Articles récents \ Monde \ Europe Pour la première fois de son histoire, la Belgique est dirigée par autant de femmes que d’hommes

À l’issue d’un vide politique long de 16 mois et d’une gestion en urgence de la pandémie de coronavirus, la Belgique a découvert le 1er octobre 2020 les nouveaux visages de son pouvoir politique. Pour la première fois depuis 494 jours, le gouvernement belge repose sur une Chambre qui lui est majoritairement favorable. Pour la première fois depuis toujours, ses ministères sont occupés par autant de femmes que d’hommes.

En 1949, Simone de Beauvoir préconisait aux féministes de rester vigilantes car une crise, qu’elle soit politique, économique ou globale, représente inévitablement une menace pour les droits des femmes. Il se pourrait néanmoins qu’aujourd’hui, ce soient les femmes entrées au gouvernement qui sauvent la Belgique de la crise non seulement politique, mais également sanitaire et économique, dans laquelle le pays s’embourbe depuis les élections législatives de mai 2019. Si le déferlement du Covid-19 sur l’Europe en mars dernier et la nécessité de protéger rapidement la population ont permis à un gouvernement minoritaire de jouir pleinement de ses fonctions, rappelons que la vie politique belge se résumait à no-woman’s land depuis cette dernière échéance électorale.

La raison ? La Belgique est un Etat fédéral, dont les deux plus grandes régions, la Wallonie francophone et la Flandre néerlandophone, se livrent une lutte culturelle acharnée. A cela s’ajoute un régime parlementaire, dont le paysage politique comprend une multiplicité de partis, chaque région possédant son propre échiquier politique et tenant à envoyer ses représentant.es à la Chambre. Ainsi, tout gouvernement belge repose sur un fragile équilibre d’alliances. Le premier objectif d’une coalition est de s’assurer le soutien de plus de 50% des parlementaires, de façon à ne pas voir systématiquement ses projets de loi déboutés par l’opposition. Sans coalition majoritaire, c’était exactement la situation dans laquelle se trouvait la Belgique depuis 16 mois.

Le phénix belge renaît de ses cendres

Le 1er octobre dernier, tout s’améliore. Le gouvernement dirigé par Alexander De Croo a obtenu le soutien d’une coalition dite « Vivaldi » à cause du nombre de couleurs politiques qu’elle rassemble : l’alliance s’étend du Parti Socialiste aux chrétien.nes-démocrates néerlandophones, en passant par des écologistes et des libérales/libéraux. En plus de disposer d’une majorité à la Chambre, le gouvernement De Croo impose une seconde (r)évolution : il est strictement paritaire. Ainsi, dix femmes ont prêté serment la semaine dernière, devenant ministres ou secrétaires d’Etat. Les Affaires étrangères, l’Intérieur, la Défense, l’Energie, l’Environnement, les Pensions, la Fonction Publique et la Coopération au développement sont désormais des portefeuilles ministériels détenus par des femmes, tout comme le secrétariat d’Etat à l’Egalité des Genres et celui au Budget. De quoi, c’est certain, faire rougir de honte un certain gouvernement Castex, qui, s’il se dit paritaire, a réservé bien moins de positions régaliennes (Intérieur, Justice, Défense, Affaires Etrangères) à des ministrEs… (1)

Liste des nouvelles ministres et secrétaires d’Etat belges, de leurs postes ainsi que leurs partis politiques (source : Wikipédia)

Le changement, c’est maintenant ?

A vrai dire, l’affaire politique belge est plus complexe qu’il n’y paraît. L’effort réalisé pour l’égalité des genres à cet échelon du pouvoir est indéniablement louable. Néanmoins, la Constitution a doté le système ministériel d’une dernière particularité : le Kern (littéralement, le noyau). Ce « conseil des ministres restreint » réunit autour de la Première ou du Premier ministre tous les vices-Premièr.es-ministres du gouvernement, sachant qu’il y a autant de vices-Premièr.es ministres que de partis politiques au sein de la coalition gouvernementale. Il s’agit donc d’une instance à la force de frappe plus rapide et plus impérative, puisque les décisionnaires qui y siègent sont moins nombreuses/nombreux. Et là, surprise ! Parmi les sept membres que compte le Kern De Croo ne subsistent plus que deux femmes: Sophie Wilmès, ex-Première ministre désormais en charge de l’Intérieur, ainsi que Petra De Sutter, nouvelle ministre de la Fonction Publique et première femme politique trans à occuper un tel poste de pouvoir en Europe. Alors, un gouvernement paritaire ? Sûrement, mais lentement…

Pour finir, de nombreux médias s’inquiètent de la surreprésentation flamande parmi les nouvelles et nouveaux ministres. En effet, même si les personnalités francophones et néerlandophones sont numériquement à égalité au sein de ce gouvernement, l’actuelle coalition Vivaldi repose sur l’alliance de cinq partis politiques originaires des Flandres, contre seulement trois issus de la région wallonne. Dès lors se pose la question des qualités d’écoute et de conciliation à faire valoir en interne par les membres du gouvernement De Croo. C’est à défaut d’entente suffisante entre leurs partis respectifs que le pouvoir belge est resté vacant si longtemps… Espérons que le regard apporté par les nouvelles ministres et secrétaires d’Etat dépoussièrera ces clivages centenaires, permettant à la Belgique, à l’instar d’autres pays dirigés par des femmes (2), d’entrevoir des lendemains moins pandémiques, plus colorés, et plus… vivaldiens.

Clara Bauer 50-50 magazine

(1) « Gouvernement Castex, la parité nivelée vers le bas », article de regards. publié le 7/07/2020.

(2) « Nos recherches montrent que les bilans sanitaires à la suite de la pandémie de Covid-19 sont systématiquement meilleurs dans les pays dirigés par des femmes. Dans une certaine mesure, cela pourrait s’expliquer par les réponses politiques proactives et coordonnées qu’elles ont apportées. » – Extrait de l’enquête de deux chercheuses de l’Université de Liverpool : « Leading the Fight Against the Pandemic: Does Gender ‘Really’ Matter? »

Photo de Une @RTBF

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