France \ Économie Femmes en parfumerie, comme une fragrance d’oubli…

Saviez-vous qu’Eau Sauvage de chez Dior, Moustache de chez Rochas, Vent vert de la maison Balmain, Eau d’Hermès ou encore Cœur joie de Nina Ricci sont la création de parfumeuses ? Les « nez » féminins existent pourtant depuis toujours. 

Depuis l’Antiquité, l’être humain a tenté de reproduire la délicate senteur des fleurs ou des plantes par différents procédés et mélanges naturels et chimiques afin de la conserver dans des flacons pour mieux la libérer lors de cérémonies, de rites religieux, d’actes médicaux ou de rendez-vous galants. La formule du kyphi, précieux assortiment de résines de térébenthine, vin, miel, myrrhe, safran, cannelle, raisins secs chez les Egyptien·nes, n’était transmise qu’à l’oral, le parfum étant un moyen de créer un lien entre les hommes et les dieux.

En 1555, naît le premier traité européen de la parfumerie à Venise. Catherine de Médicis popularisa différentes fragrances auprès des Reines d’Europe, Louis XIV et sa cour en abusèrent pour cacher les odeurs corporelles. Libertinage et frivolité rimaient avec poudre, fards et parfums. Synonyme de séduction, de glamour et de beauté, cet accessoire, associé à la haute couture, devient un véritable produit de luxe dans les années folles, puis dans les années 1940, sa popularisation se véhiculera à travers les stars du cinéma.

Dans l’histoire du parfum (étymologie latine Per fumum qui signifie « par la fumée »), des « nez » féminins, il y en a eu très peu, et pour cause. Pour pénétrer dans le monde très masculin de cette industrie lucrative, il faut avoir suivi des études et précisément en chimie. Or, les filles n’ont accès à l’éducation que depuis la fin du XIXème siècle. Julie-Victoire Daubié est la première bachelière en 1861, Mary Putman, la première étudiante dans l’enseignement supérieur en 1868. En 1900, les étudiantes ne représentent que 3 % dans les études supérieures, puis 10 % à la veille de la première Guerre Mondiale.

Germaine Cellier est la première « nez » qui connut la notoriété dans cet univers géré par les hommes en créant des parfums dont la qualité fut reconnue internationalement et qui continuent d’être commercialisés. En 1920, elle étudie la chimie et entre dans l’entreprise Roure Bertrand qui se fera rachetée plus tard par Givaudan. C’est le styliste Robert Piguet qui lui laissera carte blanche pour créer un parfum de sa composition dans les années 1940. Elle signe avec succès, Bandit, puis innove avec une fragrance extrêmement fraîche à base de plantes vertes, ce qui était totalement inédit pour l’époque. Vent vert de Balmain sera présenté au festival de Cannes en 1947. L’autrice Colette décrira son essence : «il a un caractère vireux de végétal écrasé à la main. De quoi plaire à ces diablesses de femmes d’aujourd’hui. »

Sa base olfactive révolutionnaire sera reprise dans N°19 de Chanel, Fidji de Guy Laroche, Tendre poison de Dior. Puis Germaine Cellier signe Cœur Joie pour Nina Ricci, vendu dans un flacon fabriqué par la maison Lalique. Le parfum Fracas la fera accéder à la notoriété aux USA. Intelligente, intuitive, d’un caractère bien trempé, Germaine Cellier a bousculé le monde du parfum grâce à ses procédés alchimistes poussés à l’extrême dont la fumeuse de cigarette invétérée détenait les secrets. Elle meurt à l’âge de 67 ans pour avoir inhalé, entre autre, trop de produits chimiques.

Thérèse Roudnitska, autre « nez » féminin, participera avec la complicité de son mari Edmond, à la fabrication de parfums dits modernes à travers leur société grassoise, Art et Parfum, créée en 1946. Le couple, tous deux chimistes, s’impose dans le monde des senteurs avec des créations célèbres comme Eau sauvage, Moustache, Diorissimo, Eau fraîche… Edmond composera un parfum exclusivement composé pour sa femme dans les années 1950. Parfum de Thérèse ne sera commercialisé qu’à la mort de ce dernier.

Monique Rémy fut l’une des pionnières à se lancer dans le développement durable en commercialisant des fleurs naturelles et en produisant des matières premières pures pour les grands noms de la parfumerie dont la marque Chanel. Sa société grassoise est rachetée par la société Flavors and Flagrances France, filiale du géant américain IFF, l’une des plus grandes sociétés de parfums internationales. « Si j’ai pu réussir, c’est grâce au fait d’être une femme, car mes concurrents, tous masculins à l’époque, ne se sont pas méfiés de moi, tellement ils étaient sûrs que j’allais échouer, précisément parce ce que j’étais une femme ! » raconte Monique Rémy dans Les Femmes en parfumerie. De la terre au flacon, de Rafaëla Capraruolo.

Aujourd’hui, les étudiantes en chimie et en écoles de parfumerie sont de plus nombreuses à désirer capter les essences et à innover avec leur propre création. Alors Messieurs, méfiez-vous des parfumeuses, elles ne se contentent plus du flacon pour obtenir l’ivresse !

Laurence Dionigi 50-50 Magazine

Rafaëla Capraruolo Les Femmes en parfumerie. De la terre au flacon Ed. Soroptimiste 2019

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