Articles récents \ Culture \ Livres Il me tue cet amour : témoigner des violences conjugales pour guérir et surtout prévenir 1/2

Dans son livre Il me tue cet amour, Marie Gervais raconte huit années de violences conjugales, de 16 à 23 ans. Elle explique comment elle a réussi à sortir de cet engrenage de violences pour entamer son chemin vers la reconstruction. Un témoignage fort, pour guérir et surtout pour prévenir. 

Il me tue cet amour s’organise en trois parties : la phase de “déconstruction”, la phase de “reconstruction” et le présent. Régulièrement, des encarts décrivent les techniques utilisées par les conjoints violents pour manipuler leurs victimes, ainsi que des conseils pour les victimes et les témoins de violences conjugales. 

“ J’ai vingt-trois ans et je reviens de la fac. C’est ma deuxième année à Paris, où je vis avec Thomas, mon colocataire, meilleur ami aux yeux des autres et amant dans le dos de tou·tes. J’entre dans le hall frais et monte les deux étages. Comme tous les jours, ma main s’arrête quelques secondes devant la serrure : quel Thomas vais-je trouver ? Aura-t-il quelque chose à me reprocher ? Sera-t-il tendu ou calme ? Et si je ne rentrais pas, cette fois ; si je décidais de partir ? Mais pour aller où ? ”

Le livre s’ouvre sur cette immersion dans la tête de la Marie de 23 ans, puis rembobine le film pour montrer aux lectrices/lecteurs comment cet engrenage s’est mis en place et a permis à Thomas de conditionner Marie à accepter les violences depuis ses 16 ans.  

Dès le début du livre, Marie Gervais met en garde les lectrices/lecteurs contre les stéréotypes de genre qui présentent les victimes de violences conjugales comme des personnes faibles et soumises, “ cachant leurs ecchymoses derrière des lunettes noires ”. C’est cette représentation caricaturée qui l’a empêchée de se considérer comme une victime pendant des années. 

Au contraire, elle explique que “ de nombreuses femmes abusées étaient pleines de caractère et indépendantes avant d’entrer dans une relation violente”. Son livre est la preuve que les violences conjugales concernent tous types de personnes, prennent de multiples formes, parfois loin des stéréotypes, parfois sans même laisser de traces visibles… 

La mise en place de l’engrenage : des manipulations psychologiques aux violences physiques

“ En activant des mécanismes inconscients chez son partenaire, il lui a ôté progressivement toute velléité de réaction puis d’action. Manipulé par une force invisible, le conjoint sous emprise devient progressivement victime. […] Même si c’est la plus spectaculaire, la violence physique n’est que secondaire, car elle a été préparée, elle s’est mise d’abord en place comme violence sur la pensée, violence qui délégitime et rend objet. ” C’est ainsi que Marie Gervais définit l’emprise. 

Dans son cas, l’emprise s’est mise en place très rapidement ; cela a été l’affaire de quelques mois. Elle rencontre Thomas alors qu’elle est en classe de première. Elle explique que, comme beaucoup de femmes, elle a “  confondu politesse et oubli de soi  ” et n’a pas su dire “ non ” à Thomas dès le début de leur relation. Il l’a très vite forcée, entre autres, à lui dire “ je t’aime ”, à avoir des relations sexuelles alors qu’elle n’était pas prête et à arrêter le préservatif pour prendre la pilule. 

Thomas n’a aucune caractéristique particulière, si ce n’est qu’il est très cultivé. Il en joue d’ailleurs pour lui faire sentir qu’avec lui, elle peut devenir une meilleure version d’elle-même. “ Face à un homme exigeant comme lui, j’ai la sensation d’être « l’Élue » et je suis fière d’avancer à ses côtés.” Mais en contrepartie, il lui fait intérioriser le fait que sans lui, elle n’est rien.

Très vite dans leur relation, Thomas agit de façon étrange sans que Marie ne comprenne pourquoi. “ Alors qu’on est tranquilles dans ma chambre, il se lève brusquement et annonce qu’il part, d’un ton tendu, parfois énervé ”. Comme elle ne trouve aucune explication logique à cela, elle en vient à penser que c’est de sa faute, qu’elle a forcément dû faire quelque chose qui l’a énervé. Ainsi, s’installe une culpabilité récurrente, sans que Marie ne sache jamais pourquoi. Avec les années, cela se traduit par le développement d’une hypervigilance : “ C’est devenu une habitude : je « m’autosurveille » en permanence, je fais attention à qui je regarde, ce que je dis, comment je le dis, avec qui je ris, comment je m’habille et comment je me comporte ”.

C’est à ces manipulations psychologiques que s’ajoutent les violences physiques. Celles-ci apparaissent toujours comme un “ accident ”. “ C’était un accident, il a un peu perdu les pédales mais il s’en est rendu compte, c’est le plus important… ”. Puis, l’accès de violence passe et il est vite oublié, “ comme si de rien n’était ”

Face à l’entourage, de l’art de la simulation à une libération de la parole salvatrice

Au cours de ces huit années de violences, Marie Gervais n’a jamais tenté d’en parler avec son entourage. La raison : elle avait peur du pouvoir de persuasion de son bourreau qui pouvait même la faire douter elle-même du fait qu’elle subissait vraiment des violences. Alors, elle décrit que face à son entourage : “ je passe mon temps à faire semblant […]. Je fais illusion, j’ai appris l’art de la simulation à la perfection ”.

Cependant, quand Thomas commence à sortir avec une autre fille, Claire, et qu’ils finissent par demander à Marie de mettre fin à sa colocation avec Thomas pour se trouver un appartement, c’est un premier pas timide vers la liberté qui annonce la fin de cette relation toxique. “ Je découvre que je peux faire des choix seule, sans demander d’autorisation à personne. Je décide de mon temps, même quand il s’agit de le perdre et je choisis ce que je lis, combien de temps je peux rester flâner dans un magasin, si je veux manger ou pas ! ” 

Cette distance physique aide mais l’emprise psychologique de Thomas est toujours présente. Finalement, lors d’un séjour dans la maison familiale à la campagne, elle parle pour la première fois de son expérience à son cousin. “ Brutalement, les vannes s’ouvrent, et comme un barrage qui vient de céder je déverse en pleurant huit années de violences. ” C’est en parlant qu’elle réalise que oui, elle a été victime. Le fait que son cousin la croit lui donne de la force : elle raconte à ses parents les huit années de violences qu’elle a subi, parfois jusque sous leur toit. C’est grâce au soutien de son entourage, qui l’a crue même quand elle doutait d’elle-même, qu’elle s’en est sortie. 

Un témoignage pour guérir mais aussi prévenir

Ce qui ressort de ce livre, c’est la volonté de Marie Gervais de donner une double signification à son témoignage. D’une part, témoigner est un moyen de reconnaître sa souffrance. C’est d’ailleurs pour cela que quelques années plus tard, elle a repris des études et a choisi d’écrire son mémoire de master sur l’écriture de soi comme un remède face au traumatisme, comme une reconstruction après la destruction. 

D’autre part, témoigner pour Marie Gervais, c’est prévenir les violences dans les relations amoureuses entre jeunes. Elle critique fortement les contes de fées, les films et les médias pour l’image toxique qu’ils renvoient aux jeunes des relations amoureuses, notamment parce qu’ils sont imprégnés par la culture du viol. Pour elle, c’est cette romantisation de l’amour passionnel qui prédispose les femmes à accepter la violence dans leur couple: “ Tous ces coups et ces menaces pour me réanimer, comme un vrai Prince charmant qui tenterait de réveiller la Belle au bois dormant par le pouvoir des beignes et des injures ! ” Elle veut témoigner pour expliquer aux jeunes ce qu’elle aurait aimé qu’on lui dise à cet âge : “ l’amour, ça commence par s’aimer et se construire soi-même ”. Aujourd’hui, elle reste convaincue que si une victime de violences conjugales était venue témoigner alors qu’elle était au lycée ou à l’université, cela aurait pu provoquer un déclic chez elle. 

Ce témoignage permet de montrer aux victimes de violences conjugales qu’il y a une vie après les violences, qu’il est possible de trouver la lumière au bout du tunnel, même si le chemin est long et difficile. 

Maud Charpentier 50-50 Magazine 

Marie Gervais, Il me tue cet amour, Ed. Massot, 2020.

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