Articles récents \ Culture \ Théâtre Avignon le Off 2021: Nous sommes toutes des « filles aux mains jaunes »

Cette pièce, à (re)voir au festival Off d’Avignon en juillet, offre tous les ingrédients pour que, toujours, on se souvienne de ces filles aux mains jaunes : quatre excellentes comédiennes dans un décor efficace, parfaitement mises en scène par Johanna Boyé, au service d’un texte fort de Michel Bellier.

Retour à Avignon, lors du Off 2019… La grande salle du Théâtre actuel est bondée. Après la dernière réplique, un bref silence. Et puis, comme une seule femme, la salle entière se lève d’un même mouvement. Sans réfléchir. Debout. Applaudissements. Une ovation. Les regards des comédiennes qui saluent, émues, s’accrochent aux regards des spectatrices et spectateurs qui les acclament. Emotion partagée. Je suis debout, frissons à la racine des cheveux. Je viens de vivre un grand moment de théâtre.

Que s’est-il passé ? Par la magie du théâtre, j’ai été transportée dans une usine d’armement en 14-18. J’ai été une des tourneuses d’obus aux côtés de Louise (Pamela Ravassard), Rose (Elisabeth Ventura), Jeanne (Brigitte Faure) et Julie (Anna Mihalcea). J’ai appris à connaître et aimer ces femmes d’âges et de milieux sociaux si différents. J’ai pleuré quand l’une ou l’autre m’a annoncé la mort de son mari ou de son fils. Un beau dimanche, j’ai déjeuné sur l’herbe avec elles. J’ai ri parfois, emportée par la drôlerie et la vitalité de mes camarades d’atelier. J’ai, comme elles, passé des heures, des jours, des années à faire des gestes dangereux et répétitifs. J’ai eu, moi aussi, les mains jaunes. D’abord, je n’ai pas su pourquoi. Mais Louise, la militante, journaliste, suffragiste, a mené l’enquête. J’ai réalisé que, comme les autres « obusettes », j’étais sacrifiée sur l’autel de la guerre. Ils nous empoisonnaient, en nous faisant manipuler à mains nues des produits toxiques.

Là où commence la peur

J’ai continué à travailler. Pour contribuer à l’effort de guerre. Pour gagner de quoi manger, nourrir les miens et envoyer des colis au front. J’ai espéré, moi aussi, que quand tout ça serait fini, je serai enfin reconnue. J’y ai cru. Mon abnégation méritait récompense. Le droit de vote, je l’aurai, c’est sûr. Ouvrières parmi elles, j’ai découvert à la fois ma propre puissance et la solidarité avec mes sœurs de labeur. Comme les autres, j’ai scandé : « Notre force s’arrête là où commence notre peur. A travail égal, salaire égal. »

Spectatrice du 21e siècle, j’étais venue assister à « une pièce puissante et sensible sur la naissance du féminisme, le pouvoir de l’engagement et la force de l’action ». Mais rapidement, j’ai eu l’impression de quitter ma place confortable pour évoluer aux côtés de comédiennes talentueuses qui ne jouaient pas leur rôle, mais le vivaient. J’ai été emportée par le texte de Michel Bellier, documenté et poignant, simple et fort, parfaitement rythmé par la mise en scène de Johanna Boyé. Aucune fausse note. Décor et scénographie, costumes et chorégraphie, lumières et son, tout était juste. Ça recommence cette année à Avignon. Ne manquez sous aucun prétexte « les filles aux mains jaunes ».

Sylvie Debras 50-50 Magazine

Théâtre actuel du 7 au 31 juillet (relâche les 13, 20, 27 juillet) à 10 h et les 12, 19, 26 juillet à 16 h 35.

Photo de Une AFabienne Rappeneau.

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