Articles récents \ Culture \ Théâtre Bonheur ! Françoise Dolto revit grâce à Sophie Forte

Avignon, le Off. Lorsque Françoise paraît (ou Comment devient-on Françoise Dolto ?) est une pièce magnifique à tout point de vue : le récit et la mise en scène d’Eric Bu, la distribution avec, notamment, une Sophie Forte excellente aussi bien en petite fille qu’en vieille dame. Enthousiasmant ! Même si bien sûr Françoise Dolto ne s’est pas démarquée des théories de Freud sur le complexe d’Œdipe et l’inceste !

La petite Françoise Marette (dont le nom d’épouse sera Dolto), agenouillée sur une chaise devant sa fenêtre, regarde passer la vie à l’extérieur. Il ne faut que quelques secondes pour s’en persuader : Françoise enfant, incarnée par Sophie Forte, a vraiment quatre ans. Avec une remarquable économie de moyens, la comédienne EST cette petite fille précoce qui observe les adultes et tente de comprendre sa famille. Suzanne, la mère, est une bourgeoise « borderline », comme on dirait aujourd’hui. Et Henri, le père, quoique plutôt bienveillant, s’avère assez désorienté.

Françoise Dolto âgée est, elle aussi, jouée par Sophie Forte. Avec la même remarquable sobriété, et presque sans accessoire, la comédienne devient cette grande pédiatre qui s’est passionnée pour la cause des enfants et a révolutionné la façon dont ils sont considérés. Non pas des « tubes digestifs », qui ne souffrent pas et ne comprennent rien, mais des humain·es à part entière. Certes on peut déplorer qu’elle n’ait pas eu l’esprit suffisamment critique pour remettre en cause les théories de Freud notamment sur l’inceste et le complexe d’Oedipe, mais on ne peut contester son apport à la prise en compte des enfants et des ados comme sujets et non comme objets à discipliner avec rigueur. On suit la psychanalyste dans son cabinet lors de ses consultations et sur les plateaux, radio ou télé. La pièce semble écrite sur mesure pour la comédienne. Son auteur, Eric Bu, répond parfaitement à la question qu’il pose lui-même : comment devient-on Françoise Dolto ?

Une vie passée à éduquer les parents

La narration est vive, inventive ; elle va à l’essentiel et restitue parfaitement, en touches délicatement brossées, le parcours de l’extraordinaire Françoise Dolto. Ce que l’on se demande, au fil de la pièce, c’est comment cette enfant grandie dans une famille pathogène n’a pas sombré, face aux épreuves subies dans l’enfance. Peut-être grâce au « BAG » (Bon Ange Gardien) qu’elle s’est inventé à quatre ans et qui l’accompagne jusqu’à la fin de sa vie ? Le BAG est interprété par Stéphane Giletta qui joue aussi à merveille le poste à galène, un des ressorts comiques de la pièce qui n’en manque pas. Cet excellent comédien sera aussi le curé, plusieurs hommes de média dont un truculent Bernard Pivot, le psychanalyste de Françoise Dolto, son mari, un papa qui apprend qu’il peut parler à son bébé, un enfant énurésique qui comprend qu’il n’aura pas à remplacer son père disparu et n’a donc pas besoin de redevenir un tout petit garçon. Et, cerise sur le gâteau, un savoureux et jovial fils, Carlos en personne !

À huit ans, Françoise décide qu’elle sera « médecin d’éducation »… pour éduquer les parents ! Quelle idée ! Une fille ! Faire des études de médecine ? Une femme ? Travailler ? Horreur. Quand elle a douze ans, sa mère lui fait porter le poids de la mort de sa grande sœur. Sans doute n’a-t-elle pas assez prié… La mère, troublante, ambiguë, est jouée avec finesse par la talentueuse Christine Gagnepain qui, elle aussi, jouera toute une galerie de personnages dont une tonique Catherine Dolto.

On ressort de la pièce vidé·e par l’émotion mais tellement heureuse/heureux. Les yeux rougis par les larmes versées en cachette. Pas grave, le voisin se mouche discrètement, lui aussi. On ressort avec du rire dans le cœur, tant Françoise Dolto ressuscitée est attachante, drôle, pétillante. On ressort avec de l’espérance à nouveau : si l’espèce humaine qui a produit cette si belle personne, tout est encore possible, même le meilleur.

Sylvie Debras 50-50 Magazine

La position de Françoise Dolto sur l’inceste

Théâtre du Balcon dans le Off, à 10 h 30 jusqu’au 31 juillet. Et en tournée en 2021-2022, notamment du 8 septembre 2021 au 27 mars 2022 au Théâtre Lepic (Paris, 18éme, relâche les lundis et mardis).

Photo de Une : Frédérique Toulet . Françoise Dolto enfant, jouée par Sophie Forte, entre sa mère, Christine Gagnepain, et son père, Stéphane Giletta

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