Articles récents \ Île de France \ Société Affaire Mila : La misogynie s’est étendue aux réseaux sociaux

Le 18 janvier 2020, Mila, 16 ans, publie une vidéo sur son compte Instagram où elle décrit l’islam comme « une religion de haine » et déclare mettre un « doigt dans le cul de votre Dieu ». Elle répondait à un internaute dont elle avait refusé les avances et qui l’avait injuriée en raison de son homosexualité, puis accusée de racisme. Dix mois plus tard, elle poste une autre vidéo dans laquelle elle s’en prend à ses détracteurs et blasphème à nouveau. Entre temps, Mila a reçu plus de 100 000 messages dont d’innombrables menaces de mort. Le 21 juin s’ouvrait un deuxième procès mené contre treize des harceleuses et harceleurs de Mila, auquel 50-50 Magazine a assisté. 

Un procès unique 

Du 21 au 22 juin midi, les treize prévenu·es ont pris la parole. Confus·es, nerveuses/nerveux, intimidé·es : certain·es disent regretter, d’autres s’excusent. Mila a 18 ans, tout comme certain·es accusé·es. Le plus âgé a 29 ans. Elles/ils sont étudiant·es en licence de psychologie ou d’anglais, en formation de douanier ou de bagagiste, en poste dans un lycée en tant qu’assistant d’éducation. Des « Monsieur et Madame tout le monde », qui se sont servi·es de leur téléphone pour harceler et/ou menacer Mila de mort. Elles/ils ne sont pas tous·tes musulman·es. Il y a aussi des athé·es et des chrétien·nes : ce ne sont ni des djihadistes en herbe, ni des salafistes en devenir. 

« Ça va venir chez toi, ça va te ligoter », « qu’elle crève la bouche ouverte cette sale pute », « je vais te lacérer le corps avec mon couteau », « faut la faire sauter »; des tweets, des messages privés sur Instagram, des commentaires, des mails que Mila a reçus par centaines et que le président du tribunal a patiemment lus avant de donner la parole aux prévenu·es. « J’ai été choqué », « je n’ai pas réfléchi », « j’ai envoyé ça sur un coup de tête » : voici les excuses que donnent les accusé·es pour justifier leurs pulsions meurtrières. Beaucoup ont agi sans réaliser les conséquences de tels actes. Un des prévenu·es a même écrit à la fin de son tweet : « je ne serai pas poursuivi car je suis blanc et athé » le président du tribunal sourit et quelques rires se font entendre. Accusé de cyber-harcèlement, il risque trois mois de prison avec sursis.

Le président du tribunal ainsi que Richard Malka, l’avocat de Mila connu pour sa défense de Charlie Hebdo, tentent tour à tour de comprendre. Comment peut-on proférer de telles insultes et menaces puis tout oublier le lendemain ? Comment en sommes-nous arrivé·es à une telle banalité du mal, pour que des jeunes hommes et jeunes filles puissent tenir des propos d’une telle gravité ? Rares sont les prévenu·es qui persistent dans leur vision intolérante de la religion. Elles/ils sont plusieurs à s’excuser auprès de Mila et à défendre son droit au blasphème et à la liberté d’expression. Pourtant, une étudiante en psychologie accusée d’avoir envoyé un mail à Mila dans lequel elle lui disait son envie de la torturer maintient devant le tribunal : « il faut respecter toutes les religions ». Reprise par Richard Malka, elle maintient que Mila a beau être dans son droit, le « respect des religions » est essentiel. Une telle affirmation est le signe d’une faillite de l’école laïque et républicaine. La laïcité, concept clé de notre constitution, demeure étrangère aux harceleuses/harceleurs de Mila.

Ce que nous dit le procès 

Ce qui n’aurait pu être qu’un « épiphénomène de récré » selon l’expression de l’un des avocat·es des prévenu·es s’est transformé en polémique et en débat national, avec pour l’instant deux procès à la clé. Les réseaux sociaux amplifient chaque parole tweetée ou écrite, pour le meilleur et pour le pire. Les mots ont perdu leur sens et les « sale pute » et les menaces de mort et de viol sont de plus en plus fréquents. Tous les jours en France, des journalistes femmes se font cyber-harceler. Selon l’European Women’s Lobby, les femmes ont 27 fois plus de chance d’être cyber-harcelées que les hommes. La misogynie s’est étendue aux réseaux sociaux et Mila ainsi que d’autres femmes victimes en sont la preuve. Car si Mila subit un tel déferlement de haine, c’est aussi, comme l’a rappelé son avocat, parce qu’elle est une femme lesbienne qui refuse d’être réduite au silence. Ce qui dérange dans son attitude, en plus de son orientation sexuelle, c’est qu’elle ne se tait pas. Au contraire : elle fait une deuxième vidéo, elle porte plainte, elle reste présente sur les réseaux sociaux. À la question « pourquoi ne pas tout débrancher ? » du président du tribunal, elle répond que couper les réseaux serait comme cesser de sortir dans la rue pour une femme ayant été victime de viol. Couper les réseaux reviendrait à l’isoler davantage, elle qui est déjà victime d’un ostracisme social et que l’Éducation Nationale n’a pas su protéger. Mila a été contrainte de quitter son lycée et de continuer les cours chez elle. 

Heureusement pour les victimes, le cyber-harcèlement, un phénomène récent, est de plus en plus pris au sérieux par la justice, même si les réactions de l’exécutif et du pouvoir législatif ont été longues à venir. En France, la législation contre le cyber-harcèlement n’est entrée en vigueur que l’été dernier, en août 2020 (loi Avia). Un parquet exclusivement dédié à la haine en ligne  vient d’être créé, et l’affaire Mila était sa première audience. 

Pour beaucoup, ce procès a été organisé à titre d’exemple dans le but de montrer que l’État français, après un naufrage collectif, reprenait l’affaire en main. Mais pour Mila, c’est déjà trop tard. Comme l’a souligné Richard Malka lors de sa plaidoirie, la vie de la jeune fille est brisée, au point qu’il lui a conseillé à plusieurs reprises de quitter la France, ce qu’elle a toujours refusé de faire. 

Mila est une personnalité clivante. On est « pour » ou « contre » Mila. Celles et ceux qui la soutiennent sont considéré·es comme islamophobes, celles et ceux qui ne la soutiennent pas sont accusé·es d’islamo-gauchisme. Récupérée par l’extrême-droite qui en fait un symbole, Mila demeure tout de même une adolescente d’à peine dix-huit ans, qui est restée dans la légalité tout le long de l’affaire. Elle demeure une jeune fille lesbienne ayant été attaquée pour son orientation sexuelle, puis pour sa prise de position sur la religion. L’urgence n’est pas de se positionner en faveur de Mila ou contre elle. L’urgence est de prendre en compte toutes les femmes victimes de cyber-harcèlement et de les défendre au moyen de lois et de procès, afin de sécuriser les espaces virtuels que sont les réseaux sociaux. L’urgence est aussi d’éduquer les jeunes générations, celles qui sont nées avec un ordinateur dans les mains ; expliquer le poids des mots, définir autant de fois que nécessaire la laïcité, avertir sur un usage abusif et malsain des réseaux sociaux. 

Victoria Lavelle 50-50 Magazine

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