Articles récents \ Île de France \ Société Eva et Donna Nassery : « pour éviter de risquer leur vie, les musiciennes, et les musiciens également, vont devoir se convertir »

Un concert “Avec les Afghanes” était organisé le 17 octobre en soutien aux Afghanes, premières victimes des Talibans dans une église du 11ème arrondissement de Paris. Au programme de ce concert organisé par l’association Culture Espérance en collaboration avec AFRANE (Amitié Franco-Afghane): des compositrices classiques ainsi que des musiciennes Eva et Donna Nassery qui nous ont fait partager l’art traditionnel afghan.

Racontez-nous votre parcours ?

Nous sommes Eva et Donna Nassery, des sœurs. Nous sommes Françaises d’origine afghane. Nos parents ont quitté l’Afghanistan en 1981. Ils sont partis à cause de la guerre et de l’invasion soviétique. Nous sommes toutes les deux nées en France.

Moi, Donna, je suis étudiante.

Moi, Eva, je suis cheffe de mission pour une ONG médicale française, la Chaîne de l’Espoir. Je travaillais en Afghanistan depuis 5 ans et j’ai dû évacuer le 15 août 2021 à la suite de la prise de pouvoir de Kaboul par les talibans. 

Nos parents ont tenu à nous transmettre la culture afghane depuis que nous sommes petites. Notre père, passionné de musique, nous a transmis tout ce qu’il savait ! Nos instruments, nous les avons ramenés d’Afghanistan nous-mêmes. 

Quels sont les instruments que vous avez utilisés pour la prestation de ce soir ? 

Moi Donna, je joue du Rubab qui est un luth afghan. C’est un instrument qui est fabriqué à partir d’un tronc de mûrier, avec de la peau d’animal, qui est recouvert et décoré de nacre.

Moi Eva, je joue du zerbaghali. C’est un instrument de percussion qui est taillé dans du bois avec une peau de chèvre et décoré de nacre, comme le Rubab. 

Les instruments dont nous jouons sont des instruments traditionnels. Ce sont des instruments qui ne sont habituellement pas joués par des femmes, mais ces 20 dernières années, nous avons vu beaucoup d’avancées dans la société afghane. Telles que l’apparition d’écoles de musique mixte, d’un orchestre uniquement féminin, qui a fait le tour du monde. Il y avait donc des femmes qui jouaient de la musique et qui enseignaient la musique.

Malheureusement, après le 15 août, ces avancées ont toutes été anéanties car la musique est aujourd’hui interdite en Afghanistan pour les hommes et pour les femmes. Et donc si en Afghanistan on n’a plus le droit de jouer, nous à l’extérieur nous devons le faire et c’est pour ça que nous avons accepté de jouer ce soir.

Nous ne sommes pas professionnelles, nous ne sommes pas du tout amenées à jouer hors du cadre familial. Mais pour AFRANE, qui est une association dont nous soutenons les actions, et pour transmettre cette culture qui risque de s’éteindre, nous avons accepté de jouer ce soir. Ainsi que pour l’association Espérance Culture.

Que sont devenues toutes ces femmes qui jouent de la musique en Afghanistan ?

Celles qui ont pu s’enfuir ont fui rapidement. Celles qui n’ont pas réussi essayent de quitter le pays. Celles qui seront condamnées à rester en Afghanistan, vont devoir se convertir parce que le fait de jouer de la musique est répréhensible. Et donc pour éviter de risquer leur vie, les musiciennes, et les musiciens également, vont devoir se convertir.

Avez-vous encore de la famille en Afghanistan ?

La majorité de notre famille a quitté l’Afghanistan il y a 40 ans au moment de l’invasion soviétique. Aujourd’hui nous avons un peu de famille, beaucoup d’ami·es et nous pensons à tou·tes nos compatriotes qui vivent cette situation.

Est-ce que vous pensez qu’une contestation est possible à Kaboul, au vu de toutes ces libertés qui ont été développées ces dernières années ?

Une contestation dans tout le pays et dans toutes les classes sociales c’est certain! Par contre, une contestation qui peut aboutir, nous ne savons pas… Parce que les talibans sont revenus au pouvoir très facilement ! Le 15 août, personne ne s’attendait à ce qu’ils rentrent dans Kaboul aussi facilement. Nous pensons qu’il y a des choses qui vont au-delà de ce qu’on sait et de ce qu’on saura et qui font qu’aujourd’hui les talibans sont au pouvoir et sont très forts. Une contestation armée, c’est difficile à organiser dans un pays où il n’y a plus de règles et où tout passe par la violence. Alors à moins de passer également par la violence, la question est : avec quoi et quel matériel, avec quel soutien ? Difficile à dire.

Les talibans peuvent-ils vraiment gouverner le pays sans les femmes ?

Ils en ont l’intention, ils sont déjà en train de s’organiser en ce sens ! Ils ont très vite transformé les conditions de travail de telle sorte que les hommes et les femmes ne se croisent pas. Ainsi, par exemple, les femmes peuvent aller à l’hôpital mais les patientes sont soignées par des soignantes et les patients par des soignants. Les hommes et les femmes ne doivent pas travailler ensemble…

Pensez- vous que la France s’engage suffisamment pour contrer les talibans ?

Nous l’espérons mais nous ne savons pas ce qui est prévu par rapport à la reconnaissance ou non du gouvernement taliban… Difficile de dire ce qu’il va se passer mais il y a vraiment un effort à faire, une mobilisation à maintenir pour que la population afghane puisse survivre !

Est-ce qu’aider les migrant·es serait une bonne chose ?

Oui absolument ! C’est difficile d’obtenir des papiers, et renvoyer les gens en Afghanistan aujourd’hui, ce serait les condamner… Donc la France peut effectivement aider les Afghan·nes en accueillant celles/ceux qui fuient ce régime taliban.

Propos recueillis par Marie-Hélène Le Ny 50-50 Magazine et Caroline Flepp 50-50 Magazine

 

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