Articles récents \ Monde Titiou Lecoq : « Le féminisme n’est pas une opinion »

Le Tour du monde féministe, porté par le collectif Générations Féministes et Nous Toutes, s’est terminé le 24 juin. Pendant 24h, des féministes du monde entier ont participé à des débats, performances artistiques et tables rondes pour interpeller les chef·fes d’Etat, qui participent au Forum Génération Egalité, afin qu’ils et elles prennent de véritables engagements financiers pour mettre fin aux violences basées sur le genre. Parmi les différents débats organisés, l’un d’eux s’interrogeait sur le rôle que doivent jouer les médias face aux violences sexuelles et sexistes.

Média et féminisme. La thématique s’est ouverte avec une vidéo de présentation de  Medfeminiswiya , un réseau féministe qui rassemble des femmes journalistes dans la région méditerranéenne. Un outil qui permet aux femmes journalistes de la région méditerranéenne de se soutenir, de rester en contact et de se réunir pour informer, améliorer la visibilité du travail des femmes de cette région, mettre en lumière les histoires, les luttes communes, les défis et pour couvrir les actions des mouvements féministes.

Les féminicides ne sont pas des faits divers

Dans une deuxième partie, une table ronde s’est ouverte avec Aurélie Gal-Regniez de l’ONG Equipop, Titiou Lecoq journaliste pour Girls & Geek et Slate, et Laura Caniggia de Punto Généro. Malgré quelques contraintes techniques qui n’ont pas permis d’entendre toutes les invitées, le débat n’en était pas moins passionnant. « Le féminisme n’est pas une opinion » a d’emblée averti Titiou Lecoq, avant de poursuivre « c’est un bagage culturel et intellectuel. On ne dit pas « je pense que », c’est une expertise, du travail. Mais il y a un problème en France dans le traitement de l’information et dans les écoles de journalisme. On dit aux jeunes femmes journalistes que le féminisme est une opinion, alors qu’en fait ce qu’on prend pour le langage de l’objectivité c’est le langage du dominant ». Et Titiou Lecoq ne manquait pas d’exemples concrets pour étayer ses propos : « on parle souvent de drame familial mais ça n’existe pas dans la loi. On dit qu’un enfant a été abusé, mais c’est faux, il a été violé. Même chose quand on dit qu’une femme est morte sous les coups de son conjoint. Comme si il la battait et qu’une fois il a frappé trop fort. Non, un jour il a décidé de la tuer, de lui tirer un coup de fusil ou de lui planter un couteau dans le ventre ».

Et finalement Titiou Lecoq rappelle aux médias et aux journalistes que les féminicides et les violences sexuelles ne sont pas des faits divers mais bien des faits de société. « En France, et ailleurs, on peut mourir parce qu’on est une femme ». La phrase méritait d’être dite, crument, pour réaliser l’urgence de mieux parler des violences.

Mais Titiou Lecoq rappelle quand même les quelques avancées et évolutions dans les rédactions. « Il s’est quand même passé quelque chose ces dernières années, il y a désormais un consensus pour parler des féminicides. Le Monde n’a pas hésité à consacrer des Unes et des dossiers à ces sujets de violences ». Même si de nombreux médias finissent par retomber dans leur travers en traitant les féminicides sous le prisme du fait divers. « Quand Jonathan Daval a fini par avouer le meurtre de sa femme à la télévision après l’avoir pleurée et avoir fait croire qu’elle lui manquait, TF1 a fait un sujet sur les criminels qui ont menti à la télévision. C’est quand même hallucinant, alors qu’on parle d’un féminicide. Il faut toujours se poser la question : est-ce que je ne relaie pas les propos du coupable », prévient Titiou Lecoq. 

Mais alors existe-t-il des moyens pour former et sensibiliser les rédactions ? « Prenons la Une a mis au point un glossaire des expressions, mots à utiliser et celles/ceux à bannir », rappelle Titiou Lecoq. Et quid des gender editors (journalistes spécialisés sur les questions de genre) dans les rédactions ? « C’est un bon outil si c’est bien présenté. Il faut que ça soit discuté, négocié au sein des rédactions mais ce n’est jamais une bonne idée d’imposer des idées par la force », selon Titiou Lecoq.

La situation en Argentine

Quant à la situation de l’Argentine, Laura Caniggia de Punto Généro est assez optimiste sur les progrès réalisés dans son pays par et grâce aux médias. « On ne parle plus de crimes passionnels mais bien de féminicides, les mots ont changé », explique la journaliste. « Notre rôle en tant que journaliste est de faire en sorte que les questions de genre se retrouvent dans tous les secteurs. Il ne faut pas simplement parler des féminicides dans un coin de page, mais évoquer ces problématiques dans les sujets politiques, économiques… vraiment partout. Et nous voulons également plus d’égalité, car les rédactions sont aujourd’hui dirigées par des hommes. Nous aimerions qu’il y ait une plus grande parité entre les femmes et les hommes au sein des médias ». Car l’enjeu sera également là. Plus il y a d’hommes à la tête des médias, qui ont leurs propres biais, et moins il y a de diversité, et plus les problématiques sur les questions de genre vont continuer. Il s’agit de réformer en profondeur les rédactions, mais également d’éduquer convenablement les jeunes générations de journalistes.

Chloé Cohen 50-50 Magazine

print