à faire fonctionner quelque chose qui ne marche plus. Je peux le comprendre. Mais dans ces cas-là, quid de la chirurgie esthétique ? Quid de la contraception ? Car c’est un peu aller à l’encontre de la nature. À un moment, il faut être cohérent·e et vivre avec son temps. Le milieu médical devrait le faire. 

Quand on voit également le nombre de violences gynécologiques et obstétricales, on se rend bien compte qu’il y a une vrai infantilisation du corps de la femme et de la vie des femmes, et je pense que tout cela est lié. J’aime bien parler de l’accouchement et des violences gynécologiques, parce que je ne milite pas pour que nous arrêtions de faire des enfants, je milite pour que nous ayons la liberté de faire ce que nous voulons avec nos corps. L’accouchement et la grossesse sont très liés à la question que je traite.

Il y a une prise de conscience de certain·es personnes depuis quelques années, surtout sur le plan environnemental. Pensez-vous que de plus en plus de personnes vont tendre vers le childfree ? Ce sujet sera-t-il moins tabou dans les années à venir ?

J’espère et je le pense sincèrement, car je constate qu’il y a de plus en plus de livres, de comptes Instagram et d’articles à ce sujet. Quand on regarde le chiffre des personnes childfree en France, il est soit-disant à 5 % mais il date de 2011. Ce serait intéressant de voir comment la question a évoluée depuis. Cela ne fait pas partie des sujets les plus traités, mais je pense que plus on va en parler, plus il y aura d’études. Je suis convaincue que nous sommes beaucoup plus nombreuses/nombreux qu’il y a 20 ans et qu’il y a des préoccupations plus actuelles, notamment du côté de l’écologie ou de la finance, des préoccupations qu’il n’y avait pas avant. Cela témoigne aussi des changements sociétaux. 

Propos recueillis par Priscillia Gaudan 50-50 Magazine 

Bettina Zourli, ChildfreeJe ne veux pas d’enfant, Ed. Spinelle 2019.

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