Articles récents \ Monde Cyberharcèlement : l’invisibilisation des violences

73% des femmes dans le monde affirment avoir déjà subi des violences en ligne en raison de leurs activités professionnelles selon une étude menée par l’UNESCO et l’International Center for journalists. L’association Prenons la Une organisait récemment une table ronde pour questionner les dynamiques du cyberharcèlement en Europe. A leur table : Myriam Leroy et Florence Hainaut, réalisatrices du documentaire #SalePute. 

Phénomène largement invisibilisé et minimisé, le cyberharcèlement concerne pourtant de nombreuses femmes dans le monde. Femmes politiques, journalistes ou militantes, elles doivent parfois déménager à répétition pour fuir leurs harceleurs. Bien loin de l’imaginaire collectif qui tend à percevoir dans les violences en ligne une forme amoindrie de harcèlement, parce que virtuelles, ces violences ont des répercussions dans la vie quotidienne des femmes ciblées. “ Cela a une incidence énorme sur la santé mentale, sur la santé physique «  explique la chroniqueuse Nadia Daam, venue raconter son expérience personnelle dans #SalePute.

Le cyberharcèlement a également un impact sur la vie professionnelle de ces femmes. Le temps consacré à celui-ci est considérable, notamment lorsque la victime engage des poursuites judiciaires. Moins disponibles, matériellement et mentalement, il peut devenir difficile pour les personnes ciblées de maintenir leur activité professionnelle. De plus, quitter les réseaux sociaux est souvent synonyme d’une perte conséquente en termes de visibilité, réduisant le nombre d’opportunités professionnelles. 

Saorla McCabe, membre de l’UNESCO, déclare qu’une étude en cours a permis d’analyser le cyberharcèlement que subissent des femmes journalistes à travers le monde. Ce sont quelque 900 journalistes réparties sur de nombreux pays, qui ont pris part à l’étude. 2,5 millions de commentaires ont par ailleurs été décryptés. Cette enquête met en avant le phénomène global que représente le cyberharcèlement des journalistes et démontre que les femmes sont nettement plus touchées que les hommes. Saorla McCabe insiste également sur l’intersectionnalité du harcèlement. Si 64% des femmes blanches semblent avoir subi des violences en ligne à l’échelle du globe, ce chiffre monte à 81% pour les femmes noires et 88% pour les femmes lesbiennes. 

Dans 41% des cas, les violences en ligne semblent être liées à des campagnes de désinformation concernant la personne visée. Bien loin de simplement être l’œuvre d’individus anonymes et isolés, le cyberharcèlement est, dans 37% des cas, porté par des personnalités politiques. Dans ce contexte, 30% des femmes déclarent avoir eu recours à l’auto-censure pour tenter d’atténuer les attaques. 

Élodie Vialle est co-autrice du rapport No Excuse for Abuse : What Social Media Companies Can Do Now to Combat Online Harassment and Empower Users. L’enquête s’intéresse au rôle des plateformes dans la diffusion des violences en ligne. Amplifiant la transmission des contenus haineux, ces plateformes sont utilisées pour cibler les individus qui seront ensuite sujets aux attaques. Le rapport propose aux réseaux sociaux des solutions pour limiter le cyberharcèlement, dès la création même des plateformes. Divers outils pourraient ainsi permettre aux utilisatrices/utilisateurs de dénoncer des formes de violences en ligne, directement sur les plateformes et par des moyens adaptés. 

La Table ronde a également été l’occasion de rappeler les précautions qui peuvent être prises à l’échelle individuelle pour se protéger du cyberharcèlement. La journaliste Clémentine Billé a ainsi insisté sur les effets de l’empreinte numérique et l’accès public aux réseaux sociaux. Elle propose aux journalistes de cloisonner leurs comptes, de manière à ne pas mêler le privé et le professionnel sur un compte unique. Pour limiter l’afflux de notifications, Twitter tente de mettre au point un outil permettant aux internautes de ne pas systématiquement être notifié·es lorsqu’elles/ils sont mentionné·es dans un post. 

Le cyberharcèlement vécu par les journalistes relève de la responsabilité des plateformes, mais également des institutions policières, judiciaires et des rédactions qui les emploient. Une meilleure formation sur ces questions permettrait de prévenir l’apparition des violences et de réagir plus efficacement lorsqu’elles se déclarent. Aujourd’hui, seulement 8% des femmes journalistes engagent des poursuites judiciaires lorsqu’elles sont attaquées.

Laurène Pinvidic 50-50 Magazine

print