Articles récents \ Chroniques Chronique méditative d’une agitatrice: Ecarts de revenus entre les sexes, quand de simples calculs mathématiques méritent notre vigilance
Je m’adresse ici aux journalistes, éditorialistes, animateurs et animatrices d’émissions ou de chroniques télé ou radio, syndicalistes, professionnel·les de la communication, des services du personnel, des droits humains, de la recherche universitaire, de l’engagement associatif. Et aux autres.
Vous qui prenez la parole pour informer, dénoncer, questionner les écarts de revenus entre les sexes, vous avez tout mon soutien dans la diffusion de ces données qui doivent absolument être davantage connues et analysées. Toutefois, certaines pratiques repérées ici ou là ne me semblent pas pouvoir produire l’effet recherché. Voici quelques propositions pour y remédier.
1 Mettre une intention dans l’ordre des mots
Parler de l’écart de revenus (entre les) Femmes / (et les) Hommes ou (entre les) Hommes / (et les) Femmes n’a pas le même sens. Le deuxième mot (ou proposition soulignée) est, en mathématiques (s’il s’agit d’écart exprimé en chiffres ou en pourcentage, il s’agit de mathématiques), la référence de calcul.
Vous voulez souligner la situation défavorable à la catégorie des femmes ? L’écart de revenus entre les femmes et les hommes exprime combien les femmes gagnent de moins en moyenne que les hommes, les hommes étant la référence de calcul. C’est généralement le choix qui est fait pour souligner que la cible à atteindre, c’est que les femmes rattrapent les hommes : cette perspective générale est pourtant à questionner (cf. 3).
Vous voulez souligner une situation favorable à la catégorie des hommes ? L’écart de revenus entre les hommes et les femmes exprime combien les hommes gagnent de plus en moyenne que les femmes, les femmes devenant alors la référence de calcul.
Utiliser indifféremment les deux ordres sans se questionner, c’est nier qu’il y a deux façons de lire les données, deux calculs possibles qui n’aboutissent pas au même résultat (cf.2°).
2 Faire le calcul dans les deux sens
Parler d’un écart de revenus de – 25% en moyenne entre la catégorie des femmes et celle des hommes, est juste. Mais c’est aussi le résultat d’un choix : prendre pour référence les hommes est une façon de minimiser l’écart. En effet, en prenant comme référence le groupe de femmes, nous obtenons un écart de revenus de +33% en faveur des hommes par rapport aux femmes.
Cette façon de présenter les choses a l’avantage de montrer davantage le problème, si des personnes restaient à convaincre qu’il y en a un. Il a aussi l’inconvénient de faire croire que la cible, la référence donc, serait le niveau moyen de rémunération des femmes. Evidemment, l’attractivité n’y est pas, surtout quand on sait qu’à poste égal et temps de travail égal, il reste 10% d’écart en défaveur des femmes (cf.4). Et pourtant, cette cible-là, que les hommes rattrapent aussi les femmes en quelque sorte, proposerait un autre projet de société.
3 Questionner la perpétuelle référence masculine
En prenant les revenus actuels des hommes comme référence, nous prenons comme modèle-cible une population quasiment intégralement à temps plein, distribuée à tous les échelons des hiérarchies professionnelles mais majoritaire dans l’ascension de l’échelle, quasiment absente de métiers très peu valorisés comme le soin.
Bien sûr, ce serait formidable (et nécessaire) de revaloriser ces métiers, de voir monter des femmes dans les pyramides et d’en compter davantage en informatique et en finances. Cependant, prendre comme référence les femmes (au moins de temps en temps, voire en alternance) ferait prendre conscience que les hommes gagnent en moyenne beaucoup plus qu’elles. Ce serait montrer qu’ils font d’autres choix, comme celui de ne pas demander de temps partiels pour se consacrer à leur famille autant qu’à leur travail, ou de bouder davantage des métiers indispensables, à forte valeur sociale, fortement féminisés aujourd’hui et peu valorisés.
4 Souligner le manque d’hommes autant que le manque de femmes
Je ne compte plus le nombre de tableaux et de données dont la présentation me choque. Seule semble compter l’idéale mixité des filières encore très masculines…
L’insertion de colonnes de visibilité des femmes intitulées « pourcentage de femmes » est de mise (ex. les sciences et techniques), quand rien n’est dit du pourcentage d’hommes correspondant (qui aurait pourtant l’intérêt de souligner leur surreprésentation) ni sur le pourcentage d’hommes dans tel autre métier pour souligner qu’ils y sont attendus (ex. petite enfance).
D’autre part, le fait de souligner l’attendu concernant les femmes avec la seule colonne « % de femmes » peut être interprété comme un problème réglé quand les femmes sont très majoritaires…, alors que là réside l’autre moitié du problème ! J’ai entendu trop de dirigeant·es affirmer que « les femmes étant majoritaires dans leur secteur, il n’y a pas de problème d’inégalités professionnelles », ce qui n’a bien sûr aucun rapport en plus d’être le signe d’une confusion mentale étonnante.
5 Ouvrir la boite de Pandore de la situation familiale
Affirmer que les écarts s’expliquent par tel et tel facteur, c’est déjà un pas, mais il est insuffisant.
Il est temps de systématiquement « découper » le fameux écart de -25% ou de +33% (il est bien la moyenne de multiples situations très différentes), pour montrer de quoi il est fait et donc où persistent les plus fortes inégalités. La situation de famille constitue un prisme d’analyse fort intéressant (par exemple, dans les familles de trois enfants et plus, dire en chiffres combien les hommes gagnent de plus que les femmes traduit des arbitrages familiaux traditionnels). Ce « découpage » permettrait de montrer où ces inégalités sont beaucoup moins présentes (par exemple, chez les plus précaires et chez les célibataires).
Il est temps aussi de faire connaître les inégalités de salaires entre les hommes selon leur situation de famille et entre les femmes selon leur situation de famille.
Enfin, il est temps de convenir qu’il n’y aura pas d’avancée vers l’égalité professionnelle sans ouverture de la boite de Pandore de la situation familiale. C’est ce que j’ai tenté de mettre en valeur dans mon texte : « Au dessus de tous les autres revenus : ceux des hommes pères ou en couple »
6 Prévenir les mauvaises interprétations possibles
Les -25% ou +33% ne sont pas calculés « à poste égal », mais ils sont régulièrement interprétés comme tels par l’opinion publique, lorsqu’aucun indice ne vient dire le contraire. C’est évidemment un problème pour la crédibilité du chiffre comme pour celle des personnes qui l’avancent.
Solution : expliquons systématiquement quelles assiettes ces calculs prennent en compte (exemple dans une entreprise : masse salariale des hommes et masse salariale des femmes, ramenées chacune à une personne). Informons sur l’écart restant (+/-10%) une fois qu’on a expliqué la différence de revenus par tout ce qui était visiblement explicable : les types d’emploi, le temps de travail, les heures supplémentaires, les positions dans les emplois, etc.
Vous qui m’avez lue, peut-être n’aviez vous besoin de rien. Mais cela m’a fait du bien.
Violaine Dutrop 50-50 Magazine