Articles récents \ France \ Politique Chroniques méditatives d’une agitatrice : congé paternité, un enjeu de justice sociale
Alors qu’autour de nous, comme en Espagne ou au Portugal, on avance avec détermination sur le sujet à la suite des pays nordiques, la France peine encore à placer les enjeux de la balance parentale et donc de la réforme du congé paternité, sur la scène politique comme dans le débat public. Cet été, l’actualité semble indiquer que le vent peut enfin tourner. Une éclaircie s’annonce possible, puisque d’après la revue en ligne Têtu, le 8 octobre prochain une proposition de loi qui me semble majeure pour la justice sociale sera débattue en séance plénière parlementaire.
La revendication d’un véritable congé pour le deuxième parent chemine doucement depuis plusieurs années, à coups de pétitions et de prises de parole dans les médias. Récemment, des collectifs comme Parents et féministes, des initiatives individuelles telles que le blog Papa Plume et sa tribune signée avec d’autres pères à l’occasion de la fête des pères se sont fait entendre. Elles ont ajouté leurs voix à celles de nombreuses personnalités, dont la journaliste et essayiste Titiou Lecoq qui s’exprime régulièrement sur le sujet, ou le sociologue François de Singly, qui considère qu’un congé paternité de même durée et obligatoire serait un bon début s’il prévoyait une période pendant laquelle le père « apprend à s’occuper seul de son enfant ».
Les politiques s’activent enfin
Dans le domaine politique, après un engagement le 23 juin dernier de Marlène Schiappa, encore Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, sur un allongement du congé paternité, au moins trois propositions de loi ont été déposées cet été afin de le réformer profondément : en juin la n°3163 portée par la députée UDI Sophie Auconie, en juillet la n°3100 par la députée PCF Marie-Georges Buffet et en août la n°3290 par le député LREM Guillaume Chiche. La première proposition réclame un mois de congé dont 11 jours obligatoires, puis un allongement de quatre semaines par an jusqu’à atteindre 16 semaines. La deuxième demande un allongement à quatre semaines obligatoires. La troisième va jusqu’à 12 semaines, dont 8 obligatoires, avec un intitulé modifié, puisqu’il s’agirait de dégenrer le congé en le nommant congé de parenté au lieu de paternité.
Quant à Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des familles, il s’est dit favorable à un congé d’un mois obligatoire au lieu des 11 jours actuels, pour qu’aucun père ne soit empêché de le prendre. Les conclusions du rapport de la Commission Cyrulnik « les 1000 premiers jours de l’enfant » invitent à réviser cette ambition à la hausse. En effet, ce rapport, paru le 8 septembre dernier, préconise un congé deuxième parent de 9 semaines, fractionnable. Ces propositions et recommandations visent à rapprocher les situations vécues par une mère biologique et celles vécues par l’autre parent.
Pour rééquilibrer la balance parentale, une réforme plus radicale s’impose
Ce rapprochement, il en est plus que temps. Pour ma part, je prône un congé de même durée que le congé maternité (condition d’une compétence équivalente et de l’égalité de traitement de la part de l’employeuse/l’employeur), obligatoire (condition de l’effectivité, notamment pour les pères en emploi précaire), bien rémunéré (indispensable quand le père a le salaire principal) et fractionnable en deux périodes (de sorte que le deuxième parent s’occupe de l’enfant seul·e lors de la reprise du travail de la mère). Ainsi, le risque maternité deviendra mixte. Il deviendra ainsi un risque parentalité. Après plusieurs rapports de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, les promesses gouvernementales et les conclusions de cette dernière commission, une décision de justice sociale sera-t-elle enfin prise ?
La grande majorité des familles françaises pourrait témoigner des situations différenciées vécues par le couple, à la maison comme au travail, et ce bien au-delà de chaque naissance. Cette différenciation des trajectoires se crée principalement au moment de devenir parent, même si les deux parents partent de situations comparables en termes de diplômes, de patrimoine, d’âge et de rémunération. Des différences significatives sont constatées en termes de temps libre, de temps consacré aux tâches domestiques, de temps de travail, en termes de rémunération, de pouvoir de négociation au sein du couple, de perspectives d’emploi, en termes d’évolution professionnelle, de mobilité, de liens créés avec les enfants, en termes d’accompagnement scolaire, d’accompagnement périscolaire, ou encore d’heures supplémentaires imposées. Finalement, en termes de rôles sociaux prescrits, prescrits par l’école, la famille, le travail. Les situations sont à la fois différenciées ET inégalitaires, puisque la valorisation des activités domestiques et familiales n’atteint pas encore celle des activités professionnelles dans notre modèle socio-économique. Si tel était le cas, la représentation des hommes dans les emplois à temps partiels choisis et dans les congés parentaux serait bien supérieure, les discours politiques déploreraient davantage la faible part de garçons orientés dans les métiers du soin et du social, métiers qui seraient alors nettement mieux rémunérés.
Un travail de longue haleine
La prise de conscience qu’il s’agit d’une réelle injustice sociale ne va pas de soi, malgré tout ce que la pensée féministe a mis à jour depuis des décennies sur l’exploitation du travail des femmes (1). Dans une majorité des couples hétérosexuels, le déséquilibre s’installe peu à peu à partir du premier congé maternité, s’il n’est pas déjà présent au départ, et grandit à la façon dont se tisse une toile d’araignée. Lentement, sûrement, inextricablement et silencieusement. Dans certains de ces couples, l’insatisfaction est réelle, cause de souffrances, de disputes sur le partage des tâches et la charge mentale, puis sur le sentiment de sacrifice et d’étroitesse des choix et perspectives, sans que des mots soient toujours posés sur le phénomène. Il est en effet souvent vécu comme personnel, « psychologisé » comme une crise de couple, une mésentente, alors qu’il est socialement partagé par une grande partie des foyers. La famille est politique. La balance parentale est politique.
La prise de conscience, par l’opinion publique, que cette injustice naît dans la façon dont notre société envisage et organise les rôles parentaux, par des droits exprimant des attentes différentes et hiérarchisées envers les mères et les pères, est peut-être en train d’avoir lieu. Finira par avoir lieu.
Casser les codes archaïques de la parentalité « traditionnelle »
Sans doute que la loi sur le mariage pour tou·tes a été d’un certain secours pour réinvestir le chantier de la balance parentale. En permettant d’envisager publiquement des configurations familiales pourtant déjà existantes, le débat autour de cette loi a fait vaciller la division parentale hétérosexuelle. En effet, la possibilité pour deux personnes de même sexe d’avoir un projet d’enfant remet en cause deux figures tenaces et normatives : la mère-présente-qui-sait-et-qui-fait d’une part, et le père-qui-aide-s’il-est-là-et-s’il-peut, d’autre part. L’admission encore courante d’une passivité paternelle dans l’accueil et le soin d’un bébé, inscrite dans la loi à travers un congé d’accueil du bébé court et optionnel pour le père, va de pair avec la conception patriarcale de son rôle prépondérant de pourvoyeur de revenus. Or le triptyque travail-parentalité-égalité ne sera jamais équilibré sans une remise en question de ces figures traditionnelles.
Afin que quiconque chemine dans ces questionnements, en complément du ou en alternative au suivi de l’actualité économique ou parlementaire, la création artistique et culturelle offre un moyen utile d’interpellation. En cette rentrée, Sophie Letourneur nous propose, dans sa comédie Enorme, déjà qualifiée de dérangeante dans les premières critiques parues, de questionner le non-désir d’enfant chez les femmes, le contrôle du corps des femmes par les hommes, le désir d’enfant de ces derniers, ou encore leur place dans le soutien à la mère et dans le soin aux bébés. Or, pour questionner et améliorer l’ordre du monde, ne faut-il pas le dé-ranger ?
Violaine Dutrop 50-50 magazine
(1) Christine Delphy notamment, dans L’ennemi principal
Pour aller plus loin au sujet du congé parentalité :