Articles récents \ Monde \ Asie Solene Khin Zin Minn : « les manifestantes en Birmanie ont échangé tous les drapeaux birmans par des jupes birmanes »

Solen Khin Zin Minn est née à Mandalay en Birmanie. Elle a fait ses études en France de 1996 à 2000. Aujourd’hui, elle travaille à l’Education Nationale comme assistante d’éducation dans un collège. Elle suit avec une grande inquiétude l’actualité de son pays qui vit un fort soulèvement populaire et une répression grandissante. Plus de 130 manifestant·es tué·es, des centaines de personnes arrêtées, torturées … depuis le coup d’État du 1er février, la Junte continue la répression dans tout le pays.

Vous avez de la famille en Birmanie, quelles nouvelles vous parviennent de votre pays ?

Ma mère habite actuellement à Mandalay ainsi que mon frère et la famille de ma sœur.

Le peuple a très peur du retour à une dictature comme nous en avons connu dans le passé et manifeste contre le fait que l’armée ait pris le pouvoir.
La nouvelle génération ne peut pas supporter ce qui se passe. Les jeunes ont commencé à manifester au début du mois de février et, depuis le 25 février, la situation empire. Depuis plusieurs jours, la capitale a été transformée en champ de bataille.
L’armée a commencé à tirer sur les manifestant·s au bout de deux semaines de manifestation et tire sur tout ce qui bouge avec des armes de guerre en plein centre ville, de jour et de nuit. Les militaires brutalisent les jeunes tout en les arrêtant. Et comme la junte n’a pas l’argent pour faire tourner l’économie du pays, ils ont commencé à kidnapper les jeunes manifestant·es. C’est à dire qu’ils demandent de l’argent pour leur libération. Cela me fait très peur.

Ces situations touchent directement ma famille et mes proches. Les enfants de mes ami·es ont été arrêté·es et leur famille a dû payer 50 € par personne pour les récupérer. Et si vous êtes médecin, par exemple, vous êtes obligé·e de débourser presque 1500 € pour sortir de prison. Pour nous, ce ne sont pas des arrestations, ce sont des kidnapping effectués en pleine journée par l’armée.

Quel est le rôle des femmes dans ces manifestations ?

La Birmanie est un pays bouddhiste et il est vrai qu’il y a beaucoup de traditions et de superstitions dans ce pays. Il en existe autour de la jupe birmane. Les hommes ne doivent pas passer sous une jupe birmane. Et donc il y a quelques jours, des manifestantes, en Birmanie ont échangé tous les drapeaux birmans par des jupes birmanes. Elles cherchaient à montrer que nous ne faisons pas uniquement la révolution contre le système dictatorial mais aussi une révolution culturelle, pour exiger que la place des femmes soit égale à celle des hommes. Nous cherchons à montrer que les femmes ne doivent pas être moins considérées que les hommes.

Pouvez-vous nous parler de Kyal Sin, la première manifestante tuée qui est devenue le symbole de ce soulèvement  ?

Kyal Sin est une jeune fille de 19 ans qui a été tué pendant une manifestation. Elle aidait les manifestant·es en apportant des seaux d’eau à celles/ceux qui reçoivent des lacrymogènes. Mais il s’est trouvé qu’un sniper a commencé à tirer sur la foule et elle a pris une balle. Kyal Sin est une Birmane d’origine chinoise et certains disent qu’elle a été tué par un Chinois. En Chine, les médias ne sont pas libres et pourtant, son assassinat a fait la Une des journaux !
La junte a donc cherché à couvrir l’évènement en allant déterrer le corps de Kyal Sin pour montrer, via une autopsie, qu’elle avait été tuée par un manifestant et non par un militaire. La junte voulait montrer que cette agression était le fait de manifestants et non de militaires.

Aung San Suu Kyi a été beaucoup critiqué sur la scène international pour son inaction par rapport aux Rohingyas qu’en pensez-vous ? 

Alors en tant que Birmane, je trouve que le sujet des Rohingyas est un sujet très sensible et assez complexe. Je ne ferai pas de commentaires sur cette question.

Mais il faut savoir que depuis 1962, après le coup d’État du général Nay Win, il y a eu des violences à l’encontre des minorités ethniques partout en Birmanie. Effectivement il y a eu des massacres de la part de l’armée birmane.

Puis il y a eu le grand soulèvement de 1988 et de nouveau un coup d’État et la mise en place d’une dictature militaire. L’armée birmane a utilisé tous les moyens pour brutaliser les minorités ethniques, même le viol comme arme de guerre, dans les villages où vivent les minorités ethniques. De nombreuses personnes se sont enfuies par les frontières côté thaïlandais et côté indien. Ces faits ne sont pas été assez médiatisés.

La constitution de 2008 a permis aux militaires d’occuper les trois ministères les plus importants. Le gouvernement n’a aucun pouvoir pour gérer ce que l’armée fait, il n’a aucun de contrôle sur la justice, sur la corruption.

Ce nouveau coup d’État est un grand danger pour le peuple. Mais je pense que la révolution que notre jeune génération mène depuis 1er février est une grande espoir pour nous tou·tes.  C’est une révolution qui réunit les générations, les ethnies, les religions…. et c’est un nouveau départ. Que l’on soit un Birman, un Kachin, un musulman ou un Rohingya cela n’a aucun importance. Nous combattons pour la même cause. Il ne faut pas oublier que pour l’instant l’objectif est d’arrêter cette dictature.

Nous ne voulons plus de dictature… nous voulons une Birmanie fédérale.

Nous n’acceptons aucune violation des droits humains sur qui que se soit.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 Magazine

Photo de Une : Solene Khin Zin Minn le 8 mars devant l’ambassade de Birmanie à Paris

 

 

 

 

 

 

 

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